2°) Le Bilan de la migration
Le "prix" des départs et les retombées de l’émigration dans la région du fleuve Sénégal.
A ma connaissance aucune étude globale n’a été réalisée ayant pour objectif la mesure de l’impact des départs massifs de jeunes émigrés de la région du fleuve sur le développement de leurs pays respectifs ; même si de sérieux travaux statistiques ont tenté d’en saisir des pans essentiels (cf bibliographie de ma thèse) ce travail reste à faire. J’essaierai, de me placer du point de vue des pays fournisseurs de main-d’oeuvre , point de vue différent, on le conçoit aisément, de celui des pays d’accueil, pour proposer quelques lignes de force.
En effet, le prix du départ du pays d’origine ne se limite pas seulement à la perte de l’investissement matériel nécessité par l’éducation et la formation des jeunes qui émigrent. Le manque à gagner peut être estimé aussi en termes de prix symbolique, car on observe une transformation radicale du lien social entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés ; ces départs brusques et massifs provoquent également une rupture de la chaîne de transmission des savoirs, des savoir-être et des savoir-faire entre les anciens et les plus jeunes qui ne peuvent pas encore partir. En toute logique, ce sont ceux qui sont en âge de travailler qui auraient dû être chargés de l’éducation des plus jeunes et ils s’en vont. Le rapport actifs/inactifs, homme/femme, est déséquilibré du fait du départ massif des hommes. Sur la longue durée, l’émigration crée la dépendance extérieure qui peut, si l’on n’y prend garde, annihiler l’esprit d’initiative des populations restées et accentuer chez elles le goût, voire l’obsession du départ. Elle contribue à réduire le volume de la production agricole et artisanale et à réduire le prestige jadis lié au statut de bon paysan.
La fuite des cerveaux et des spécialistes (peu nombreux parmi les premières vagues, mais en nombre significatif à partir des années quatre-vingt) est préjudiciable à des pays qui en sont démunis. Bref, on a pu dans la sous-région, observer un net recul du dynamisme démographique, productif, socioculturel et politique (surtout dans les années soixante-dix). Parmi les inconvénient, notons que l'arrivée massive d'autres nationaux dans ces régions sape les fondements de la culture locale même si elle apporte un main d'oeuvre à bas prix. Elle apporte aussi pour le cas du Sénégal des commerçants Baol-Baol très organisés.
En revanche, parmi les avantages de l’émigration, pour les pays de départ, on peut signaler le soutien pécuniaire aux familles restées, l’acquisition de devises, la baisse du chômage, du sous-emploi, de la pression démographique, et de la contestation politique. La mise en relief du rôle de la femme qui devient une pièce maîtresse du système productif et de l’éducation des enfants, et qui participe activement au développement. On constate partout dans le monde, que la main d’oeuvre est devenue pour les pays pauvres un bon produit d’exportation, indispensable à leur équilibre budgétaire (balance de paiements) et qui leur permet d’augmenter de manière appréciable les investissements, l’épargne voire le revenu national par tête d’habitant et l’activité.
Par ailleurs, on observe chez les émigrés une acquisition de compétences diverses utilisables au retour et une autonomisation des femmes à l’étranger grâce au système juridique du pays d’accueil, au travail salarié et aux échanges interculturels entre femmes dans les quartiers des banlieues. Dans les pays d’origine, ils achètent des biens de consommation durables et des maisons, ils investissent, bien qu’inégalement, dans tous les secteurs de l’économie. Ils accroissent à coup sûr les échanges entre leur pays d’origine et le monde extérieur par les contacts multiples qu’ils tissent à l’étranger en particulier avec les ONG, les communes du Nord, voire avec les Etats.