Autrefois, c’était les "3V" (villa, voiture, verger), aujourd’hui, ce sont les "JTH" (Jakarta, téléphone, hôtel). Ce qu’on prétend être la révolution du téléphone est en train de changer les mœurs et la société. Chacun a désormais son portable: du simple badaud de la rue au pousseur de charrette, en passant par le vendeur de cacahuètes. Chez Malitel et Ikatel, il y en a pour tous, à tous les prix et pour tous les goûts. Quel que soit le métier que l’on exerce, le portable permet de raccourcir les distances.
Au premier chef, il est donc d’ordre utilitaire car sur place on peut prendre rendez-vous en évitant les déplacements inutiles. Mais le hic est que les Maliens sont pauvres. Posséder un portable n’est rien, mais l’alimenter à satiété est une autre paire de manche.
Et c’est là où la plupart des usagers se cassent les dents: de 2 500 à 10 000 francs la carte, ce sont des tarifs prohibitifs pour des gens aux revenus dérisoires et en quête sans cesse du quotidien.
Aussi le téléphone apparaît-il davantage comme une affaire de riches et donc un objet de luxe. Fatigués de porter un si lourd fardeau, certains en ont fait un objet de décoration en le portant au cou comme un pendentif.
Au tout début, ce fut la ruée sur l’or mais seuls quelques privilégiés pouvaient en acquérir. Et les rares types qui en avaient "faisaient le malin" en l’exhibant dans les bus et les sotramas au vu et au su de tout le monde.
Question de se montrer important aux yeux de la société même si on n’a rien en poche. Mais à présent que tout le monde en a, seule une simple sonnerie brise la monotonie ambiante où met fin à l’ivresse d’un cercle de joyeux lurons. Impossible n’est pas malien, a-t-on coutume de dire. Pauvreté n’est pas vice, certes, mais pauvreté mène à tout.
Les Maliens ont solution à tout. Avant tout on est au pays de la débrouillardise et de l’ingéniosité. Aussi, pour contourner l’obstacle de la carte électronique les idées voire les astuces ne manquent pas.
Pour téléphoner on demande à brûle pourpoint: "as-tu du crédit?", "as-tu une unité pour moi?" Mais pas d’unité, pas de crédit, tout le monde est à plat ventre. Alors, que faire? On ne cherche pas midi à quatorze heures.
Bipez, bipez, il en sortira toujours quelque chose. Il y en a qui bipent à longueur de journée et certains Maliens passeront toute leur vie à biper, faute de crédit, l’essentiel étant que la ligne ne soit pas coupée. Mais ceux qui bipent sont encore des privilégiés à côté de ceux qui n’ont aucun rond dans leur appareil pour biper.
Autant dire que l’heure de la révolution du téléphone n’a pas encore sonné. Il y aura beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Mais peut être est-ce mieux ainsi car le portable, on l’emploie à toutes les fins.
Dès le départ, certains ayatollahs avaient dénoncé ce gadget de luxe comme un objet de prostitution. N’ont-ils pas raison car des filles de la "high class" et des femmes de haut voltige s’en servent pour prendre des rendez-vous galants: téléphone, jakaarta, hôtel, la chose est vite réglée et chacun y trouve son compte.
Si les Chinois ont promis, paraît-il, de donner une moto à chaque Malien, ils en donneront aussi à tous les bordels. Pour les hommes "rendez-vous ce soir chez Fatoumata" comme le chante si bien "Las Maravillas de Mali".
Le portable, un danger public au service du commerce de la chair, cause d’accidents de la circulation et de maladies congénitales? Chacun y trouve sa religion. Après tout, Lucifer vit et supporte les flammes de l’enfer!