Réhabiliter la langue française en Mauritanie

L’Agenda Electoral du Haut Conseil d’Etat (H.C.E.) prévoit, à la date du 20 Juin 2009, une révision par référendum de certaines dispositions de la Constitution du 25 Juin 2006.Bien que rien n’ait filtré jusqu’ici sur les amendements qui seraient proposés au peuple, l’Article 6 du Titre Premier mériterait une « retouche » pour être tout à fait complet et répondre aux exigences de justice, d’équité et de cohésion nationale.

Pourquoi, par exemple, n’y est-il fait aucune mention du Français qui est passé du statut de langue officielle dans la Constitution de 1960 à celui de langue d’enseignement aujourd’hui ? Cette langue a été pourtant enseignée, parlée et écrite chez nous avant la colonisation proprement dite et elle demeure aujourd’hui omniprésente dans la vie quotidienne de nos citoyens, toutes communautés confondues.Pour s’en convaincre il suffit, en sillonnant les grandes artères ou les rues commerçantes de nos villes, de jeter un coup d’oeil moins distrait aux affiches, banderoles, panneaux publicitaires ; enseignes des banques, magasins, restaurants ou hôtels ; d’engager une conversation avec un taximan ou n’importe lequel des écoliers croisés ; de flâner du côté du Lycée français de Nouakchott à la descente des élèves; de s’intéresser à la presse écrite, parlée, audiovisuelle nationale et internationale; de ramasser les cartes de recharge des téléphones ou encore de fréquenter les Cybercafés…

On s’apercevra alors très vite que la langue française, bien que décriée dans certains milieux chauvins, correspond bel et bien à une réalité indéniable et incontournable chez nous.

Il ne saurait du reste en être autrement si l’on tient compte des facteurs historiques, géographiques, culturels, politiques et économiques qui ont façonné notre existence, nos mentalités et qui continuent à modeler notre nation en devenir.

La pénétration française en Mauritanie a commencé dès 1858 par un Traité de Louis Faidherbe avec les Emirs du Trarza et du Brakna. La première école française fut opérationnelle en 1898 à Kaédi et la première Medersa à Boutilmit en 1914.

Devenu colonie en 1920, le pays fut rattaché à l’Afrique Occidentale Française (A.O.F.) et administré depuis Saint-Louis du Sénégal conjointement avec le Sénégal jusqu’en 1957-1958.

Les pays limitrophes, qu’ils appartiennent à l’Afrique noire (Mali, Sénégal) ou blanche (Algérie, Maroc) sont tous francophones voire francophiles de même que la plupart des organisations sous régionales (UMA, OMVS, CILSS, CEN-SAD.) dans lesquelles siège notre pays, membre actif, par ailleurs, de l’Organisation Internationale de La Francophonie (O.I.F.) qui regroupe 70 pays.

Sur le plan économique et financier, la France est le premier partenaire bilatéral de la Mauritanie depuis l’indépendance, à la fois 1er fournisseur en biens d’équipement et céréales, 1er investisseur et 1er pour l’Aide Publique au Développement.

Notre système éducatif actuel, né de la cinquième réforme de 1999, accorde, à côté de l’Arabe, une place particulière à cette langue aussi bien dans l’Enseignement Général, où toutes les matières scientifiques sont enseignées en français, que dans les Enseignements Technique et Professionnel. En plus, la France est le premier pays du Nord accueillant des étudiants mauritaniens estimés à plus de 1.100 dont plus de 150 bénéficient d’une bourse d’études du Gouvernement français (bourses doctorales ou de niveau Master).

Il est à noter au passage que cette réforme a malencontreusement et de manière arbitraire mis un terme à l’expérimentation au fondamental de l’enseignement du Pular, du Soninké et du Wolof, initiée depuis Octobre 1979.

Dans le fonctionnement de nos Institutions et de l’Administration l’usage du français est prépondérant dans tous les services (particulièrement techniques), souvent au plus haut niveau. C’est ainsi que le dernier président du Sénat, actuellement Président de la République par intérim, ne s’exprime officiellement que dans la langue de Molière ou bien en Pular ; or aucune n’est reconnue comme langue officielle ! !

Le moment est venu de nous départir définitivement de ce sentiment ambivalent « admiration-rejet » que nous ressentions pour l’Occident en général et pour la France en particulier, alimenté par un nationalisme arabe étroit qui s’est traduit par des mesures politiques extrêmement chauvines.

Cette « fuite en avant » que nous traînons depuis la fin des années 60 nous a conduit où nous sommes actuellement avec l’Arabe comme langue officielle de jure, le Français de facto,mais ignoré par la Constitution, et des langues nationales reconnues par la Constitution mais frappées d’ostracisme.

Les mauritaniens qui s’expriment en français, qui en réclament l’enseignement ou la reconnaissance, ne doivent pas être assimilés à une quelconque 5e colonne d’un impérialisme français qui serait hostile à la culture et à l’épanouissement des arabes.

Sur le même régistre et par respect de la diversité culturelle, il incombe à l’Etat mauritanien l’impérieux devoir de garantir la promotion et l’enseignement de toutes les langues nationales sans que cela ne soit perçu comme une agression contre l’Arabe.

Dans tous les pays arabo-musulmans de l’ex-empire Britannique, l’anglais, aux côtés de l’Arabe et des autres langues, y est enseigné, écrit, parlé et accepté sans complexe ni accusation d’aliénation culturelle. Pourquoi n’en serait-il pas de même chez nous pour le Français ?

La langue française apparaît, par nécessité ou par opportunisme, indissociable de notre développement économique et culturel, un instrument pour consolider l’unité nationale et un atout de plus non négligeable dans nos relations internationales

Aussi, dans la palette des amendements de la Constitution, le H.C.E. devra proposer le maintien de l’Arabe comme langue officielle ; l’adoption du Français comme langue de travail et d’ouverture et l’option de l’officialisation du Pular, du Soninké et du Wolof pour asseoir une solide « interculturalité » à laquelle sont attachés tous ceux qui militent sincèrement pour une véritable Réconciliation Nationale !

Issa Mamadou DIOP
Conseiller Municipal
Nouadhibou
Source : Issa Mamadou DIOP via ajd-mr.org