Je reviens sur ce sujet comme promis. Je ne suis pas de l'ancienne génération Bakéloise certes, mais j'ai vécu dans l'ambiance des " Maxan ba Kompu ". A Bakel, on parle surtout de " Feedan Kompe ". En effet, le "Feddan Kompe" fait office de grand place. On s'y rejoint après les travaux champetres et l'école. Le décor est souvent quelques matelas à terre ou quelques lits en fer de part et d'autre. On décorait les murs avec des posters de joueurs de foot, d'acteurs de cinéma, d'hommes politiques... ou dés fois des images coquines.
Souvent, la chambre consitue juste un lieu de rendez vous... mais avec le temps, certains jeunes désertent le domicile familial par etroitesse ou par simple envie de liberté. Les enfants issus de familles dont l'éducation est rigoureuse n'auront ce privilège qu'à l'orée de leur vingtienne année ou plus. Dés fois, l'étroitesse des maisons renvoyait les jeunes vers ces " Feedan Kompe ". En effet, il est mal vu en milieu Soninké de partager la même chambre avec ces parents dès que l'on atteint l'adolescence. Du coup, la fréquentation des " Feedan Kompu " devient un mal necessaire.
Le Feedan Kompé a souvent un nom. On donne des noms en vogue dans notre milieu. Si un chanteur est au diapason ou une ville quelconque voire un beau lieu, les jeunes donneront ce nom. Ainsi, des chambres portaient des noms comme Salassia, Golf, 2 Pac, Jazz, Gaza voire Camp Boiro à Bakel alors que dans les villages, on donnait des noms comme Thiossane, Babylone et Washington...
On identifie les jeunes à leur Feede. Si l'opinion publique colle une étiquette de drogués au feddan kompé, tous les membres seraient vus sous cet angle d'où l'interêt d'être discrets et irréporchables.
Dans ces Feedan Kompé c'est l'affirmation de soi. Les jeunes sont livrés à eux mêmes et doivent mettre en place leur propre ligne de conduite pour la propreté, le ravitaillement du groupe, l'achat du thé quotidien, des jeux de cartes... Chaque groupe doit se donner des moyens pour assurer l'autosuffisance alimentaire. La renommée du Feddan Kompé dépend de ses moyens et de ces leaders d'opinion. Si votre chef de groupe n'a pas la côte, votre " Feddan Kompé " serait vu comme des "loosers" voir des " bons a rien". On se retrouve quotidiennement pour prendre le thé ensemble en racontant nos mésaventures, nos succés et échecs. Souvent, on se mettait à rêver de la vie à l'occidentale ou à la dakaroise. Chaque groupe a son identité et trouve sa richesse dans la mixité entre les differentes classes sociales. Si autrefois, les roles du Feede étaient définies par rapport à sa caste, il est impossible de nos jours d'instaurer ce meme systeme. Souvent, en s'amusant, on demandait aux castés de faire le thé ou d'aller chercher de l'eau ou de la bouffe... Mais vu l'éveil des consciences, ce système ne peut tenir la route. Les roles sont définis selon les capacités de tout un chacun. Les plus grands détenaient souvent la chefferie et les plus jeunes sont souvent réduits au statut de coursiers. Jeune, je faisais parti des plus jeunes et accepter l'autorité etait impossible. Ma chance fût de partager le meme fedde que mes oncles, " disciples " de mon grand pères ( Xaraélémous )... Même si des fois, j'étais brutalisé, j'étais respecté par la plupart des feddalémous. Du coup, je n'ai jamais accepté ce role de coursier qui devait être la mienne. Nous avions les mêmes droits et devoirs. Il fallait être une forte tête pour survivre à la vie de groupe au risque de passer son enfance devant la case de sa mère.
Le feedan Kompé est assimilable à un camp militaire.
Survie :
Pour survivre, nous devons trouver de l'argent pour subvenir à nos besoins. Durant l'hivernage, nous labourons les champs des dames ou souvent des vieux moyennant renumération. Tout le monde devait participer à ces travaux champetres sinon payer une amende forfataire. Certains seraient même viré du Feede s'ils ne participaient à ces travaux. Il arrive souvent de faire d'autres travaux :
- Puisser de l'eau pour une construction,
- Faire les maneouvres
- Porter du sable depuis les plages pour les constructions...
Le Feede comptait sur ces revenus pour acheter une magnéto, des matelas, du thé...Avoir une radio était indispensable. C'est une valeur ajoutée lors des fêtes et autres manifestations. Rares sont les jeunes qui trouvaient un prêt de radio lors des fêtes d'où la necessaité d'en acheter. Il y a eu dans les années 90, une floraison de " Magnéto Sharp " à Bakel. Ces radios étaient importés de la Mauritanie au prix de 50000 FCFA. L'argent récoltait servait également à faire des soirées dansantes pour fructifier la fortune du groupe.
Jeux :
Après les cours coraniques, la descente de l'ecole ou après les travaux champêtres , les aires de jeux se remplissent. Chaque fedde a son terrtoire défini où il peut s'adonner à la pratique du foot et à d' autres jeux.
Le plus souvent, les jeux les plus marrants se font le soir au clair de lune. J'ai relevé quelques unes que je vais citer ci-dessous :
« Le Lamba » :
C'est rien d'autre que la fameuse lutte traditionelle. Les braves jeunes gens amoureux de cette discipline sortent et font appel à d'autres jeunes d'autres fedde. Chacun montre son talent, sa technique à son adversaire. e public exhulte. Les poltrons sont souvent hors jeu et s'erigent en spectateurs d'un soir.
« Ndougou ti » :
C'est un jeu d'intelligence. Il s'agit de deviner le nom de chose ou d'un animal que 2 personnes se sont dit en secret. Ces 2 personnes après concertation annoncent le thème et demandent à tour de rôle les autres copains leur pensée.
Par exemple :
Les 2 Personnes prenent en secret le thème "poisson" et choissisent le tilapia comme réponse. A tour de rôle, les autres vont dire leurs reponses jusqu'à ce qu'une d'entre elles trouvent la réponse .
« Le Pris » :
Ce jeu consiste a former 2 groupes de 4 ou 5 personnes. De part et d'autre des 2 groupes, au milieu, il y a une personne qui tient un bout de tissu. Chaque membre des 2 groupes choisit un numero allant de 1 à leur nombre total. Ainsi, le juge du jeu appelle 1 à 1 par numero. On marque un point si l'on a reussi à prendre le tissu sans se faire toucher par son adversaire en rejoignant ses camarades. Ce jeu était trop prisé.
« Bouré mbourbajo » :
Il s'agit de cacher un pagne ou un boubou dans un lieu anodin et d'appeler les participants qui etaient en cachette. Un fois arrivé sur place, ils cherchent le tissu. Celui qui le trouve frappera les personnes qui n'ont pas pu toucher le temoin qui est souvent le poteau de l'aire de jeu ou un mur quelconque. Personne n'a le droit de toucher au temoin tant que l'on aie pas trouvé le tissu. D'ailleurs certains dissimulent leur trouvaille et barre l'acces au témoin afin de bien taper leurs camarades avant leur toucher au témoin.
« Niof tinguil niof » :
C'est un des jeux dangereux qui se pratiquait durant les années 80-90. Il s'agit de se tacler. L'idée est de se tenir debout et tacler les autres qui veulent rester debout. On est hors jeu si l'on s'assoit sinon on est la cible des tacles les plus violents.
« Mama Tiyé wara » :
Il s'agit de prendre un jeune que l'on fait garder par un autre. De part et d'autre de ce jeune en garde à vue, les autres guettent les déplacements du gardien vers un sens et viennent frapper la personne gardée. Ils feront attention à ne pas se faire toucher par son gardien. Généralement, le gardien par combine poursuit une bande de jeunes et laisse le jeune en garde à vue à la merci des autres. Ces derniers le frappent jusqu'au retour du gardien. Ainsi de suite. Si le gardien touche avec son tissu une autre personne. Ce dernier remplace le jeune en garde à vue et celui - ci devient le gardien à son tour. La personne en garde à vue est appelé «tiyé = viande » et autres jeunes predateurs crient « mama tiyé wara = papi, laisse la viande ». Ce qui rend dangereux ce jeu est le fait que certains jeunes mettent des cailloux dans leurs tissus avec lequel ils frappent le jeune en garde à vue et n'hésiteraient pas à faire mal.
Signalons aussi le fleuve qui est un terrain de jeu prisé des jeunes gens.
Le fleuve constitue le lieu de convergence des jeunes surtout pendant la saison seche. On s'y baigne 3 à 4 fois par jour. On y pratique plusieurs jeux. On y joue entre autres : "Lemmu lemmu yo", du "Deebin de"… et souvent des courses. Gare à ceux qui ne savent pas nager.
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La drague :
La drague aussi constitue une activité incontournable dans les fedde car c'est un élèment d'affirmation du fedde. On est respecté souvent parce qu'on draîne des foules derriere son fedde ou l'on est aimé par un groupe de filles prisé. Tout fedde digne de ce nom se doit alors d'avoir son fedde de filles . Cette union se fait naturellement parce qu'on habite dans le même quartier ou parce qu'on partage les mêmes aires de jeu ou parce que un membre d'un groupe x sort avec une fille d'un fedde de filles d'un autre quartier. Une fois le fedde de filles identifié. Les membres beaux parleurs du groupe vont voir les filles du fedde concerné pour sceller le pacte. Une fois le pacte scellé, on organise une nuit de partage.
Pour des raisons de partialité et d'un souci d'équité, on fait ce qu'on appelle du "Lamboure Fiteye". Cela consiste à donner à chaque fille du fedde feminin un bout de pagne qu'elle doit jeter au garçon qu'elle préfère. C'est marrant mais efficace. Il previent les bagarres et les tricheries. Chaque personne ira avec celle qui l'a preferé.
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Les dangers du Feedan Kompé :
La devise d'un fedde est :
« On vit ensemble, on meurt ensemble ».
Les membres d'un fedde même s'il n'y a aucun lien de parenté entre eux se considèrent comme des frères de sang. Ils partagent tous leurs secrets et essaient de vivre en harmonie. Il est naturel de voir les membres de même fedde se soutenir mutuellement en cas de problèmes. On voit souvent les membres de son fedde essayaient d'intercéder auprès de ses parents pour regler un problème ou essayer de venir en aide à sa famille dans leurs differents travaux.
Ce qui est plus frappant est la solidarité que l'on trouve dans les fedde. Que l'on soit fauché, victime de repressailes ou menaces, on demande soutien et conseil à ses frères du fedde afin de sortir de l'impasse. Si l'on a un Rv galant aussi, on fait apell à un de ses feddalemus. Il arrive de voir des membres du fedde faire des remontrances ou conseiller un des leurs qui a fait des erreurs ou en proie à des tentations comme la cigarette, la drogue…Mieux, il arrive que l'on soit ecarté du fedde pour mauvais comportements ou mensonges mettant en peril la vie du groupe. Rare sont ceux qui laissent leurs compagnons en galère même s'ils ne peuvent rien faire, ils apportent leur soutien. C'est ainsi que l'on se fait lyncher parce que l'on a fourré son nez dans une bagarre entre un Feddalema et un membre d'un autre fedde.
Il est rare de voir des membres d'un même fedde se balancer même dans la torture. On est tenu de respecter la ligne conduite du fedde. Un fedde est une deuxième famille. On lave le linge sale en famille. Les membres d'un même fedde sont comme des mousquetaires et ils cultivent la philosophie suivante : « On vit ensemble, on reussit ensemble et on meurt ensemble ».
Le fedde est à l'instar du Xaralemaxou le lieu où l'on apprend, à accepter les differences , à garder les secrets et à vivre en communauté.
Les dangers du fedde :
Un fedde est le lieu où chaque enfant fait ses premières experiences. Il est le lieu par excellence de tous les fantasmes. On est entre jeunes sans surveillance donc une certaine façon d'affirmer sa liberté. Cette liberté confère aux jeunes des responsabilités. Ils apprennent à fixer des règles que tout membre du fedde doit respecter.
Generalement les plus grands sont ceux qui fixent les règles mais aussi les premiers à les enfreindre. Il arrive de voir des jeunes se livrer à des jeux dangereux. Plusieurs jeunes se blessent ou se fracturent un membre lors de ses jeux.
Le plus souvent, ce sont des blessures bénignes mais il arrive que certains cas s'aggravent. De plus, comme c'est le lieu des premières experiences, beaucoup de jeunes subissent l'influence des autres copains. C'est ainsi que l'on fume, se drogue ou drague parce que son copain le fait ou traite les autres.
Beaucoup de jeunes trâinent de mauvais comportements qu'ils ont hérités d'un membre de leur fedde. Certains fument, boivent ou se droguent aujourd'hui parce qu'ils ont subis l'influence de leurs « Feddalemou ».
C'est pourquoi l'adage dit : « An nta taralema farampere woutou kha a gni a jikou ni khe yene ».
D'ailleurs, à coté de ces points négatifs, il serait pertinent d'ajouter le vol. Beaucoup de jeunes ont participé à des vols de bétail, de volailles dans le cadre du fedde. Cette activité à la fois joviale et délicate est très pratiquée. Rares sont les jeunes gens qui n'ont pas volés un mouton ou des coqs à l'approche des fêtes. Dés fois, on s'organise aussi pour aller voler des boissons ou d'autres produits chez les commercçants.
Aujourdh'ui rares sont des acussations de vol qui ne se terminent pas au tribunal. Les jeunes, prenant consicence du danger que ces vols engendrent, abandonnent de plus en plus ces pratiques.
Il serait pertinent aussi de souligner le danger que génère le fedde pour les petits écoliers. En général, il y a toujours 2 ou 3 membres d'un fedde qui ne vont pas à l'école. Ces derniers n'ont pas d'imperatifs sinon l'exécution de leurs travaux quotidiens. Ils sont très contents à cet âge de ne pas avoir de leçons à apprendre ou de devoirs à faire. Ils influencent parfois leurs copains écoliers afin qu'ils n'aillent pas à l'école. Beaucoup finissent par succomber à la tentation. Ainsi on accompagne les copains non - élèves à aller faire leurs travaux champêtres parce qu'il y a la chasse, la pêche ou la cueillette à la clé. Plusieurs jeunes écoliers seraient pris au piège parce que les activités de leurs amis non - écoliers leur feraient fantasmer. Beaucoup d' écoliers pratiqueraient alors l'ecole buissionniere et finiraient par perdre le goût des études. Aujourd'hui 10 voire 20% d'analphabètes proviennent de ce système. Ils sont nombreux ceux qui ont echoués aux examens ou ont eu de mauvais resulats à cause de l'influence du fedde. Vers la fin des années 90, on assiste un niveau phénomène qui gangrène les fedde. Beaucoup ont vu leur casier judiciaire se remplir progressivement parce que l'on a été acteur ou témoin passif d'un viol. Dans plusieurs villages, les jeunes prennent en guet-apens les jeunes filles ou les femmes et les violent. Combien de filles ont été victimes de viols collectifs dans les Feddan Kompu. Elles seraient des dizaines. Le fedde , même s'il est le lieu de l'affirmation de soi est aussi un lieu où l'on devient la proie à plusieurs difficultés sociales. Certes on y apprend, on s'y forme, on lie des amitiés durables, on s'y amuse mais ses experiences sont sources d'inombrables écarts de conduite et de problèmes.
Pour plus d'infos : suivez ce lien .
http://www.soninkara.com/societe/organisation-sociale/les-classes-dages-fedde-en-milieu-soninke-gajaaga-senegal_7.html