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Un cadre de TF1 hostile à la loi Hadopi a écrit à sa députée, Françoise de Panafieu. Qui a fait suivre à la ministre de la Culture. Qui a transmis à la chaîne. Qui l’a licencié.

par Isabelle Roberts, Raphaël Garrigos Liberation.fr

C’est le premier martyr d’Hadopi. Cet homme de 31 ans, Jérôme Bourreau-Guggenheim, respon­sable du pôle innovation web de TF1, a été, selon nos informations, licencié pour avoir critiqué le projet de loi Création et Internet (Hadopi). Allons bon. Mais il y a mieux : si Jérôme Bourreau a été viré par la Une, c’est suite à une dénonciation du… ministère de la Culture dont l’hôte, Christine Albanel, est l’artisan de la fameuse loi qui doit réprimer le téléchargement illégal. Et la chaîne qui a abouti au licenciement ne serait pas complète sans mentionner la députée UMP de Paris Françoise de Panafieu  : c’est auprès d’elle que Jérôme Bourreau s’est ouvert de ses critiques envers Hadopi. Critiques transmises au ministère de la Culture qui les a transmises à TF1. Résultat : à la porte.

L’histoire commence le 19 février. Ce jour là, Jérôme Bourreau, qui habite le XVIIe arrondissement de Paris, décide d’écrire à sa députée, Françoise de Panafieu. Le sujet : Hadopi. « Je suivais ça avec beaucoup d’attention, raconte Jérôme Bourreau à Libération, j’avais beaucoup lu sur la question, c’est un sujet qui me touche, d’abord parce que c’est mon métier, et puis parce que je suis passionné par le Web. » Le nouveau et rutilant site de TF1, c’est lui. Pourquoi Panafieu ? « Mes parents m’ont toujours appris que quand on n’est pas d’accord, plutôt que de critiquer, il faut agir. » Alors il écrit, par mail, à Françoise de Panafieu, tout le mal qu’il pense de Hadopi. Ce mail, il l’envoie de son adresse personnelle, chez Gmail. D’abord, il se présente : études à Dauphine (où, badine-t-il, il a rencontré le neveu de Panafieu), « diverses responsabilités dans le secteur des nouveaux médias » et aujourd’hui « responsable du pôle innovation web » de TF1. Puis il déroule en termes mesurés son argumentaire anti-Hadopi. Qu’il conclut ainsi : « Madame la députée, je compte sur ­votre clairvoyance pour porter ma voix. »
Mais sa voix va porter beaucoup plus loin. Le 4 mars, il est convoqué par Arnaud Bosom, président de eTF1 qui s’occupe des activités numériques de la Une. « Et là, raconte Jérôme Bourreau, il me lit le mail mot à mot  ! Et me dit qu’il ne peut pas laisser passer ça, que je n’ai pas le droit d’avoir cette opinion. Mais moi, je ne me suis pas écrasé, mon opinion est libre, et surtout je l’avais exprimée à titre privé dans une correspondance privée  ! » Comment le mail envoyé à Panafieu atterrit-il sur le bureau de Bosom ? Il lui explique que c’est le ministère de la Culture qui l’a transmis. A Jean-Michel Counillon, directeur juridique de TF1, même si aujourd’hui, officiellement, la Une dit n’en rien savoir. En avril, Bourreau est ­convoqué à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Et c’est jusqu’au licenciement que TF1 va.
Le 16 avril, Jérôme Bourreau reçoit sa lettre de « licenciement pour divergence forte avec la stratégie » de TF1. Etonnante lettre, dont Libération a eu copie  : le groupe y reproche à son salarié son mail à Panafieu « par lequel [il] fais[ait] valoir, en tant que salarié du groupe, [son] hostilité au projet de loi Création et Internet ». Et TF1 l’écrit noir sur blanc  : « Cette correspondance nous est parvenue via le cabinet du ministre de la Culture qui l’a adressée le jour même à la société TF1. »

Mais le meilleur est à venir : « Nous considérons cette prise de position comme un acte d’opposition à la stratégie du groupe TF1 [pour qui] l’adoption de ce projet de loi est un enjeu fort », écrit la DRH. Avant de reprocher à Bourreau d’avoir « mis [le] groupe en difficulté, [sa] position faisant apparaître le défaut d’alignement d’un responsable “web” avec la position officielle défendue par la direction. » On résume  : en plus de la délation, on apprend que Hadopi est un enjeu fort de la stratégie de TF1, qui défend officiellement la loi. Ce qui laisse songeur quand on voit, sur le sujet, le manque d’objectivité des JT de la Une. Interrogé par Libération, un porte-parole de TF1 tente de se rattraper aux branches et évoque des « prises de position anti-Hadopi publiques de Jérôme Bourreau à l’intérieur de l’entreprise ». Ce qui n’est pourtant pas mentionné dans la lettre de licenciement.

Jérôme Bourreau lui est « dégoûté » : « La stratégie de TF1, ironise t-il, c’est de gagner de l’argent, pas de soutenir une loi. » Son avocat, Me Emmanuel Noirot, est en train de saisir les prud’hommes : « Pour licenciement injustifié dans la mesure où l’opinion de mon client est une opinion privée politique mais aussi technique sur Hadopi et que, selon le code du travail, un employé ne peut pas être discriminé en fonction de ses opinion politiques. » Me Noirot saisit également la Halde : « C’est une discrimination, un délit d’opinion, c’est purement scandaleux », assène-t-il.

Chez Françoise de Panafieu, où l’on se souvient du mail, on « tombe du platane »  : « J’ai trouvé le mail intéressant, explique Marie-Christine Méchet, son attachée parlementaire, je l’ai transféré au cabinet du ministère pour obtenir un argumentaire. » Méchet, à qui Libération a appris le licenciement de Jérôme Bourreau, se dit « hallucinée : c’est extrêmement grave ». Au ministère de la ­Culture, on ne cache pas son embarras : « Nous sommes extrêmement surpris. » Et si on se souvient du mail, on ne sait pas comment il a atterri à TF1. Evidemment  : quand apparaissent au grand jour les liaisons dangereuses entre le ministère de la Culture de Nicolas Sarkozy et la chaîne privée détenue par son meilleur ami Martin Bouygues, ça fait désordre.
Tchooo