Les présidents Condé, Wade, Sékou Touré et Senghor



Alpha Condé ne crie pas comme Sékou Touré à la 5è colonne. Mais il est formel : Wade veut sa chute. Jammeh aussi. Et l’Histoire bégaie.

Retour sur les années 1970. Le 22 novembre de cette année, Sékou Touré dénonce un débarquement de mercenaires contre son régime. Passés les premiers moments de frayeur, la riposte de Conakry s’organise. Le tribun hors-pair galvanise son peuple et ses nombreux fans en Afrique. Les envahisseurs sont défaits. Mais l’histoire au lieu de finir ne fait que commencer. La redoutable machine de répression du dictateur guinéen enclenche la purge. De nombreux cadres de l’administration et de l’armée sont arrêtés. La « 5 è colonne » grossira, jour après jour, des « ennemis intérieurs » de la Guinée -commode !- déportés, torturés et très souvent assassinés au sinistre Camp Boiro. Mais le complot intérieur, pour Sékou Touré, s’appuie sur des cerveaux et des bailleurs extérieurs. La France naturellement est mise à l’index. Mais ceux qui payent le plus de la rhétorique vénéneuse de Sékou Touré, ce sont deux « suppôts de l’impérialisme » : les voisins Houphouët Boigny et Léopold Sédar Senghor, respectivement présidents la Côte d’Ivoire et du Sénégal. Les rapports ne s’arrangeront véritablement entre les trois chefs d’Etat qu’après la matérialisation de la réconciliation entre la France et la Guinée en 1982. Alpha Condé a alors 44 ans et il est professeur d’université en France. Il a quelque peu calmé son ardeur anti-Sékou Touré, car selon Togba Zoumanigui, un de ses hagiographes, déjà en 1975, Giscard D’Estaing, président à l’époque, lui avait demandé de choisir entre l’opposition au régime guinéen et sa carrière professionnelle.

Les temps du complot permanent

Le Professeur sait-il alors qu’un jour de 2010, il quittera son statut d’opposant permanent pour celui de premier président démocratiquement élu de la Guinée ? C’est en tout cas ce qui arrive ce 21 décembre 2010 où il est investi en l’absence de son malheureux challenger Cellou Dalein Diallo largement vainqueur au premier tour, trois mois plus tôt. C’est que l’entre deux tours ne fut ni bref ni apaisé. Et déjà en octobre l’entourage de Condé s’émeut : il dénonce par voie de communiqué les manœuvres du président Wade contre lui et pour Cellou Dalein. Deux semaines plus tard, le 4 novembre, à quelques jours du second tour, la preuve du complot est établie, à travers la présence à Conakry de Robert Bourgi, « l’ami conseiller de Sarkozy en mission commandée d’Abdoulaye Wade, le Président du Sénégal et de la branche de la Françafrique » croit savoir Radio Kankan dans le fief le plus marqué d’Alpha Condé. Wade n’a-t-il pas d’autres chats à fouetter que de cautionner l’assassinat de son homologue guinéen. Ce dernier n’en est pas si sûr : cela fait plusieurs jours qu’il répète que l’attentat du 19 juillet dernier contre sa personne a été préparé à l’hôtel Méridien de Dakar. Pas seulement à Dakar et pas seulement Wade. Pour Conakry, la Gambie et son président Yaya Jammeh est aussi au cœur du complot. Il est vrai que Tibou Camara, l’ancien sherpa de Sékouba Konaté est le beau-frère de Jammeh, le neveu du Général Nouhoun Thiam arrêté dans le cadre des événements du 19 juillet et qu’il est presqu’indéfectiblement soupçonné d’être un proche de Cellou Dallein Diallo. Toute la trame de l’histoire tumultueuse des relations guinéo-sénégalaises du passé : les mémorables passes d’armes entre Senghor et Sékou Touré. Sauf que l’histoire ne se répétant pas, cette fois-ci, Wade a sous-traité sa réponse à son volubile ministre des Affaires étrangères. Et puis, prendre Bourgi pour un ami des Wade est une donnée désormais caduque pour un émissaire qui ne se serait peut-être pas privé de confirmer… Las !

Wade et Jammeh accusés

Un des axes du complot permanent de l’ère Sékou Touré est là : Les Peulhs. Pour les observateurs, c’est Bah Oury, figure emblématique de l’Ufdg et Celou Dalein Diallo, par ricochet qui sont visés par les propos du président guinéen.

Bah Oury est désigné comme un des instigateurs de l’attaque du 19 juillet qui a soufflé littéralement la chambre à coucher d’Alpha Condé qui n’y était pas. Accusation gravissime. Dans la foulée, l’Ufdg publie, le 12 septembre, un communiqué qui « dénonce l’acharnement dont sont victimes ses responsables et militants » avant d’attirer l’attention sur le fait que quelques heures seulement après l’attaque du 19 juillet «le domicile de Bah Oury a été saccagé et vandalisé par des hommes en uniforme » et que le domicile de la fille de Cellou Dalein Diallo « a été perquisitionné et les membres de sa famille brutalisés et arrêtés, le 21 juillet à 5h du matin ». L’Ufdg ne s’en tient pas là. Elle condamne ce qu’elle appelle la violation du secret de l’instruction par le président de la République lui-même et conclut que tout cela a pour but d’influencer l’enquête en cours sur les circonstances dudit attentat. C’est qu’entre temps, Cellou Dalein est rentré à Conakry. Le 6 septembre, le bureau de presse du président Condé fait savoir au journal télévisé du Soir que l’opposant a décliné l’invitation présidentielle à un échange.

Motif du refus d’aller rencontrer le chef de l’Etat selon la communication de celui-ci : Cellou Dalein veut d’abord l’aval des « sages de la Moyenne Guinée ». Autrement dit le quitus communautaire. Il n’en faut pas plus pour susciter une mise au point du président de l’Ufdg qui dément la thèse de l’autorisation de sa communauté mais confirme ne s’être pas rendu à l’invitation. Pour lui, toute la difficulté est venue de ce que l’émissaire du président reçu le mercredi 7 septembre à 10 h, était venu lui dire qu’Alpha Condé l’attendait à…11h. Soit une heure après. Tout le monde aura compris que les législatives approchent et que la Guinée qui sait donner des frayeurs devra surmonter, une fois de plus, cette épreuve de la démocratie. Le fera t- elle ? La seule certitude, pour l’instant, c’est que Wade est trop concentré à lui-même pour laisser s’installer entre lui et Condé les rapports toxiques qui furent, une décennie durant, ceux de Sékou Touré et de Senghor.

Adam Thiam


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Il faut mettre au pouvoir les illettrés