Un Mauritanien sonne les trois coups de la science à la Sorbonne

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Soutenance de Cheikhna Mouhamad WAGUE
Le 7 janvier 1610, fut la découverte par Galilée de trois étoiles près de Jupiter. Quatre siècles plus tard, l'événement continue d'être célébré en fanfare par la communauté intellectuelle et scientifique. La prestigieuse université de la Sorbonne l'a commémoré en faisant soutenir un de ses brillants chercheurs, un Mauritanien du nom de Cheikhna Mohamed Wagué alias Youba Mahamadou qui présenta une thèse d'Histoire moderne contemporaine et d'Anthropologie historique sur les Soninkés du Fouta Toro du XVIIIe siècle à nos jours. Encore une nouvelle consécration pour la recherche scientifique mauritanienne et africaine à l'étranger.

Soutenir une thèse à l'Université Paris I- Panthéon Sorbonne n'est jamais un cadeau, mais un mérite, tant la rigueur et le prestige de ce Temple du savoir n'ont d'égal que sa renommée. Mais y réécrire magnifiquement et scientifiquement toute 'histoire contemporaine de sa propre société et lever le voile sur ses nombreux mystères et zones d'ombre en restant objectif, au point de mériter une soutenance à une date aussi importante est un honneur et même une première académique pour un Mauritanien et même pour n Africain. Le plus agréable encore, c'est que le thème porte sur les Soninkés du Fouta Toro, objet, jusque là, de peu de recherches historiques. En effet, Cheikhna Mohamed Wagué, vient de nous nourrir agréablement, en reconstituant avec un brio connu de lui, l'itinéraire d'un peuple encore peu ou méconnu, " mobile, voyageur et insinuant ", pour reprendre les termes de Maurice Delafosse : les Soninkés du Fouta Toro. Qui sont-ils ? D'où viennent-ils ? Comment ont-ils vécu leur situation de minorité dans une majorité halpoular, et résisté aux transformations sociétales, économiques et politiques qui ont émaillé leur histoire ? Quels sont les rapports symbiotiques ou conflictuels qu'ont-ils entretenus avec les autres communautés sociolinguistiques ? À toutes ces interrogations, historiens, sociologues, politiciens et penseurs ont tenté de répondre à leur manière, en s'appuyant sur quelques documentations et des témoignages fragiles et fragmentaires. Mais Cheikhna Mohamed Wagué, lui, est sorti des sentiers battus, en allant au-delà des questionnements et interrogations ordinaires. Il est allé fouiller dans les archives secrètes. Il a aussi analysé les objets archéologiques, articles d'artisanats, liens généalogiques et interrogé les sages des villages soninkés  pour recueillir les informations les plus intimement inédites ou considérées parfois même comme interdites. "Les communautés soninkées du Fouta Toro (Mauritanie, Sénégal) depuis la fin du XVIIIe siècle. Peuplements, migrations et stratégies identitaires ", tel est l'intitulé de cette brillante thèse qui a nécessité donc un travail éléphantesque de terrain. 
L'auteur y a levé tout le mystère sur l'origine de cette population aussi bien en Mauritanie qu'au Sénégal. Dans cette brillante thèse dont la qualité scientifique et rédactionnelle est unanimement reconnue et saluée par tous les membres du jury, il restaure splendidement, pour la première fois, la " vraie histoire " des minorités soninkées du Fouta Toro. Une histoire entachée de soubresauts, d'événements, de conflits, de rivalités acharnées qui, comme depuis la nuit des temps, ont fait de l'histoire de ce peuple un long fleuve agité. " Une histoire bien réécrite dans un français très remarquable, académique, parfois poétique et tout cela mené de façon rigoureuse d'un point de vue scientifique" selon les propos d'un membre du jury. " Où avez-vous étudié et appris le français ?" n'a-t-on cessé d'interroger l'auteur.
Une brillante écriture historique
Composé de Pierre Boilley, historien, directeur de thèse et Professeur des universités et directeur du Centre d'Études des Mondes Africains, Monique Chastanet, historienne, chargée de recherches au CNRS, Mahamet Timéra, socioanthropologue, Professeur des Universités, Jean Schmitz, anthropologue, Directeur des études à l'EHESS et à l'IRD, Christophe Daum, anthropologue, Maître de conférence à l'Université de Rouen, en détachement à l'IRD au Mali, ce jury de qualité et de spécialistes n'a pas hésité à accorder à Cheikhna Mohamed Wagué la plus haute des distinctions universitaires, à savoir la mention très honorable avec les félicitations à l'Unanimité, tout en autorisant également le chercheur mauritanien de bien vouloir publier ce travail sans tarder, eu égard à son intérêt scientifique et à sa contribution à la connaissance d'un domaine peu étudié. Il est important de noter au passage que depuis juin 2006, une circulaire du ministère de l'éducation française a ordonné à toutes les universités françaises de réserver désormais les félicitations du jury et, de surcroit, les félicitations du jury à l'unanimité qu'aux thèses très exceptionnelles, qui sortent du lot, ce qui est le cas de la thèse de cet humble et brillant fils de l'Afrique, de la Mauritanie, du Fouta Toro, de Kaédi, de la communauté soninkée et de Gattaga.
Pour résumer, il est question dans ce travail de montrer qu'à la fin du XVIIIe siècle, une minorité soninkée, accablée par la détérioration des conditions climatiques et les guerres civiles répétées, vient progressivement s'installer au Fouta Toro (Mauritanie, Sénégal). Grâce aux conditions naturelles, politiques, économiques et sociales de cette région, elle se reconstruit et consolide son homogénéité. Elle s'appuie alors sur les expériences migratoires antérieures - et infructueuses - des Soninkés  dans la région pour adopter des stratégies  identitaires sur le plan matrimonial, politique, social, spatial, religieux et économique, afin de conserver ses particularités sociolinguistiques au sein de la majorité halpoular. À partir de 1890, elle voit ses structures sociopolitiques et économiques, ainsi que sa cohésion interne, bouleversées par le choc colonial qui s'inscrit dans la durée. Les contradictions internes - liées aux hiérarchies sociales, aux confréries, à la montée de ce qu'il est convenu d'appeler le " fondamentalisme " musulman et aux frontières politiques ou régionales - et les influences externes -consécutives à l'école moderne, à la migration, à la monétarisation et aux difficultés économiques - sont telles que cette dynamique socio-identitaire n'est pas près de s'arrêter. Composé de deux tomes d'un volume total de 550 pages, cette thèse est riche de 1056 notes de bas de pages, 34 pages d'introduction, 60 pages de sources et de bibliographes, 8 pages de glossaires, 9 pages d'indexes de noms propres, 14 pages d'entretiens traduits du soninké en français, 152 pages d'annexes. Au total, la fluidité du style de l'écriture, la richesse de l'appareil critique, la densité du travail et le soin apporté à sa présentation,  la pédagogie et la finesse de sa défense orale au moment de la soutenance ont séduit et convaincu plus qu'un membre du jury, ce qui dénote la rigueur et la démarche méthodique, mais également la personnalité de l'auteur qui n'aime pas la complaisance et les choses mal faites.
Une famille des lettrés
Cheikhna Mohamed Wagué vient démontrer que, s'il n'est pas scientifiquement prouvé de dire que le savoir s'hérite, que le succès peut toutefois devenir une tradition dans une famille comme la sienne. Une famille dans laquelle la rigueur de l'éducation paternelle est unanimement reconnue et saluée de tous. Major à l'Université de Nouakchott et à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar où il avait déjà soutenu un Mémoire de DEA en Histoire sous la direction du Professeur Abdoulaye Bathily, il obtint les clés de la Sorbonne après un concours très sélectif sur présentation de dossier. Il est d'ailleurs l'un des rares africains inscrits au Laboratoire du Centre d'Études des Mondes Africains de Paris 1 Panthéon Sorbonne (CEMAf), instance suprême et coeur battant de la recherche scientifique de cette prestigieuse université consacrée à l'Afrique.
En réalité, ce résultat n'est pas une surprise pour celui qui connait le parcours intellectuel de Cheikhna Mohamed Wagué. En effet, à l'âge de 14 ans, il avait déjà fini les 114 sourates  du Coran auprès de son père, El hadj Mahamadou Bouna Wagué, une sommité religieuse de sa communauté. Entre ses 14 et 18 ans, qui coïncida avec l'obtention de son baccalauréat, il avait commenté tous les livres théologiques malékites auprès de son érudit père. C'est le lieu aussi de souligner que l'auteur de cette thèse n'a jamais refait une classe depuis son entrée à l'école jusqu'à son couronnement actuel à la Sorbonne, ce qui ne peut être qu'un don qu'Allah accorde à certaines de ses créatures. L'échec scolaire lui est donc étranger. Là où il a étudié, il s'est imposé et a laissé ses marques. Ce résultat est donc le prolongement logique d'une intelligence remarquable et remarquée auprès du chercheur polyvalent qu'est Docteur Wagué par son premier maître, son propre père. " Calme, humble, brillant, honnête et respectueux, Monsieur Wagué a également une personnalité attachante et des qualités intellectuelles attendues d'un bon chercheur, eu égard à sa bonne maitrise du français, de l'arabe, de l'anglais, du soninké, du peul, du wolof, martèle Pierre Boilley, son directeur de thèse, au moment de l'ouverture de la soutenance, comme pour dire au public et aux autres membres du jury qu'on a affaire à un être, certes calme, mais multidimensionnel et exceptionnel".
Il n'est pas sans intérêt de rappeler que c'est aussi dans cette université que Cheikhna Mohamed Wagué co-publia son premier livre sur l'identité culturelle des Soninkés du Fouta-Toro. Modérateur principal du site de l'association soninkée, membre actif de plusieurs associations de sa communauté, ce jeune mauritanien est aussi à l'origine de la naissance d'un jumelage entre l'association Sud Manche et la ville de Kaédi. La suite naturelle des choses a fait que tous les membres de la communauté soninkée et ses amis de toutes les autres communautés des mauritaniens de France ont répondu en masse à sa soutenance et se féliciter de cette brillante consécration qui est, d'abord, celle de toute la Mauritanie. Touché par cet élan de soutien, il conclut sa soutenance, après sa bonne défense devant un jury pluridisciplinaire et rigoureux, par une belle phrase qui a marqué le public : " Je rends un hommage bien mérité à l'amitié quand elle est sincère  et à la parenté quand elle est bien entretenue ".

SOURCE APM : AGENCE DE PRESSE MÉDITERRANÉENNE SECTION : DISTINCTION SCIENTIFIQUE

Nouakchott info (http://www.ani.mr/sys_journal/ImgJournal_10_01_2010_13_12_32.pdf)

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Commentaires (3)

  • camara bakary

    que dire a part ma reconnaissance et ma joie pour ce travail accompli qui donne a tout soninkè et mauritanien une fiertè grandiose.

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