L'enseignement au Lycée
Avant les années 2000, les élèves admis au BFEM allaient poursuivre leurs études dans les lycées de Tamba ou de Dakar. Ils etaient confrontés aux mêmes problèmes que leurs ainés collégiens des années 80. Avec l'érection du Collège Waoundé N'diaye en Lycée, les jeunes diplomés n'ont plus besoin de bouger de Bakel pour faire leur Seconde. Ils ne sont plus collégiens mais lycéens. Ils seront confrontés à une autre forme d'autorité. Les fameux surveillants sont désormais remplacés par un censeur. Le principal qui detenait le pouvoir au collège laisse la place à un proviseur. Les jeunes deviennent plus responables et autonomes. Ils n'ont que deux classes à valider avant la fameuse classe de Terminale. Cette classe est le cauchemar de tout lycéen. C'est une étape primordiale et délicate pour tout élève. Elle ouvre la porte de l'Université. Les élèves de Terminale sont comparables à des soldats. Ils ne dorment point et ont toujours leurs cahiers comme armes. Ils réviseront jour et nuit pour maîtriser leur programme. La matière la plus difficile était la philosophie. A Bakel, cette matière était enseignée par un professeur natif de Tivaoune. Il etait petit de taille mais grand d'esprit. Enseigner la philosophie etait un jeu d'enfant pour cet éniment professeur. Il alliait humour et anecdote pour faire comprendre la philo à de jeunes Bakélois. On l'appelait Mbaye Philo. Cigarette à la main, têtes de nègre aux pieds, il parlait et reparlait de Socrates, de Platon et de Hegel. Il avait le verbe facile et ne faisait de cadeau à aucun élève. Pendant neuf mois, il familiarise jeunes filles et jeunes hommes Bakélois à cette matière hautement aléatoire au Baccalauréat. En plus de cette difficile matière, les élèves devraient maîtriser l'histoire et la géographie, les mathématiques, l'anglais et l'espagnol dispensés par d'éminents professeurs. Durant ma Terminale, j'ai été particulièrement marqué par ces hommes venus de lointains villages du Saloum et de Casamance. Ils avaient comme noms : Alvès, Thiam, Fall, Faye, Thiaw, Cissé, Dieng, N'dour, Datt, Diallo, Diouf, Sall... Des noms typiquement sénégalais. Notez qu'autrefois, l'enseignement dans les Lycées Sénégalais était dispensé par des professeurs blancs. Ces noms marquaient la rupture d'avec l'enseignement colonial. A Bakel, les élèves étaient particulièrement marqués par cette classe. Non seulement, la Terminale leur offrait la clef des universités sénégalaises mais aussi celles occidentales. Mieux, réussir sa classe de Terminale donnait le droit de quitter Bakel. Bakel, la cité mystérieuse et aimée ! Quitter cette fameuse ville était la principale motivation.
Comme l'examen du BFEM, le Baccalauréat se passait au mois de Juillet. Cet examen était particulièrement difficile. Garçons et filles avaient la pression pendant toute la durée des épreuves. Le Baccalauréat se déroulait en deux étapes : le premier tour et le deuxième tour. Pendant deux jours, les élèves se frotteront aux difficiles épreuves. Dés la fin des épreuves, les copies sont envoyées à Tambacounda. Bakel ne disposait pas de Jury. Le sort de nos frères et soeurs se décidait dans la capitale du Sénégal oriental. Pendant deux jours, ils attendront les résultats. De bouche à oreille, ils seront informés du jour de la délibération. Il avait toujours lieu en soirée. Contrairement à l'examen du BFEM, les résulats du Baccalauréat étaient communiqués par téléphone depuis Tamba. Les élèves attendaient dans la cour de l'école. Les visages étaient graves. Personne n'avait le sourire. Chacun pensait à son sort. Les plus courageux jouent au Football dans la cour de l'école ou au damier pendant que les stressés avaient des larmes aux yeux.
Vers vingt heures, le coup de fil allertait tous les élèves. Chacun se mettait à prier. Le proviseur et le censeur concoctent la fameuse liste des admis. Quelques heures après, ils ouvraient la fenêtre de leur bureau et se mettaient à donner les résultats. Devant les candidats et les curieux, le censeur se met à appeler les noms de nos bacheliers. Pendant que les uns criaient de joie les autres se lamentaient. Les élèves qui n'ont pas encore enttendu leurs noms gardent espoir jusqu'à la clôture de la liste. A la prononciation du mot "Fin de liste", la cour de l'école se transformait aux murs de lamentations. Les ajournés seront soutenus par leurs amis et parents pendant que les admis dansent et sautent de joie. L'admission au Baccalauréat n'est toujours pas une fin en soi.
Je me rappelle encore du film de mon examen de Baccaleuréat. Après la fin des épreuves, je partageais mon quotidien avec deux de mes amis. On était confiant mais on avait peur. Pendant deux jours, je ne pris aucune douche. Je mangeais à peine. Le jour de la délibération, accompagnés de mes deux chers amis, on prit le chemin du Lycée de Bakel. Arrivés sur place, on se mit à prier. Dés que nos trois noms furent appelés par le censeur, on a pris nos jambes à nos coups. On a courru pendant des kilomètres sans se rendre compte de la lointaineté qui séparait nos dimiciles du Lycée. Dés que l'on arriva au niveau de la maison d'un de mes amis, celui-ci sauta un mur de cinq mètres et scandait : " Maman ! J'ai mon bac ". Ses frères et soeurs criaient et le félicitaient. Il était l'ainé et la fierté de sa famille.Je poursuivis mon chemin avec mon autre ami. Nos deux chemins se séparèrent un kilomètre après, j'arriva enfin chez moi .
Je vivais avec mes grands – parents. Dés que je franchis la porte de la maison. J'ai crié : " J' ai mon Bac "... Je chantais et dansais. Quelques minutes après, on me dit : " Eh calme toi ! Ne nous fatigue pas ! Le bac c'est quoi ". Leur réaction ne me perturba point. Ces vieilles personnes ne savaient pas la valeur d'un tel examen. Je sortis comme un chat de chez moi et prit le chemin du domicile de mes amis. Ces derniers prenaient le thé. Dés qu'ils m'aperçoivent, ils me demandèrent si j'avais mes résultats. Je repondis affirmatif. Tout le monde se mit à danser et à scander mon nom. Pendant plusieurs jours, mes amis et moi fûmes les vedettes de la ville. Avant nous, il y avait bien des bacheliers mais notre promotion avait battu des records au niveau départemental. Bakel était fier de nous. Les fils de cultivateurs et d'artisants que nous sommes venaient de titiller les fils de fonctionnaires. On venait de montrer à la jeune génération que la réussite est au bout de l'effort. Cette réussite au Baccalauréat marquait une nouvelle ère. La nouvelle génération avait désormais un repère.
Les Soninkes ont toujours eu des enfants studieux et intelligents. Malgré qu'ils accordaient peu d'importance à l'école française, certains de leurs fils ont redoré le blason des Soninkes depuis belle lurette. Depuis des décénnies, les Soninkes ont eu des avocats, des ingénieurs, des professeurs d'universités. Ces enfants Soninkes ont fait leur classe hors de leur terroir. Ils ont battu des records loin de leurs parents. Aujourd'hui, les jeunes Soninkes ont les écoles devant leurs maisons. Les sacrifices de la vieille génération ne sont plus de vieux souvenirs. Les ventres vides, les fagots de bois, les kilomètres parcourus garnissent désormais les musées virtuelles du monde Soninke. La nouvelle génération devait pérpétuer cet héritage. Mais aujourd'hui, bon nombre d'entre eux voient l'école comme une perte de temps. Beaucoup bénéficient de nationalité française et rêvent de la belle vie française au détriment des diplômes. Malheureusement la France n'est qu'un mirage. Ils délaissent l'école dés qu'ils obtiennent leurs passeports. Malheureusement la France n'est qu'un mirage. Sans diplôme, les jeunes Soninkes finissent éboueurs, agents de sécurité voire chômeurs malgré l'avantage de la double nationalité.
A quand le changement radical des mentalités ?
Samba Fodé Koita dit Makalou
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