L’immigration des Soninkés en Europe a considérablement changé de visage. D’une immigration militaire pendant les deux grandes guerres, elle a changé en une « immigration de travail » pour finir par une « immigration des épouses » ou de peuplement au milieu des années 1970, facilitée par la loi sur le regroupement familial. Ceci a eu pour conséquence un rajeunissement et une féminisation de l’immigration soninké. Plusieurs femmes soninkées, venues des villages, ont amené leurs enfants « ainés » et ont ainsi poursuivi durablement leur maternité.
On assista alors à la naissance d’une seconde immigration soninkée bénéficiant d’un statut spécial. Citoyens français de droit, ils changent complètement le visage de la migration soninké. Ils sont intégralement français, naissent avec les mêmes droits et devoirs que les Dupont, les Roux, les Dubois…Ils fréquentent les écoles de la République, assimilent un mode de vie occidental, baignent dans un modèle social complètement différent de celui de leurs parents.
Ces enfants, en grandissant, se retrouvent tiraillés entre deux cultures diamétralement opposées. La langue des parents s’entrechoque avec la langue de leur pays de naissance ou de socialisation. La « nucléarisation » devient la norme de la composition familiale soninkée (Papa, Maman, les enfants…) rendant caduque et révolue la « famille africaine » au sens large du terme. Quant à la rue, elle ne déforme plus qu’elle ne forme. Les soubassements de l’éducation et la culture soninkées s’imposent difficilement dans le contexte migratoire. Ainsi, une « socialisation à l’africaine » des enfants s’impose. Les parents organisent des « pèlerinages culturels et sociétaux » de leurs enfants vers leurs pays d’origine pendant les grandes vacances. La confrontation entre les ascendants, fortement ancrés dans les méandres et les tréfonds de la culture soninkée, et les descendants, foncièrement « influencés » par la nouvelle culture d’adoption de leurs parents révèle les différences criardes des deux mondes. Chéris, pouponnés le temps des vacances, les uns développeraient des liens très forts avec la « famille africaine », tandis que d’autres nageraient dans un flot de préjugés. Aussi, le choc des deux cultures mettrait à nu le retard culturel et linguistique des « enfants » nés dans l’immigration. Ainsi, naissent les premières frustrations qui se traduisent par une nécessité d’ « expédition » de ces enfants au pays d’origine pour se familiariser et intégrer durablement les codes sociaux et culturels du « Sooninkaaxu».
Cette prise de conscience ajoutée à la pression familiale notamment de la part des grands-parents oblige souvent les parents à penser sérieusement aux « expéditions » de longue durée. Des enfants seraient ainsi envoyés pour le besoin d’apprentissage de la culture locale, des us et coutumes du pays d’origine, les liens de parenté. Ils découvriraient les lignées familiales. Il faut dire qu’en pays Soninké, la famille ne se limite guère à la « variable utérine ». Ils découvriraient d’abord deux familles distinctes : celle du père et celle de la mère. Dans chaque partie, on dénombre une ribambelle de frères, sœurs et cousins de leurs parents. L’enfant doit se familiariser avec chacune des parties et donner la même mesure de respect, si possible d’amour, à chaque membre de cette organisation familiale. Par conséquent, chaque individu de cette constitution familiale participera à sa manière à l’éducation de cet enfant. De même, le village tout entier devient « un radar » devant analyser, réprimer et ennoblir les comportements de ces enfants.
D’autres motivations expliquent également la circulation des enfants Soninkés entre la France et le monde soninké d’Afrique.
- Crise d’adolescence- rébellion :
Envoyer son enfant au bled s’explique aussi par une volonté de le punir. Il faut dire que la vie au village est loin d’être une sinécure. Les travaux champêtres, le linge et la vaisselle au fleuve surtout en temps hivernal, le relatif confort selon le village et la primauté du bâton sur le verbiage inutiles sont de variables permettant d’ouvrir les yeux de l’enfant sur la vraie origine de ses parents. Quand les enfants sombrent dans la délinquance et foulent aux pieds les normes sociales et culturelles des parents, ils font souvent l’objet d’un envoi simple aux pays. Le mode opératoire est rodé. On part en vacances avec un des parents et ce dernier vous abandonne sur place à la fin des vacances. Combien d’enfants soninkés ont connu ce mode opératoire s’apparentant à une opération commando. Les garçons rentrent au bout de quelques années tandis que les filles se verront opposer une fin de non-recevoir tant qu’elles ne trouvent pas «chaussures à leurs pieds » dans le cocon familial.
- Divorce des parents :
L’immigration a fortement modifié les rôles de l’homme et de la femme au foyer. Si en Afrique, les hommes portent seuls le « pantalon », l’occident recentre le ballon au milieu. « Le pantalon » n’est plus taillé que pour le genre masculin. Les femmes adoptent également la triplette « Métro, boulot, dodo ». Ceci complique souvent les rapports dans le couple. A cela, il faut ajouter l’histoire des allocations familiales allouées par le droit français qui engendre plusieurs conflits au sein des couples. Ceci a pour conséquence des ruptures familiales pouvant changer la vie des enfants du couple. Avec ou sans aval, des pères de famille, pour ne pas perdre le pouvoir sur les enfants, envoient ces derniers au pays.
- Apprentissage du coran et des préceptes religieux :
Depuis un certain temps, il est fréquent également de voir plusieurs parents soninkés, envoyer leurs enfants en Afrique pour les mettre dans les internats des écoles coraniques. Réputés pour leur sérieux et la qualité de leurs enseignements, ces écoles généralement dirigées par des oulémas soninkés, accueillent très souvent de jeunes soninkés nés en France. La mémorisation du coran serait gage d’un billet d’avion pour l’hexagone.
- Volonté des enfants et retraite.
On ne le dit pas souvent mais plusieurs enfants se sont retrouvés au village par convenance personnelle. Par amour ou par dégoût de la France, ils choisissent d’aller vivre une partie de leur jeunesse dans les pays d’origine. Plusieurs parents, après la retraite, partent de la France avec toute leur progéniture.
Il faut noter aussi que ces enfants, une fois au pays, sont inscrits dans les écoles locales et poursuivent une scolarité normale. Plusieurs d’entre eux s’en sortent et viennent par la suite poursuivre leur cycle supérieur en France.
Ces expéditions « concertées » ou « punitives » peuvent être avantageuses à plusieurs égards, si elles sont bien gérées en amont comme en aval. Elles permettent une parfaite maitrise de la langue et la culture soninké. Elles permettent aux enfants de mieux intégrer les liens de parenté et de comprendre le sens et l’organigramme de la famille soninkée. Ainsi, les enfants comprendront le vrai sens de l’émigration de leurs parents (cadre de vie, pauvreté, réalisations…). Ces enfants selon le sexe constituent une aide considérable pour les travaux domestiques et champêtres. Plusieurs mémorisent le Coran et d’autres livres théologiques. Ils bénéficient d’une double culture qui leur permet de se mouvoir avec aisance dans la communauté soninké et de démystifier la barrière culturelle grâce à leurs expériences « blédardiennes ».
Toutefois, certains enfants vivraient mal ces expéditions et poseraient d’innombrables problèmes aux parents. Des fugues découlant de problèmes relationnels sont souvent dénombrées. De plus, certains enfants voueraient une haine viscérale à leurs parents, eu égard aux relations conflictuelles qu’ils ont eues avec la famille d’accueil.
En somme, cette pratique consistant à amener les enfants en pèlerinage culturel et sociétal perd de sa superbe. Le décès des grands parents, l’émigration des forces vives, le durcissement des conditions de sortie des enfants du territoire français, et la connaissance des stratagèmes et rouages consulaires ont largement participé au délaissement de ce phénomène.
NB : Ce sujet fera l'objet d'une émission radio " Leminaxu Bara " sur Soninkara.com. Une émission de jeunes sur la toile tous les Dimanche à partir de 21 heures ( Heure de France ). Pour participer, il suffit d'un compte skype et ajouter soninkara.com en contact.
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Samba Fodé KOITA dit Makalou, www.soninkara.com