Le Docteur KOITA Tidiane dit Tidiani Mpaly est né le sept décembre mil neuf cent cinquante huit à Kaédi, au sud de la Mauritanie en bordure du Fleuve Sénégal. De Kaédi à Nouakchott et de Marrakech à la France, « le parcours inachevé d’un enfant noir » semble quand même bien comblé. Après avoir décroché un diplôme d’architecture à Marrakech, ville dont il a du mal à oublier les souvenirs, le Docteur KOITA Tidiane continuera sa quête « inachevée » du savoir qui le conduira en France où il obtiendra un Doctorat d’Urbanisme et d’Aménagement à l’Université de Paris VIII. Décoré comme chevalier de l’Ordre National du Mérite en 2006, le Docteur Koita a occupé plusieurs postes de responsabilité dont le plus récent est lié à sa nomination comme Directeur Général Adjoint des services de la ville de Beauvais. Le Docteur Tidiane Koita fait partie de cette catégorie d’hommes au dessus de la tempête des ego. Affable, facile d’approche, simple et respectueux, le Docteur Koita est apprécié de tous. Très impliqué dans l’associatif, Docteur Koita Tidiane est le Président actuel de la SEKAD (Solidarité et Entraide Kaédi-Djéol). C’est grâce à cette simplicité de vie et cette facilité d’approche que le Docteur Koita a bien voulu nous accorder l’entretien qui suit :
ocvidh: Bonjour Docteur KOITA.
Docteur KOITA: Bonjour.
ocvidh: Exercice certes difficile et périlleux à la fois que de parler de soi mais nos internautes seraient curieux de vous connaître. Pour ce faire, je vous prie, Docteur, de bien vouloir vous présenter ?
Docteur KOITA: Je suis originaire de Kaédi (Mauritanie) et vis en France depuis 27 ans après avoir séjourné 4 années durant à Marrakech (Maroc) dans le cadre de mes études supérieures. Comme beaucoup d’enfants du sud mauritanien, j’ai reçu une rigoureuse éducation à travers diverses initiations…
ocvidh: Votre parcours tant estudiantin que professionnel est régulier et couronné de succès. Pour retenir celui de la France, donc professionnel. De la Mairie d’Aulnay sous bois à Beauvais l’on ne tarit pas d’éloges à votre égard. Comment expliquez-vous un tel intérêt porté à votre personne ?
D.K: Je ne sais pas si l’on ne tarit pas d’éloges sur moi. Mais je suis convaincu que la réussite passe nécessairement par la rigueur et le sérieux à moins qu’on ne l’hérite. Peut-être que mon profond respect pour les gens me rend aussi respectable à leurs yeux.
ocvidh: Vous venez d’être élevé au rang de Directeur général Adjoint et sous vos ordres plus de cinq cents collaborateurs. Pouvez-vous nous parler de cette nouvelle ascension ?
D.K: Seul le travail paie. Je pense être rigoureux, travailleur et professionnel. C’est toujours avec conviction et engagement que je porte et conduis les missions et les responsabilités qui me sont confiées. Ma nouvelle ascension est liée à ces exigences.
ocvidh: Quelle recette(s) donneriez vous aux jeunes pour cet exemple de rigueur de sérieux et de pugnacité qui vous caractérisent ?
D.K: L’éducation est importante pour le parcours d’un Homme. Comme l’a si bien dit Ibn Khaldun dans la Muqadima « l’Homme est le fils de ses habitudes ». La recette de la réussite réside dans l’engagement et la ténacité.
ocvidh: Docteur, on vous connaît aussi le talent d’écrivain. Parlez-nous de votre livre, le parcours inachevé d’un enfant noir ?
D.K: Le parcours inachevé d’un enfant noir est un essai biographique où j’avais envie de parler un peu de moi, mais aussi beaucoup de chaque enfant du sud mauritanien. Bien sûr ma particularité me distingue des autres. Elle est caractérisée par les rapports que j’ai eus avec mon oncle maternel qui m’a donné beaucoup d’amour, par la rupture précoce avec ma ville natale, par les nombreux voyages et amitiés que j’ai développés avec des gens très différents de moi. Cet ouvrage raconte un peu ma quête de la compréhension des gens et mon amour pour des territoires insolites et dépaysants…
ocvidh: Pourquoi le prénom Bangali et que représente ce personnage pour vous ?
D.K: Bangali est un de mes anciens esclaves (rire) ! L’utilisation de ce prénom soninké est en partie une manière d’exprimer ma nostalgie vis-à-vis de Kaédi d’une certaine époque. C’est aussi une manière de rendre hommage à un enfant de Gattaga (le quartier de mon enfance) qui était apprécié de tous même s’il était extrêmement turbulent. L’aimable turbulence caractérisait tous les enfants du « ghetto ».
ocvidh: À vous lire Docteur dans ce livre, vous nous apprenez que vous devez beaucoup de choses à votre oncle Fodié Isma KOITA, que DIEU l’agrée dans la communauté des croyants tout en lui concédant une place de choix dans son Jardin Eternel, lui-même un fervent défenseur des libertés parmi les 19, comme on le dit en Mauritanie, c’est-à-dire les dix-neuf prisonniers politiques Kadehines de 1966.Quelles étaient vos relations avec cet oncle qui vous a tant marqué ?
D.K: Mon oncle (que Dieu ait pitié de son âme et l’accueille dans son illustre Paradis) m’a tout donné. Je voudrai que tous les oncles soient un peu comme lui. Nous étions très proches. Il m’a aimé et a façonné ma pensée. Il m’a ouvert sur le monde et m’a appris à respecter autrui et à être un bon croyant ; ce qui a fait de moi un homme tolérant et exigeant… Cette éducation participe pleinement aujourd’hui encore à ma manière de construire mes rapports aux gens.
ocvidh: Dans votre livre vous nous parlez de votre fascination pour la ville Marrakech. En tant qu’urbaniste, pourquoi une telle fascination?
D.K: Pas seulement en tant qu’urbaniste. Mais aussi en qualité d’aventurier en quête constante de changement. J’aime cette ville qui est devenue au fil du temps une partie de moi. Elle est enivrante, dépaysante et attachante. J’ai rarement rencontré des personnes indifférentes du charme de Marrakech, de sa beauté, de sa chaleur… Elle mérite d’être une compagne de tous les temps.
ocvidh: L’enfant de Gattaga que vous êtes, vous avez gravi des échelons en France jusqu’à devenir ce responsable aujourd’hui et à ce un niveau aussi élevé que convoité. Pourquoi la méritocratie n’arrive pas à se faire valoir dans notre pays, la Mauritanie ?
D.K: Oh la Mauritanie ! C’est mon pays natal. Un pays atypique que j’aime profondément malgré les nombreuses déceptions qu’il m’a parfois procurées. Je pense et j’espère y être un jour utile pour les questions d’emploi, d’urbanisme, d’insertion et de gestion municipale entre autres. Mais les discriminations y sont encore tellement fortes que les compétences sont négligées. Lorsqu’on gère un pays comme une famille, il est évident que l’on n’est pas toujours juste dans les choix et les décisions… Je ne désespère cependant pas de ce pays qui a de grandes ressources humaines et naturelles et qui peut surprendre à tout moment.
ocvidh: Pensez-vous que la discrimination positive soit une bonne chose, alors que des intellectuels comme vous font chaque jour leurs preuves depuis des années au niveau des Collectivités locales ?
D.K: Je ne crois qu’aux compétences et à l’évolution des mentalités. Toute initiative qui se décrète et qui est imposée atteint vite ses limites. Il est préférable, à mon sens, sans tabou, de promouvoir des gens compétents quelque soit leur origine, leur couleur, leur religion. La discrimination positive à des conséquences qui pourraient être terribles. Si l’on discrimine de manière positive par rapport à la couleur, pourquoi ne discrimine-t-on pas aussi par rapport aux orientations sexuelles, à l’appartenance religieuse…
ocvidh: Votre voiture connaît-elle toujours par « cœur le chemin qui mène à Aulnay sous bois », pour citer une de vos anecdotes ?
D.K: Elle connaît toujours le chemin qui mène à Aulnay-sous-Bois même si elle ne s’y rend plus le plus souvent. D’ailleurs, elle me demande d’y tenter une implantation politique (rire).
ocvidh: Parlez-nous de vos débuts en tant qu’habitant d’Aulnay sous bois, en voyant des « carcasses de voitures sur un terrain vague » quand vous ouvrez votre fenêtre, pour vous citer encore ?
D.K: Lorsque je m’installais à Aulnay-sous-Bois, il y a 18 ans, l’avenir était plus sombre. J’étais beaucoup plus jeune et ne savais pas trop là où la vie me conduirait. Mais j’avais une intime conviction ; à savoir aider les gens. Cela m’a d’ailleurs amené très vite à créer une association « jeunes dans la ville » qui a vocation à aider les jeunes en difficultés à mieux poursuivre leur scolarité…
ocvidh: Comment voyez vous l’avenir des enfants issus de l’immigration, vous qui avez travaillé dans les politiques des villes en Ile de France?
D.K: Je voudrai croire et espérer un avenir radieux pour eux. Ils ont tout pour réussir si d’abord les parents tournent leur esprit vers la France. S’ils leur apprennent depuis la tendre enfance qu’ils sont français et rien d’autre. Il est important d’inculquer dans leur tête qu’ils sont d’ici et non d’ailleurs. On ne peut pas défendre avec conviction une famille si l’on ne s’y sent appartenir… S’ils intègrent cela, rien ne pourra les empêcher de réussir, d’occuper de hautes fonctions et d’être finalement heureux dans leur véritable
ocvidh: L’espoir est-il permis de voir d’autres KOITA Tidiane, d’autres Ali Soumaré et de croire à leur ascension fulgurante dans la sphère politico-économique de la France ?
D.K: Bien sûr, mais à condition de se sentir français et de croire en soi…
ocvidh: En tant qu’intellectuel comblé et un professionnel hors pair, après plusieurs années de travail en France, quels enseignements pouvez-vous tirer de votre expérience et en donner une interprétation à la situation de notre pays d’origine, la Mauritanie, sur le plan politique, économique et social?
D.K: La Mauritanie est un beau pays. Il pourra être attachant si les conditions d’une meilleure cohabitation entre ses différentes composantes sont réunies, si la gestion des richesses s’effectue dans l’intérêt du peuple, si les efforts sincères sont faits pour mettre l’administration en marche… Mettre en place un réel système démocratique qui rend tous les mauritaniens égaux face à l’emploi, à la réussite est indispensable. Malgré les changements politiques récents, les mauritaniens sont toujours en attente de véritables prises en compte de leurs attentes. La situation sociale est catastrophique. Pour y remédier, il est impératif de créer un grand ministère, structurée autour de l’emploi et de l’insertion, et doté de véritables moyens et objectifs pour lutter contre la pauvreté. Le président des pauvres (rire) devra méditer cette idée qui mérite d’être réactualiser pour faire reculer l’exclusion,la misère et le chômage. Encourager et accompagner l’initiative privée en l’organisant me semble utile aussi pour faire progresser la question de l’emploi. Enfin, organiser finement la gestion de nos villes de « l’intérieur » en les dotant de réels équipes techniques, de moyens financiers suffisants et de projets clairs constituent une voie supplémentaire pour sortir la Mauritanie de la crise économique, sociale et urbaine qu’elle traverse depuis l’indépendance et que rien ne semble changer le sens…
ocvidh: Quel(s) message(s) avez-vous à adresser aux internautes de notre site ocvidh en particulier et aux internautes du monde entier en général qui vous liront ?
D.K: Il ne faut jamais avoir peur de rêver, changer le monde ou de réussir où que l’on se trouve. Barak Obama a été élu président des Etats Unis d’Amérique. Il n’est donc plus interdit de croire que le monde ne sera plus jamais comme il fut avant cette élection…
ocvidh: Une dernière question d’une actualité, hélas, triste et qui vient de tomber avant le bouclage de l'entretien !
DIA Ousmane Samba(Dieu l'agrée dans Sa Sainte Miséricorde) qui vient de nous quitter n’avait de cesse de manifester son amour pour les Kaédiens et pour tout ce qu’ils entreprennent. Et pour concrétiser tout cela, il avait adhéré à la SEKAD (Solidarité et Entraide Kaédi-Djéol) association dont vous êtes le Président. Et c’est cette même association qui a fait face à toute la partie financière pour le rapatriement du corps de notre illustre défunt de frère en Mauritanie.
Quelles analyses faites-vous de cette situation exceptionnelle d’un homme exceptionnel?
D.K: Dia Ousmane est un homme intègre. Loyal, il a fait constamment preuve d'une haute considération des autres. L'attachement qu'il a porté à Kaédi et au kaédiens n'est pas surprenant car il est vraiment kaédien dans l'âme. Je l'ai toujours connu dans la construction du consensus. Respectueux de ses semblables, il a marqué les gens qui l'ont connu; ce qui atteste d'ailleurs de l'affluence de personnes venues témoigner leur fidèle amitié à sa famille. Il laissera un vide, surtout chez ses compatriotes du village... La vie est cruelle. Ainsi, il n'a pas échappé à la loi divine: vous êtes crée pour mourir. Il a rejoint d'autres hommes intègres. Que son âme repose en paix dans le Paradis!
Nous vous remercions Docteur KOITA pour avoir répondu à nos questions.
Entretien réalisé par
DIAGANA Cheikh
Secrétaire général Adjoint ocvidh