Les rapports familiaux se sont transformés, celui qui vit et travaille en France est valorisé et on lui accorde volontiers la main d’une jeune fille plutôt qu’au pauvre paysan resté au village. Désormais, la coopérative est devenue le grenier de chaque maison ; et ce sont les migrants qui remplissent les greniers et non plus les récoltes des "grand champ" de la famille, cultivé jadis sous l’autorité du kagumé, c’est-à-dire le plus âgé et le plus haut placé dans la généalogie familiale. Ce pouvoir du cadet de passer commande à la coopérative à partir de Paris accélère les mutations dans les rapports cadets aînés. Ces rapports sont de plus en plus dominés par le pouvoir économique des migrants. On peut affirmer, sans risque de se tromper, que dans la région du fleuve, l’émigration joue dorénavant un rôle moteur dans la reproduction sociale, tout en contribuant paradoxalement à transformer radicalement les bases culturelles de la société soninkée.
Les migrants pour échanger efficacement avec les villages, ont, dès l’époque de la construction des mosquées, créé des structures-images dans les villages et dans les capitales. Dans les capitales, ils ont renforcé le rôle de "la chambre du village," s’il en existe, et les structures-images qui y fonctionnent facilitent la fonction relais avec le village. Les villageois installés dans la capitale s’occupent de tout ce qui est administratif concernant par exemple les envois de containers remplis de médicaments ou de livres au village.
Quant aux structures-images implantées au village, elles réalisent selon leur domaine de compétence, les différents projets dans une dialectique d’échanges complexes d’informations avec les groupes de référence des émigrés, par exemple le groupe qui s’occupe de la pharmacie peut être différent de celui qui s’occupe de l’école, ou de la coopérative d’achat, en tout cas, tous les groupes travaillent en collaboration étroite avec le chef de village et son représentant en France. L’idée d’un projet, selon le cas, peut provenir du village ou des émigrés ; elle est soumise ensuite aux deux assemblées villageoises ( celle de France et celle du village) avant d’être adoptée et mise en pratique.
La synergie d’échanges en tous genres avec les villages a impulsé le regroupement de plusieurs villages dans la migration et au pays en vue de coordonner leurs efforts à travers des projets plus lourds ; des fédérations d’associations villageoises et des réseaux sont nés de cette collaboration comme Jama-jigui, Guidimaxa-Jikké, Jombouxou, Gajaga, ou le "Réseau des associations pour le développement du fleuve Sénégal" initié par l’institut PANOS, dont l’objectif, semble t-il, est d’améliorer les conditions du partenariat, de la vie associative, de la formation, et une meilleure information entre partenaires. L’institut PANOS jouerait la fonction d’appui institutionnel, elle collabore déjà avec le centre de formation de Bakel, et la Radio rurale de Kayes. Ce réseau de fait, englobe le GRDR, l’UNESCO, les différents bailleurs de fond comme les ministères et les ONG qui ont pignon sur rue en Afrique.
Ces échanges avec les villages ont créé des lieux de pouvoir et de négociation collective où quelques individus tentent de remettre en cause les anciens rapports de domination entre les nobles, leurs descendants d’esclaves et leurs artisans ; mais l’imaginaire populaire, malgré ces changements économiques n’a pas encore changé dans bien des domaines concernant les relations sociales. Même si l’on fait de plus en plus appel aux capacités et aux compétences individuelles des cadets et des groupes dominés, (surtout en France) l’endogamie de caste, tout comme l’allégeance des cadets envers leurs aînés et des descendants d'esclaves et niaxamala envers les nobles, demeurent des pratiques implicites encore vivaces.
b) Les effets économiques des projets sur le développement des pays d'origine
1) Les effets économiques
Les mandats, les virements bancaires, l’argent sous le manteau, etc... tous ces mouvements de capitaux vers le pays d’origine, constituent une source providentielle de devises pour les pays en développement. Ces devises contribuent efficacement à la recherche d’équilibre des budgets nationaux.
L’émigration stimule l’activité bancaire, le commerce, le bâtiment et le transport au niveau national, malgré la faiblesse des taux nationaux d’émigration vers l’Europe et la France, surtout depuis 1975. Mais le dynamisme des régions d’émigration crée des emplois, attire d’autres nationaux, stimule les usines de production de ciment et de des matériaux de construction du bâtiment et des travaux publics. Les migrants achètent des maisons dans la capitale, investissent dans le commerce, le transport comme les taxis et les minibus. On ne dispose pas dans les statistiques nationales de données spécifiques à ces investissements, qui, me semble t-il, sont considérés comme des investissements intérieurs qui contribuent en tous les cas à l’augmentation du revenu national.