Ancienne capitale du royaume du Gadiaga au 16e siècle où les Bathily ont toujours constitué et continuent d’être encore la dynastie régnante, Tuabou veut retrouver son souffle. Cette localité dont l’existence remonterait à plus de 1400 ans fut la résidence traditionnelle des Tounka et a servi de point stratégique au vaillant combattant Mamadou Lamine Dramé en 1886. Tuabou qui boit aujourd’hui le calice jusqu’à la lie, veut rayonner et faire de son passé sa nouvelle attraction.
C’est une lapalissade que de dire que nos compatriotes n’ont pas de connaissances géographiques très poussées. Il suffit de poser à un citoyen vivant dans n’importe quelle région une simple question sur une localité pour s’en convaincre. À Bakel, notre équipe a fait cette expérience en voulant localiser la position du royaume du Gadiaga (pays de la guerre).
À notre grande surprise, nous avons perdu beaucoup de salives avant d’avoir la bonne information. Dire que la ville de Bakel elle-même est située dans cet ancien royaume fondé par des Soninkés qui portaient le nom de famille Bakiri ou Bathily, et qui n’ont même pas eu à livrer de batailles pour s’installer dans la région. Ce royaume médiéval semble aujourd’hui avoir disparu des cartes et même…des mémoires. Selon le professeur d’histoire Abdou Khadre Tandia, « le Gadiaga était une zone de peuplement soninké. Les habitants étaient installés après le déclin de l’empire du Ghana entre le XIe et le XIIIe siècle. Avant 1833, le Gadiaga était un seul État, séparé en deux par la Falémé. En aval du confluent de cette rivière s’étendaient le Goye et le Kaméra en amont ». Baigné par le fleuve Sénégal et la Falémé, le Gadiaga s’étendait sur les terres limitrophes des républiques du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie. Cependant, son histoire est parmi celles de toutes les provinces africaines de l’Ouest la plus confuse et la plus mal connue.
C’est une lapalissade que de dire que nos compatriotes n’ont pas de connaissances géographiques très poussées. Il suffit de poser à un citoyen vivant dans n’importe quelle région une simple question sur une localité pour s’en convaincre. À Bakel, notre équipe a fait cette expérience en voulant localiser la position du royaume du Gadiaga (pays de la guerre).
À notre grande surprise, nous avons perdu beaucoup de salives avant d’avoir la bonne information. Dire que la ville de Bakel elle-même est située dans cet ancien royaume fondé par des Soninkés qui portaient le nom de famille Bakiri ou Bathily, et qui n’ont même pas eu à livrer de batailles pour s’installer dans la région. Ce royaume médiéval semble aujourd’hui avoir disparu des cartes et même…des mémoires. Selon le professeur d’histoire Abdou Khadre Tandia, « le Gadiaga était une zone de peuplement soninké. Les habitants étaient installés après le déclin de l’empire du Ghana entre le XIe et le XIIIe siècle. Avant 1833, le Gadiaga était un seul État, séparé en deux par la Falémé. En aval du confluent de cette rivière s’étendaient le Goye et le Kaméra en amont ». Baigné par le fleuve Sénégal et la Falémé, le Gadiaga s’étendait sur les terres limitrophes des républiques du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie. Cependant, son histoire est parmi celles de toutes les provinces africaines de l’Ouest la plus confuse et la plus mal connue.
Une cité mediévale qui a fait son temps
Situé à 8 km au nord de Bakel, chef-lieu de département, et à 18 km de Moudéry, chef-lieu d’arrondissement, Tuabou est limité à l’est par le fleuve Sénégal, à l’ouest par les mares Lothiandou et Bassam. Ce village qui s’étend sur une superficie de 2 km2 a joué un rôle important dans l’histoire du Gadiaga sous le règne des Bathily. Le village est administré par un chef de village, Demba Tacko Bathily. Pour nous parler de l’histoire de ce village dont sont originaires Abdoulaye Bathily, Samba Traoré, Mady Bathily, Mamadou Demba Ciré Bathily, père de Me Demba Ciré Bathily, et Demba Traoré, actuel procureur de Tamba, le chef de village a convoqué les 5 chefs de quartier de sa localité et tous les notables à la place publique où se prenaient les importantes décisions.
Un délicieux parfum de nostalgie plane chez les vieux qui remontent un peu dans le temps et ne parlent de leur village qu’au passé. Selon Koly Bathily, Tuabou ou Ti yobou signifie « dit oui » et a joué le rôle de capitale du Gadiaga. « Il fut la résidence traditionnelle des Tounka qui en assuraient la souveraineté. Son fondateur Samba Woury Bathily s’est d’abord installé à la rive droite, avant de traverser et de s’établir définitivement sur l’actuel site », explique M. Bathily. Selon lui, « Tuabou a connu deux types de chefferies : les Tounka rois et les chefs de village, tous issus de la famille des Bathily ». La dignité de Tounka, selon le professeur Abdou Khadre Tandia, était réservée au plus âgé des Bathily, à condition qu’il ne soit pas aveugle, paralytique ou lépreux. « Au-dessous de la famille princière des Bathily venaient les castes maraboutiques, les hommes libres, les castes d’artisans et les captifs », a fait savoir M. Tandia. Selon M. Koly Bathily, Tuabou a été fondé en 1201. Mais, selon certains récits, le village a été créé en 564, tandis que d’autres rapportent que sa création remonte en 525.
En 1964, raconte Daman Bathily, trois jeunes sont venus de Guédé (département de Podor) pour s’imprégner de la carte d’identité de Tuabou. Ils ont demandé la date de création de Tuabou parce que dans un passé lointain, il n’y avait que Guédé, Godo et Timbou. Ils ont trouvé sur place le chef de village et les notables Almamy Damba, Mamadou Mody, Boubou Ndiaye, Madjiguy Bathiliy. Après de longs échanges, ils avaient convenu que Tuabou avait 1400 ans et se sont accordés sur cela. Pour les sages de Tuabou, aucun village n’est plus âgé que le leur. « Tuabou est le plus ancien royaume de cette localité. Même s’il n’existe aucun écrit pour le vérifier. Il se raconte même qu’à cette époque où les Bathily venaient s’installer à Tuabou, le fleuve Sénégal n’était qu’un petit cours d’eau », soutient-il.
Elle fut la capitale du royaume qui était prospère. Car le Gadiaga exploitait les mines d’or de la Falémé et était considéré comme « le pays de l’or ». Le royaume vivait du commerce. Les colons français qui y étaient installés payaient un tribut au Tounka pour franchir le fleuve Sénégal qui traverse le royaume, a été source de conflit au sein de la famille régnante qui fut à l’origine de la séparation des deux Goye. Selon M. Tandia, l’unité étatique du Gadiaga fut rompue en 1833. « A ce moment, il y a eu la séparation entre les Bathily du Gadiaga et ceux du Kaméra à la suite d’une querelle occasionnée par le partage des taxes prélevées sur les bateaux français commerçant sur le fleuve ». Selon certains récits, « après la guerre civile qui avait éclaté, le Gadiaga fut partagé en deux : l’État du Goye dont le chef résidait à Tuabou, et l’État du Kaméra qui résidait Makhana. L’État du Goye, plus proche du Fouta Toro, prit parti pour la guerre sainte que menait le toucouleur El Hadj Omar Tall au Soudan occidental, tandis que l’État du Kaméra prit parti pour le royaume bambara du Kaarta. Le royaume étant complètement divisé, les colons en profiteront pour annexer le Gadiaga à la fin du XIXe siècle ».
Tuabou a servi de point stratégique au vaillant combattant Mamadou Lamine Dramé en 1886. « Lors de l’attaque du fort de Podor, Mamadou Lamine Dramé est venu voir le Tounka pour l’aider à combattre les blancs. Dans un premier temps, il a refusé, mais ses alliés l’ont poussé à accepter. Dès que Tuabou est entré dans la danse, toutes les populations ont accepté de livrer bataille, qui était celle de la religion », rapporte Koly Bathily. Les habitants de Tuabou se sont taillés une honorable réputation lors de la bataille de Sangsangué à 7 km de Tuabou. Ses différents rois ont aussi signé beaucoup de pactes avec Faidherbe.
L’intronisation des tunkas
Tuabou a connu plusieurs rois dont les plus connus restent Samba Khoumba Diaman, Boubacar Soulé, Samba Diangou, Ma Naye, Sina Hawa, Moussa Kissi, Demba Silly, Mamadou Samba, Mody Diarra, Samba Soulé, Demba Diangou, Samba Kadiata. Selon Koly Bathily, Konko Gola fut le dernier Tounka que connut le royaume. Aux temps, l’intronisation du Tounka était un événement de grande envergure pour tout le royaume du Gadiaga. Elle donnait lieu à une cérémonie rituelle solennelle et grandiose. Ce cérémonial qui était en même temps une occasion de présentation au public du nouveau souverain, ne se déroulait pas entre quatre murs. Il se déroulait sur la place publique, devant les notables et dignitaires, les membres de la famille royale et les populations. Le nouveau roi est soumis à une série de rites et prête serment. Même avec la séparation des deux Goye en 1833, le Kaméra et le Gadiaga, tous les Bathily, ceux de Tuabou et de Makhana qui sont de la même famille, se retrouvent à Dramani. Pendant une semaine, c’est les danses et les chansons. Après cela, il n’y a que deux personnes qui ont droit à la parole : la famille Sownéra, la famille Sougounanko, chef des Mangus. Tout ce qu’il avait, il le partageait avec les Mangou et lui n’avait rien. Le chef des charpentiers, complètement masqué, venait ensuite placer le bonnet sur la tête du Tounka. On lui donne enfin des recettes pratiques qui sont de nature à lui permettre de mener à bien sa lourde tâche. Entre temps, il y a eu des batailles, les blancs sont venus et ont changé les choses. Mais aujourd’hui encore, Tuabou garde son royaume. La structure sociale est fondée sur une organisation traditionnelle avec une chefferie du village. Tous les chefs des 74 villages de l’arrondissement de Moudéry ont choisi le chef de village de Tuabou comme président. Son influence est encore considérable malgré les découpages administratifs.
4600 habitants
Telle une dame qui a passé sa jeunesse à se faire coquette et avec qui le temps a été impitoyable ; le village prospère, qui connut auparavant un passé aussi riche que ses voisins, croule sous le poids de l’anonymat. Complètement oublié, ce village n’a pas évolué dans le bon sens. Tuabou est presque dépourvu de plusieurs commodités essentielles pour le cadre de vie de ses résidants.
Ce village compte aujourd’hui une population de plus de 4600 habitants dont la majorité est soninké musulmane. On y note la présence d’une communauté halpulaar, des bambaras, des wolofs. L’activité principale repose essentiellement sur l’agriculture (sorgho, riz, arachide, maïs...), mais aussi sur la pêche, l’élevage et l’artisanat. Les activités agricoles sont pratiquées toute l’année. « Les populations s’adonnent au maraîchage, à la culture de décrue et contre-saison. A la mare de Lothiandé, il y a 25 ha irrigués pour des spéculations comme le chou, l’oignon, la salade, etc. Pour ce qui concerne la culture de décrue, il y a plus de 200 ha sous-exploités à cause du niveau d’eau qui peut changer d’une année à l’autre. A la mare de Bassam également, 12 ha sont emblavés », souligne Tapa Bathily. La pêche est collectivement pratiquée dans les mares par la population autochtone de tous les villages du Gadiaga ».
MANQUE D'ASSAINISSEMENT, D’EAU POTABLE, DE PISTE D’ACCES... : TUABOU SE SENT EXCLU DU RESTE DU PAYS
Tuabou se sent oublié par les autorités locales et les pouvoirs publics. Ses habitants de Tuabou ne se sentent vraiment pas inclus dans le circuit du développement qui se construit dans leur pays, tant l’écart se creuse d’une façon dramatique avec les autres localités.
À Tuabou, seuls les écoles, le collège et le poste de santé témoignent de la présence de l’État. Sinon, tous les autres aspects de la vie villageoise sont supportés par les citoyens. « L’agriculture est fortement développée ici, malheureusement, il y a un problème d’écoulement des produits. Au bout du compte, nous nous retrouvons avec beaucoup de patates qui pourrissent à cause de l’état de la route. En 2007, pour quitter Diawara et aller à Bakel, il fallait faire quatre heures alors que les deux localités ne sont distantes que de 15 km au plus », explique Koly Bathily. Selon lui, les villageois ont un chapelet de projets parmi lesquels la réalisation d’un réseau d’assainissement, la redistribution de l’eau potable et le revêtement de sa piste d’accès. On n’a plus besoin de latérite, mais de route bitumée.
Depuis quelques années, les habitants de Tuabou se sentent exclus. Et devant un tel sort, les gens se sont tournés, des décennies durant, vers l’immigration. (Tuabou connaît le mouvement inverse avec une forte présence de Maliens et de Gambiens). Aujourd’hui, le village de Tuabou ne compte pas moins de 320 émigrés localisés en France, aux États-Unis, en Afrique centrale, etc. Et cette communauté immigrée, selon M. Bathily, s’attèle à combler les carences de l’État. « Le village s’émancipe petit à petit grâce à l’abnégation de ses filles et fils. À 95%, ils participent à tout. Surtout au financement des infrastructures collectives comme les mosquées, les marchés, les salles de classe, etc. », soutient-il.
Aujourd’hui, ce village médiéval aspire à devenir chef-lieu de la communauté rurale pour avoir plus de pouvoir et assurer son rayonnement. « Un gros village comme Tuabou, avec plus de 4000 habitants, mérite plus qu’un statut de village. Depuis trois ans, il y a eu une marche dans l’arrondissement pour ériger Bakel en région. Tuabou aurait été alors chef-lieu d’arrondissement. Nous avions même investi plus de 20 millions pour construire une maison d’accueil afin de disposer de locaux au cas il y aurait eu un découpage. Depuis, rien n’a été fait. D’autres découpages ont été réalisés et à ce rythme, Tuabou qui dépend toujours de Moudéry risque de se retrouver tout seul ». Pour le chef de village, Tuabou, avec son histoire, mérite mieux. Et face aux changements qui tardent à venir, les habitants de cette localité sollicitent l’intervention des nouvelles autorités afin de les sortir de l’oubli et des privations qui leur sont imposés depuis des années.
Reportage de Samba Oumar FALL, Souleymane Diam SY (textes)
et Habib DIOUM (photos), Lesoleil.sn
Situé à 8 km au nord de Bakel, chef-lieu de département, et à 18 km de Moudéry, chef-lieu d’arrondissement, Tuabou est limité à l’est par le fleuve Sénégal, à l’ouest par les mares Lothiandou et Bassam. Ce village qui s’étend sur une superficie de 2 km2 a joué un rôle important dans l’histoire du Gadiaga sous le règne des Bathily. Le village est administré par un chef de village, Demba Tacko Bathily. Pour nous parler de l’histoire de ce village dont sont originaires Abdoulaye Bathily, Samba Traoré, Mady Bathily, Mamadou Demba Ciré Bathily, père de Me Demba Ciré Bathily, et Demba Traoré, actuel procureur de Tamba, le chef de village a convoqué les 5 chefs de quartier de sa localité et tous les notables à la place publique où se prenaient les importantes décisions.
Un délicieux parfum de nostalgie plane chez les vieux qui remontent un peu dans le temps et ne parlent de leur village qu’au passé. Selon Koly Bathily, Tuabou ou Ti yobou signifie « dit oui » et a joué le rôle de capitale du Gadiaga. « Il fut la résidence traditionnelle des Tounka qui en assuraient la souveraineté. Son fondateur Samba Woury Bathily s’est d’abord installé à la rive droite, avant de traverser et de s’établir définitivement sur l’actuel site », explique M. Bathily. Selon lui, « Tuabou a connu deux types de chefferies : les Tounka rois et les chefs de village, tous issus de la famille des Bathily ». La dignité de Tounka, selon le professeur Abdou Khadre Tandia, était réservée au plus âgé des Bathily, à condition qu’il ne soit pas aveugle, paralytique ou lépreux. « Au-dessous de la famille princière des Bathily venaient les castes maraboutiques, les hommes libres, les castes d’artisans et les captifs », a fait savoir M. Tandia. Selon M. Koly Bathily, Tuabou a été fondé en 1201. Mais, selon certains récits, le village a été créé en 564, tandis que d’autres rapportent que sa création remonte en 525.
En 1964, raconte Daman Bathily, trois jeunes sont venus de Guédé (département de Podor) pour s’imprégner de la carte d’identité de Tuabou. Ils ont demandé la date de création de Tuabou parce que dans un passé lointain, il n’y avait que Guédé, Godo et Timbou. Ils ont trouvé sur place le chef de village et les notables Almamy Damba, Mamadou Mody, Boubou Ndiaye, Madjiguy Bathiliy. Après de longs échanges, ils avaient convenu que Tuabou avait 1400 ans et se sont accordés sur cela. Pour les sages de Tuabou, aucun village n’est plus âgé que le leur. « Tuabou est le plus ancien royaume de cette localité. Même s’il n’existe aucun écrit pour le vérifier. Il se raconte même qu’à cette époque où les Bathily venaient s’installer à Tuabou, le fleuve Sénégal n’était qu’un petit cours d’eau », soutient-il.
Elle fut la capitale du royaume qui était prospère. Car le Gadiaga exploitait les mines d’or de la Falémé et était considéré comme « le pays de l’or ». Le royaume vivait du commerce. Les colons français qui y étaient installés payaient un tribut au Tounka pour franchir le fleuve Sénégal qui traverse le royaume, a été source de conflit au sein de la famille régnante qui fut à l’origine de la séparation des deux Goye. Selon M. Tandia, l’unité étatique du Gadiaga fut rompue en 1833. « A ce moment, il y a eu la séparation entre les Bathily du Gadiaga et ceux du Kaméra à la suite d’une querelle occasionnée par le partage des taxes prélevées sur les bateaux français commerçant sur le fleuve ». Selon certains récits, « après la guerre civile qui avait éclaté, le Gadiaga fut partagé en deux : l’État du Goye dont le chef résidait à Tuabou, et l’État du Kaméra qui résidait Makhana. L’État du Goye, plus proche du Fouta Toro, prit parti pour la guerre sainte que menait le toucouleur El Hadj Omar Tall au Soudan occidental, tandis que l’État du Kaméra prit parti pour le royaume bambara du Kaarta. Le royaume étant complètement divisé, les colons en profiteront pour annexer le Gadiaga à la fin du XIXe siècle ».
Tuabou a servi de point stratégique au vaillant combattant Mamadou Lamine Dramé en 1886. « Lors de l’attaque du fort de Podor, Mamadou Lamine Dramé est venu voir le Tounka pour l’aider à combattre les blancs. Dans un premier temps, il a refusé, mais ses alliés l’ont poussé à accepter. Dès que Tuabou est entré dans la danse, toutes les populations ont accepté de livrer bataille, qui était celle de la religion », rapporte Koly Bathily. Les habitants de Tuabou se sont taillés une honorable réputation lors de la bataille de Sangsangué à 7 km de Tuabou. Ses différents rois ont aussi signé beaucoup de pactes avec Faidherbe.
L’intronisation des tunkas
Tuabou a connu plusieurs rois dont les plus connus restent Samba Khoumba Diaman, Boubacar Soulé, Samba Diangou, Ma Naye, Sina Hawa, Moussa Kissi, Demba Silly, Mamadou Samba, Mody Diarra, Samba Soulé, Demba Diangou, Samba Kadiata. Selon Koly Bathily, Konko Gola fut le dernier Tounka que connut le royaume. Aux temps, l’intronisation du Tounka était un événement de grande envergure pour tout le royaume du Gadiaga. Elle donnait lieu à une cérémonie rituelle solennelle et grandiose. Ce cérémonial qui était en même temps une occasion de présentation au public du nouveau souverain, ne se déroulait pas entre quatre murs. Il se déroulait sur la place publique, devant les notables et dignitaires, les membres de la famille royale et les populations. Le nouveau roi est soumis à une série de rites et prête serment. Même avec la séparation des deux Goye en 1833, le Kaméra et le Gadiaga, tous les Bathily, ceux de Tuabou et de Makhana qui sont de la même famille, se retrouvent à Dramani. Pendant une semaine, c’est les danses et les chansons. Après cela, il n’y a que deux personnes qui ont droit à la parole : la famille Sownéra, la famille Sougounanko, chef des Mangus. Tout ce qu’il avait, il le partageait avec les Mangou et lui n’avait rien. Le chef des charpentiers, complètement masqué, venait ensuite placer le bonnet sur la tête du Tounka. On lui donne enfin des recettes pratiques qui sont de nature à lui permettre de mener à bien sa lourde tâche. Entre temps, il y a eu des batailles, les blancs sont venus et ont changé les choses. Mais aujourd’hui encore, Tuabou garde son royaume. La structure sociale est fondée sur une organisation traditionnelle avec une chefferie du village. Tous les chefs des 74 villages de l’arrondissement de Moudéry ont choisi le chef de village de Tuabou comme président. Son influence est encore considérable malgré les découpages administratifs.
4600 habitants
Telle une dame qui a passé sa jeunesse à se faire coquette et avec qui le temps a été impitoyable ; le village prospère, qui connut auparavant un passé aussi riche que ses voisins, croule sous le poids de l’anonymat. Complètement oublié, ce village n’a pas évolué dans le bon sens. Tuabou est presque dépourvu de plusieurs commodités essentielles pour le cadre de vie de ses résidants.
Ce village compte aujourd’hui une population de plus de 4600 habitants dont la majorité est soninké musulmane. On y note la présence d’une communauté halpulaar, des bambaras, des wolofs. L’activité principale repose essentiellement sur l’agriculture (sorgho, riz, arachide, maïs...), mais aussi sur la pêche, l’élevage et l’artisanat. Les activités agricoles sont pratiquées toute l’année. « Les populations s’adonnent au maraîchage, à la culture de décrue et contre-saison. A la mare de Lothiandé, il y a 25 ha irrigués pour des spéculations comme le chou, l’oignon, la salade, etc. Pour ce qui concerne la culture de décrue, il y a plus de 200 ha sous-exploités à cause du niveau d’eau qui peut changer d’une année à l’autre. A la mare de Bassam également, 12 ha sont emblavés », souligne Tapa Bathily. La pêche est collectivement pratiquée dans les mares par la population autochtone de tous les villages du Gadiaga ».
MANQUE D'ASSAINISSEMENT, D’EAU POTABLE, DE PISTE D’ACCES... : TUABOU SE SENT EXCLU DU RESTE DU PAYS
Tuabou se sent oublié par les autorités locales et les pouvoirs publics. Ses habitants de Tuabou ne se sentent vraiment pas inclus dans le circuit du développement qui se construit dans leur pays, tant l’écart se creuse d’une façon dramatique avec les autres localités.
À Tuabou, seuls les écoles, le collège et le poste de santé témoignent de la présence de l’État. Sinon, tous les autres aspects de la vie villageoise sont supportés par les citoyens. « L’agriculture est fortement développée ici, malheureusement, il y a un problème d’écoulement des produits. Au bout du compte, nous nous retrouvons avec beaucoup de patates qui pourrissent à cause de l’état de la route. En 2007, pour quitter Diawara et aller à Bakel, il fallait faire quatre heures alors que les deux localités ne sont distantes que de 15 km au plus », explique Koly Bathily. Selon lui, les villageois ont un chapelet de projets parmi lesquels la réalisation d’un réseau d’assainissement, la redistribution de l’eau potable et le revêtement de sa piste d’accès. On n’a plus besoin de latérite, mais de route bitumée.
Depuis quelques années, les habitants de Tuabou se sentent exclus. Et devant un tel sort, les gens se sont tournés, des décennies durant, vers l’immigration. (Tuabou connaît le mouvement inverse avec une forte présence de Maliens et de Gambiens). Aujourd’hui, le village de Tuabou ne compte pas moins de 320 émigrés localisés en France, aux États-Unis, en Afrique centrale, etc. Et cette communauté immigrée, selon M. Bathily, s’attèle à combler les carences de l’État. « Le village s’émancipe petit à petit grâce à l’abnégation de ses filles et fils. À 95%, ils participent à tout. Surtout au financement des infrastructures collectives comme les mosquées, les marchés, les salles de classe, etc. », soutient-il.
Aujourd’hui, ce village médiéval aspire à devenir chef-lieu de la communauté rurale pour avoir plus de pouvoir et assurer son rayonnement. « Un gros village comme Tuabou, avec plus de 4000 habitants, mérite plus qu’un statut de village. Depuis trois ans, il y a eu une marche dans l’arrondissement pour ériger Bakel en région. Tuabou aurait été alors chef-lieu d’arrondissement. Nous avions même investi plus de 20 millions pour construire une maison d’accueil afin de disposer de locaux au cas il y aurait eu un découpage. Depuis, rien n’a été fait. D’autres découpages ont été réalisés et à ce rythme, Tuabou qui dépend toujours de Moudéry risque de se retrouver tout seul ». Pour le chef de village, Tuabou, avec son histoire, mérite mieux. Et face aux changements qui tardent à venir, les habitants de cette localité sollicitent l’intervention des nouvelles autorités afin de les sortir de l’oubli et des privations qui leur sont imposés depuis des années.
Reportage de Samba Oumar FALL, Souleymane Diam SY (textes)
et Habib DIOUM (photos), Lesoleil.sn