L a ministre de la justice a été huée par la gauche, mardi 3 juin, à l'Assemblée nationale, pour avoir violemment attaqué la politique d'intégration menée par les socialistes avant 2002.
Rachida Dati était interrogée par la députée Martine Martinel (PS) sur l'attitude de la chancellerie face à l'annulation, par le tribunal de Lille, d'un mariage entre deux musulmans pour "erreur sur les qualités essentielles du conjoint", en l'occurrence "un mensonge relatif à la virginité" de l'épouse. Après avoir estimé que la décision protégeait la jeune femme, la ministre a donné mardi instruction au parquet général de faire appel.


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"Vous avez abandonné un certain nombre de jeunes filles dans (les) quartiers aux grands frères. C'est votre échec", a-t-elle lancé aux députés PS. Cette réponse - faite devant la mine circonspecte de François Fillon - était soigneusement préparée. La ministre a repris, en évoquant son expérience personnelle, des doutes exprimés dans son livre Je vous fais juges (Grasset), et la dénonciation des "grands frères", évoquée à plusieurs reprises par Nicolas Sarkozy. "Oui, je le redis, la justice a protégé cette jeune femme, a expliqué Mme Dati. Vous pouvez attaquer la garde des sceaux, mais j'ai échappé à l'échec de votre politique. Mais de grâce, n'empêchez pas ces jeunes filles d'être libres. A défaut de votre soutien, elles ont besoin du soutien de la justice". Mme Dati a elle-même bataillé pour faire annuler son mariage, au milieu des années 1990.
C'est à la demande de l'Elysée que la ministre a annoncé, lundi 2 juin, qu'il y aurait appel, en constatant que "cette affaire privée dépasse la relation entre deux personnes et concerne l'ensemble des citoyens de notre pays, et notamment les femmes". Les conclusions du parquet général devraient porter sur le fait que "la référence à la virginité n'est pas compatible avec l'ordre public car elle porte atteinte à la dignité des femmes et à l'égalité des sexes", indique-t-on de source judiciaire.
La chancellerie aurait pu attendre que le délai d'appel soit épuisé pour engager directement devant la Cour de cassation un pourvoi "dans l'intérêt de la loi", afin de clarifier la jurisprudence. L'urgence a primé.
La décision pourrait entraîner un imbroglio juridique. L'appel n'est pas suspensif car le juge de Lille a ordonné l'exécution provisoire du jugement. Le parquet pourrait demander la levée de cette exécution provisoire, pour éviter une situation insolite : un nouveau mariage de l'une des parties, suivi d'une invalidation de l'annulation. Elle se retrouverait ainsi mariée deux fois. Mais la suspension de l'exécution voudrait dire que le couple est toujours marié. L'arrêt d'appel pourrait intervenir en juin ou juillet.
Le casse-tête ne sera pas terminé si, à l'issue de la procédure, le couple se trouve à nouveau marié. Me Charles-Edouard Mauger, l'avocat de l'ex-épouse, a déclaré à l'AFP que sa cliente se sentait "très, très mal", alors que l'annulation de son mariage lui avait apporté "du soulagement". "Je ne suis pas d'accord avec l'appel parce que j'ai ma vie à reconstruire, a-t-elle indiqué à son avocat. Je n'ai pas à être victime du système politique."
Alain Salles