Arrêté à Paris, puis expulsé vers son pays, Sema Camara a retrouvé les siens après dix ans d'absence.
«Sema est là, Sema est revenu!» Le cri a jailli des cases en banco du petit village de Koungo, perdu dans la fournaise du Sahel, à 500 kilomètres de Bamako, au milieu d'une mer de sable parsemée de végétation rachitique. En baskets neuves et tee-shirt à la gloire des «sans-papiers en lutte», Sema Camara, 30 ans, ancien gréviste de la faim de l'église Saint-Bernard, vient de faire son entrée escorté d'une nuée d'enfants. Récemment expulsé de France, il n'avait pas remis les pieds depuis dix ans dans son Mali natal. Tout le monde est heureux de le revoir. Les femmes chantent en tapant des mains. On tue une chèvre pour le dîner, on déplie les nattes devant la maison de ses parents, où la fête va durer toute la nuit.
«Peu importe qu'il revienne les mains vides, du moment qu'il est resté honnête et en bonne santé», assure sa mère. Le fils prodigue distribue les salutations à la ronde, mais son sourire de circonstance masque en fait un profond malaise. «Je ne pourrais plus me réhabituer à vivre ici, c'est trop dur», soupire-t-il le lendemain dans le jardin de son père, au milieu des pieds de mil desséchés. Il fait 40 degrés à l'ombre. La rivière qui passe près de là est à sec. Il n'y a pas d'électricité au village, on trouve un puits en guise d'eau courante, et la cabine téléphonique la plus proche est à deux heures de mauvaise piste. Sema n'a d'autre perspective que de se retrouver cultivateur dans ce désert. Alors, à peine arrivé, il songe déjà à s'échapper.
Depuis des générations, les jeunes paysans soninké ont quitté leurs lopins misérables pour chercher fortune ailleurs.
Partir: plus qu'une nécessité, c'est ici une tradition. Depuis des générations, les jeunes paysans soninké ont quitté leurs lopins misérables pour chercher fortune ailleurs. D'abord en Afrique, puis en France, où on les a accueillis à bras ouverts à partir des années 60 - avant de les trouver aujourd'hui indésirables. Ces «francemanes», comme on les appelle ici, ne représentent qu'une infime partie de la population étrangère de l'Hexagone - on les estime à environ 70 000, clandestins et réguliers confondus. Mais, depuis le fameux charter des «101 Maliens», en 1986, jusqu'au récent mouvement des sans-papiers, le débat sur l'immigration s'est focalisé sur eux.
Peut-être parce qu'ils évoquent l'image trop simple de l'étranger envahisseur: pauvre, noir et musulman. Ceux qui en ont peur ne les connaissent pas. Ils vivent en général repliés dans les foyers de la région parisienne, en partageant des dépenses limitées à l'essentiel, afin d'envoyer au pays la plus grande partie de leurs revenus. Cet argent n'est pas seulement destiné aux familles: une partie est versée aux associations villageoises, qui regroupent les expatriés d'une même région, où elles financent des équipements collectifs. Ainsi, à Farabougou (où un des expulsés de l'église Saint-Bernard n'est autre que le fils du chef de village), les francemanes ont construit une école, une pharmacie et un dispensaire.
A Lambidou, une grande mosquée, une coopérative et un hôpital sont sortis de terre grâce aux subsides des exilés. Mais cette solidarité exemplaire ne s'applique pas partout. Le hameau voisin de Fatao, à moins de 2 kilomètres, végète dans le dénuement complet. Les émigrés y sont pourtant aussi nombreux, mais ils n'ont rien investi ici. On cherche l'explication. On vous répond «regroupement familial»: les hommes de Lambidou ont l'habitude de partir seuls, alors que ceux de Fatao font venir en France leurs femmes et leurs enfants. Comme il leur faut pour cela justifier de ressources suffisantes et d'un logement assez grand, ils quittent le foyer pour louer un appartement en ville, et n'ont plus les moyens de cotiser pour le village...
Expulsions musclées
Depuis trente ans, les francemanes constituent une des principales sources de richesse de la région. Mais la manne s'épuise inexorablement, avec le durcissement des lois sur l'immigration et la multiplication des opérations de reconduite à la frontière. Sema n'est pas près d'oublier son expulsion, plutôt mouvementée, qui lui a valu de faire trois fois le trajet entre la France et le Mali en l'espace de quarante-huit heures! Arrivé en France en 1992 après un séjour au Gabon, le jeune Malien, débouté du droit d'asile, survivait à Paris de petits boulots dans le bâtiment lorsqu'il s'est fait arrêter dans le métro, le 20 mars dernier.
Deux jours plus tard, il est poussé dans un avion d'Air Maroc à destination de Bamako, en compagnie de deux fonctionnaires de la Dicilec, l'ancienne Police de l'air et des frontières. A l'escale de Casablanca, il faut changer d'appareil: les policiers confient leur protégé au commandant de bord et le laissent continuer tout seul. Mais, arrivé à destination, il est refoulé… par les douaniers maliens, qui trouvent que son laissez-passer n'est pas en règle: il y manque le tampon du consulat. Ils remettent illico Sema dans l'avion vers Paris.
A Casablanca, il retrouve les deux policiers médusés, qui le reconduisent menotté jusqu'à Orly, lui retamponnent un papier et le renvoient le lendemain matin sur un vol direct d'Air France. Cette fois, les gabelous le laissent sortir. Il se retrouve à Bamako en chemise et en pantalon, avec pour tout viatique un billet de 100 francs et quelques tickets de métro. Hébergé par un cousin, il a dû attendre trois semaines pour recevoir ses bagages, expédiés par un compatriote.

Source: L'indicateur Renouveau du 20 septembre 2007 , Mali Informations: Actualité, infos Mali, Afrique