Une défense honteuse de Robert Mugabe derrière une critique, pourtant, juste des régimes impérialistes européens

Du dégoût, de la consternation, tels sont les sentiments qu’on éprouve à la lecture du texte d’Aminata Traoré daté du 10 décembre 2008 et intitulé «Robert MUGABE, l'insoumis et le bouc émissaire», pour peu qu’on soit, un brin, sensible à la tragédie du peuple Zimbabwéen.
Tout au long de ce document, la démarche de l’auteure consiste à défendre Mugabe et son régime en tentant de disqualifier ses détracteurs occidentaux du moment (Bush, Gordon Brown, Sarkozy etc.) au motif qu’ils sont coupables de crimes monstrueux dont l’ampleur dépasse de loin ce qu’ils reprochent, selon elle, au « pauvre » Mugabe.
Il est vrai que les régimes occidentaux ont une conception à géométrie variable des «Droits de l’homme». Il est vrai que ces régimes jugent la politique des autres États « non démocratiques » à l’aune de leurs intérêts. Il est que vrai que les preuves ne manquent pas pour étayer cela. Ainsi :
- Quand dans les années 1980, la ZANU de Mugabe libéra par la guérilla contre le régime raciste de Rhodésie, un tiers du territoire, l’Angleterre, la France (aussi avec le PS et le P«C»F au pouvoir), les USA etc. menèrent une politique de «dialogue constructif, de détente » et entretinrent des relations économiques fructueuses avec les régimes d’apartheid d’Afrique du Sud et Rhodésie.
- Comme elle l’a dit, en étant responsables d’au moins un millions de morts en Irak et en Afghanistan, Bush et l’Amérique ne sont nullement au ban de la dite communauté internationale. Le droit d’ingérence humanitaire brandi au nom d’une lutte pour la défense de la « civilisation » contre la barbarie est un moyen hypocrite de protection d’intérêts stratégiques et d’accaparement des gisements du pétrole.
- De toutes les barbaries perpétrées par les pays « civilisés et libres » occidentaux et reconnus parfois par eux-mêmes comme «crimes contre l’humanité», il ne s’en est suivi jusqu’à présent ni jugement, ni condamnation des coupables, ni indemnisations des victimes.
- Henry Kissinger, secrétaire d’État américain, fut le lauréat du prix Nobel de la Paix en 1973 au même moment où les USA continuèrent à bombarder le peuple vietnamien. Un prix évidemment refusé par le co-lauréat le négociateur vietnamien Le Duc Tho.
- Frederick de Klerk ancien dirigeant de l’apartheid fut le lauréat du prix Nobel de la paix au même titre que les oppresseurs israéliens du peuple palestinien Shimon Pérès et Rabin. Tandis que de l’autre côté, les Saddam et Cauecescu sont fusillés avec l’aval ou sans les protestations de l’Occident. Alors que Saddam, avant d’être plus vorace en voulant mettre la main sur les gisements pétroliers koweitiens, fut un fidèle allié de l’Occident qui lui fournit tout le matériel pour gazer les Kurdes Irakiens et pour contenir la «révolution iranienne». Alors que des autocraties corrompues plus ou moins tribales ou moyenâgeuses d’Afrique ou d’Arabie Saoudite peuvent rester tranquilles !
Toutes ces vérités, à savoir le fait que ces critiques occidentaux sont des hypocrites ordures avec le sang dans les mains, ne peuvent nullement servir de caution à une innocence ou une immunité pour Mugabe et son régime. La stratégie argumentative adoptée est la délégitimation des régimes impérialistes occidentaux, anciens alliés, aujourd’hui le lâchant et sa légitimation au simple registre de son passé de combattant anticolonialiste et de bouc émissaire pour couvrir ainsi les crimes de son régime, la dégradation continuée du niveau de vie des masses populaires. Ainsi le gouffre économique et social, la politique de prébendes, de copinage, de castes d’anciens résistants sont occultés.
Les relations actuelles envenimées entre Mugabe d’une part et les Bush, Sarkozy, Merkel etc. d’autre part ne doivent faire illusion. Tout au contraire, ce fut presque une lune de miel entre eux durant longtemps dans le passé.
Dès sa prise du pouvoir, Mugabe prit toutes les mesures susceptibles de rassurer les pays occidentaux, la minorité blanche, les classes moyennes. Ainsi :
- Mugabe maintint à son poste l’ancien chef d’état major de l’armée du régime raciste d’Ian Smith pourtant coupable de massacres de populations civiles durant la guerre de libération. Celui qui usa de la phraséologie marxiste dans le maquis va jeter progressivement ses masques !
- Des représentants de l’aile gauche de son mouvement sont éliminés ou écartés. Tongogara, l’ancien chef militaire de la ZANU meurt dans un accident de voiture jamais élucidé en rentrant dans la capitale à la prise du pouvoir par la ZANU EN VOITURE alors que tous les grands dirigeants rentrèrent par avion. Tékéré, un autre dirigeant de l’aile gauche du mouvement fut écarté.
A l’extérieur de la ZANU, il marginalisa toute opposition, en particulier celle de son grand rival durant la guerre de libération Joshua Nkomo persécuté et mort dans des conditions humiliantes. Tant que Mugabe fut garant d’une paix sociale pour la continuation des bonnes affaires de l’impérialisme, l’Occident lui accorda son soutien. Et Mugabe continua d’être réélu plus ou moins régulièrement.
Le ton changea dans les années 2000, dès qu’avec l’usure du pouvoir, il n’arrivait plus à se faire réélire avec des critères acceptables pour les Occidentaux. C’est seulement en ce moment qu’il se rappela l’engagement de l’Angleterre de financer l’indemnisation des fermiers Blancs dans la réforme agraire programmée. Cette clause financière incombant à l’ancienne puissance coloniale britannique des accords de Lancaster House en 1979 pour l’indépendance du Zimbabwe ne fut jamais respectée par l’Angleterre.
En butte à une impopularité croissante, Mugabe s’empara d’une manière démagogique de la question de la terre pour jeter ses nervis contre les 4000 fermiers Blancs. Alors durant vingt années, il ne se préoccupa du sort désastreux des paysans sans terres, des anciens guérilléros démobilisés. Le régime chassa les fermiers Blancs des terres qui furent livrées à sa CLIENTELE. Avec la désorganisation du secteur agricole consécutive au départ des fermiers Blancs qui en furent les piliers, le Zimbabwe ne fut plus le grenier de l’Afrique australe qu’il était. Conséquences : chute brutale de la production agricole, baisse vertigineuse des recettes d’exportation, famine, exode rural, exode massif de la population vers l’étranger proche ou lointain. La seule mesure tangible prise par le régime face à cette situation fut la création monétaire, la planche à billets. Il en résulta une hyperinflation record devant laquelle l’hyperinflation allemande de 1923 fait pâle figure.
La répression ne fait que s’accroître contre toute opposition politique ou syndicale. Des bidonvilles habités par des couches populaires et des paysans fuyant la misère des zones rurales furent brulés par la police et ses bandes armées auxiliaires. Le gouvernement Zimbabwe gravit chaque jour des sommets de despotisme.
Les élections présidentielles étriquées, (la pression de la rue, la violence pour l’endiguer, le recul par l’acceptation du partage du pouvoir, La perte des élections législatives) ne peuvent être, en aucun cas, uniquement imputables au blocus économique occidental. Le blocus a bon dos pour expliquer la faillite du régime de Mugabe car il est largement contourné avec la complicité des pays limitrophes sans compter les relations économiques du Zimbabwe avec d’autres pays comme la Chine ou la Russie etc.
C’est ce gouvernement que défend Aminata Traoré, qui plus est, avec une méthode inélégante et avec malhonnêteté ! La seule critique formulée à son encontre le fut contre son entourage proche c'est-à-dire l’épouse de Mugabe dont le gout immodéré pour le luxe, les richesses matérielles spoliées est connu. Cette critique est de la même antienne que l’expression en langue Wolof : «Bour Ayoul, dakk ya ay ». Nous n’avons que faire de cette logique de servilité monarchique. L’ Afrique n’a pas seulement besoin d’un radicalisme bâti en termes de diatribes sévères contre la politique impérialiste de L’Europe mais aussi d’une critique sans merci contre les régimes pourris , dictatoriaux, capitalistes ou libéraux de L’Afrique.. Les intellectuels, les partis pour une réelle alternative ne peuvent plus se suffire d’une vieille rhétorique consistant en une simple vision victimaire de l’Afrique par des ennemis extérieurs. Ils veulent se débarrasser d’une oppression, d’une exploitation d’où qu’elles viennent, d’ailleurs et de sa classe dirigeante
C’est pour toutes ces raisons que nous appelons à ne pas signer ce plaidoyer d’Aminata Traoré en faveur du régime autoritaire, corrompu, anti-ouvrier, antipopulaire de Robert Mugabe. Au contraire de toute illusion sur un providentiel sauveur que serait l’Occident ou un Mugabe requinqué ou ragaillardi, le salut du peuple zimbabwéen ne viendra que de lui-même. Il passe par son soulèvement révolutionnaire en écho à la solidarité des peuples d’Afrique australe et des forces progressistes et démocratiques dans le monde entier. Le vrai slogan différent de celui d’Aminata Traoré est le suivant :
NOUS SOMMES TOUS DES ZIMBABWEENS. NOUS NE SOMMES PAS DES MUGABEISTES. NOUS SOMMES POUR DES POUVOIRS POPULAIRES AU SERVICES DES MASSES TRAVAILLEUSES.
Cheikh KASSÉ (seexkasse@yahoo.fr) et Modou Matar DIA (matar@pt.lu)
* En français, «Le Roi n’est pas mauvais, c’est son entourage qui est coupable» ! A supposer qu’on soit d’accord avec l’institution monarchique non symbolique, le monarque est responsable en dernier des actes de son entourage. De deux choses l’une, soit il les a choisis dans ce cas il est incapable de bien choisir ses collaborateurs, soit ces derniers n’en font qu’à leur tête, dans ce cas, il n’est qu’un roi de pacotille qui sert uniquement d’alibi ou de décoration.