Idée reçue n°2 : Le crédit islamique n’est rien d’autre qu’un crédit ribawi déguisé.
Faux. Commençons par un constat somme toute trivial : le fait que deux choses se ressemblent, ou que deux actions conduisent à un même résultat en apparence, n’implique en rien qu’elles soient de même nature ou, dans le cadre d’une analyse juridique islamique (fiqh), qu’elles aient le même statut. Ainsi, pour prendre un exemple concret, rien ne permet de différencier un steak provenant d’un animal abattu conformément au rite musulman d’un steak provenant d’un autre animal. Pourtant, si la consommation du premier est licite (halal) pour le musulman, celle du second ne l’est pas : le fait qu’ils aient la même apparence ou le même goût ne change rien à cette réalité.
C’est en gardant à l’esprit ce constat que l’on se doit d’aborder la comparaison entre le financement islamique et le crédit ribawi. Par « financement islamique », il faut entendre, dans cet article, le montage financier qui consiste à acheter un bien à un prix P par une banque islamique puis revendu à un prix P+M , M étant la marge réalisée par la banque lors de la revente du bien au client. Ce montage – achat puis revente avec marge bénéficiaire -, très répandu dans les banques islamiques, s’appelle la « murabaha ».
Bref retour aux sources
Le fait que la murabaha et le crédit ribawi se ressemblent et que ces deux opérations conduisent à un résultat comptable apparemment similaire ne peut, en aucune façon, justifier qu’on les assimile l’un à l’autre, qui plus est dans le domaine des transactions où la règle originelle et première est la permission. En d’autres termes, on ne peut qualifier une opération commerciale ou financière d’illicite et d’interdit qu’en se basant sur une source juridique valide dans le droit musulman (Coran, enseignement du Prophète Muhammad – sallallâhu ‘alayhi wa sallam -, consensus des savants compétents…) et non sur une analogie superficielle et dénuée de toute force probante.
Dans son acception originelle, tel qu’elle a été défini par les anciens juristes musulmans, la murabaha est un contrat de vente dans lequel le vendeur indique à l’acheteur le prix de revient de la marchandise qu’il lui propose et, par conséquent, le montant précis de sa marge bénéficiaire. C’est cette simple transaction, dont le caractère licite ne peut faire l’objet d’aucun doute, qui a été aujourd’hui aménagée pour être transformée en un mode de financement : l’individu qui désire faire l’acquisition d’un bien sans tomber dans le ribâ approche un établissement financier islamique et lui demande d’acheter le bien concerné pour le lui revendre ensuite avec une marge définie (le règlement étant effectué généralement de façon différée, suivant un échéancier convenu entre les deux parties).
Le bénéfice réalisé par la banque est ainsi le fruit d’une vente et ne peut, en aucune façon, être comparé à du ribâ… sauf à agir comme les quraïchites païens de La Mecque qui disaient : « Certes, la vente est similaire au ribâ. » Ce à quoi Dieu répondit : « Et Allah a rendu la vente licite et a interdit le ribâ. » (Sourate 2, v 275), dernier verset révélé sur ce sujet et venant une bonne fois pour toutes poser clairement l’interdiction du ribâ.
Il est d’ailleurs important de souligner que si le bien arrivait à être détruit entre l’achat et la revente, ce serait la banque (et non le client final) qui aurait à supporter la perte en tant que propriétaire …
Quelques critiques infondées
Le caractère licite de la murabaha est parfois remis en question en raison du fait que, à aucun moment, la banque n’a l’intention d’acquérir le bien pour elle-même : elle agit dans le seul but de pouvoir revendre l’objet concerné au client final et de réaliser ainsi un bénéfice par le biais de son intermédiation. Ce qui rapproche son attitude de celle du banquier conventionnel qui, en octroyant des crédits, n’a d’autre but que de se servir une rémunération. A cette objection, nous répondrons simplement que, dans le droit musulman, la licéité d’un d’achat n’a jamais été conditionnée au fait que l’objet acquis soit destiné à un usage personnel : sinon, c’est l’activité de l’ensemble des commerçants qu’il faudrait condamner, vu qu’ils ne font qu’acheter des biens dans le but de les revendre…
Une autre critique à l’encontre de la murabaha est que cette opération n’est qu’un subterfuge visant à contourner l’interdiction du ribâ. Nos références religieuses interdisent sévèrement le recours à ce genre de méthodes de contournement… Par rapport à ce point, il est important de rappeler qu’il y a une différence de taille entre :
- avoir recours à une ruse dans le but de transgresser, de façon détournée, une interdiction. Ce comportement a effectivement été réprouvé durement dans plusieurs énoncés du Coran et de la sunna. Voir par exemple le récit coranique des gens du samedi (ashâb us-sabt).
- avoir recours à une manœuvre autorisée dans le but de parvenir à un objectif licite tout en évitant un acte interdit. Cette attitude, qui est justement celle qui motive le recours à la murabaha pour éviter le recours au crédit ribawi, ne constitue nullement un péché. Au contraire, lorsqu’on revient vers les hadiths, on constate que le Messager d’Allah (sallallâhu ‘alayhi wa sallam) a lui-même enseigné parfois un tel procédé :
Abu Saïd Al-Khudrî (radhia Allâhu ‘anhu) raconte (qu’une fois), Bilâl (radhia Allâhu ‘anhou) ayant apporté au Prophète (sallallâhu ‘alayhi wa sallam) des dattes (de bonne qualité) dites « barnî », l’Envoyé d’Allah (sallallâhu ‘alayhi wa sallam) lui demanda d’où provenaient ces dattes. Bilâl (radhia Allâhu ‘anhou) répondit : « J’avais des dattes de mauvaise qualité et je les ai vendues, en donnant deux sâ’ [unité de mesure employée à l'époque], contre un sâ’ de barnî que je destine à la nourriture du Prophète (sallallâhu ‘alayhi wa sallam) ». L’Envoyé d’Allah (sallallâhu ‘alayhi wa sallam) s’exclama alors : « Hélas ! Hélas ! Mais c’est du pur ribâ ! N’agis plus ainsi et, si tu veux acheter (des barnî), vends les dattes (de qualité inférieure) contre autre chose et achète ensuite (des barnî avec le bien acquis) ».
La murabaha reste un outil de financement très répandu dans les institutions financières et banques islamiques. Si cette technique s’est autant développée, c’est parce que le montage est relativement simple à mettre en place sur les plans juridique et fiscal. Cela dit, d’autres outils un peu plus complexes ont vu le jour depuis plusieurs années grâce aux spécialistes et savants musulmans. Ils sont basés sur des principes connus comme l’ijara muntahiyah bi tamlik, proche du contrat de location avec option d’achat ou encore (musharaka mutanaqissa), forme de partenariat dégressif par le biais duquel le client et la banque achètent un bien en commun. Puis, le client rachète progressivement les parts de la banque jusqu’à l’acquisition complète du bien immobilier, et donc jusqu’à en devenir l’unique et seul propriétaire. Ce dernier est dans sa conception et dans son esprit beaucoup plus proche des principes généraux de l’éthique musulmane, et d’une certaine façon, plus rassurant pour les consommateurs et les clients non spécialistes.
En revanche, la mise en place de l’ijara muntahiyah bit tamlîk et de la musharaka mutanaqissa nécessite des aménagements juridiques et fiscaux plus complexes à mettre en place (et c’est encore plus compliqué dans les pays non musulmans). Par exemple, si on n’adapte pas la fiscalité, les produits de financement islamique risquent d’être fortement taxés et de coûter chers à leurs bénéficiaires. En Europe, seuls nos voisins britanniques ont pour l’instant su adapter leur cadre juridico-fiscal et ont ainsi permis aux produits islamiques d’être aussi – et même plus – compétitifs que les produits ribawi.
En France, une dynamique a été initiée avec la publication des instructions fiscales sur la murabaha parues en février 2009. Même si elles restent perfectibles, on peut dire qu’elles constituent un bon début… et que comme dans toute chose, il faut bien commencer. Les professionnels de la finance, du droit, ainsi que les spécialistes en shariah sont aujourd’hui aux cotés des savants comme ceux d’ACERFI pour accompagner ce développement.
Source : Idée reçue n°2 : Le crédit islamique n’est rien d’autre qu’un crédit ribawi déguisé by
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