A F R I Q U E : QUE LES DEMOCRATES LEVENT LE PETIT DOIGT …

A Charm el-Cheikh, Robert Mugabe et Albert-Bernard Bongo, allias Marabout Omar par conversion à l’Islam, ont poussé leur « anti-démocratisme jusqu’au bout ».

Le dernier nommé est l’Anté-démocrate tout désigné. En effet, depuis 1967 que Bongo est au pouvoir, il défend bec et ongles ses intérêts personnels d’abord, puis ceux de son clan et de la France des grandes sociétés pétrolières, au détriment de ceux de son propre peuple, de son pays et de l’Afrique. Il est la pierre angulaire de la Françafric. Sachant comment lui-même se fait élire chez lui, ou plutôt se fait couronner, quand il vit arriver Mugabe à la 11è Conférence des chefs d’Etats de l’UA à Charm El Cheikh, il eut la chair de poule… et bondit en s’écriant comme pour lui souhaiter la bienvenue parmi ses pairs dictateurs : « Il est élu, il a prêté serment, il est là avec nous. Alors il est président »
Il n’y a pas de quoi fouetter un chat, allons ! Est-on tenté d’ajouter.

Mugabe qui n’a que 28 ans de pouvoir pourrait-on dire et « quatre vingt-quatre ans d’âge… » comme on dirait en Martinique pour les bons vieux rhums…, a encore du chemin à parcourir avant de battre le record du vétéran des présidents africains. En poussant les intérêts de son pays à l’extrême, Mugabe est lâché par tout le monde, y compris par Pékin qui le soutenait jadis du temps de Mao… La Chine a désormais trouvé de nouveaux amis plus intéressants comme par exemple Omar Hassan al-Bachir (allias Mollah Omar) président du Soudan entre autres, détenteur d’un pétrole sans couleur ni odeur, et qui est par conséquent plus fréquentable.

Mugabe, fondateur de la Zanu en 1963 qui deviendra Zanu-PF[1], est pourtant arrivé légalement au pouvoir ce 4 mars 1980 par des élections libres[2] reconnues par la « Communauté internationale… » En 1974, dès sa sortie de prison (Mugabe était en prison de 1964 à 1974 de même que Joshua N’komo le chef de la Zapu[3]), il se rendit au Mozambique et les deux organisations prirent les armes pour une guerre de libération nationale contre Ian Douglas Smith. Ce colon raciste et sécessionniste allié du régime d’apartheid de l’Afrique du sud, voulait continuer à confisquer le pouvoir et les terres ancestrales des Africains au profit d’une minorité de colons fermiers (qui ont spolié les Africains de millions d’hectares à la fin du XIX è s. il n’y a pas si longtemps…). La Rhodésie du sud de Ian Smith, colonie britannique, défia le Royaume-Uni en déclarant unilatéralement l’indépendance en 1965.

La guérilla dura de 1974 à 1979 et triompha, Ian Smith se retire du gouvernement mais conserve son siège au parlement multiracial après les accords de Lancaster House. La plupart des fermiers blancs, en rentrant en Angleterre, sont devenus des propriétaires absentéistes. Cependant, la minorité blanche restée sur place continue à contrôler l’économie du pays, jusqu’au jour où, en l’an 2000, exaspéré par la pression constante des USA et du Royaume Uni (alliés inconditionnels des fermiers blancs) qui ne font point mystère de leur intention de se défaire de lui, Mugabe « lâcha » ses anciens guérilléros, les « Vétérans » à l’assaut des fermes tenues par les Blancs qui contrôlent l’économie nationale.

Mais faute de compétences « techniques » et certainement de capitaux, ils ne purent produire autant que les fermiers blancs. Dès lors, la production alimentaire chuta, l’inflation prit des proportions insoupçonnées, l’économie et la monnaie son premier indicateur vacillent. L’opposition politique, victime idéale, dirigée par Morgan Tsvengirai (du MDC[4]) et soutenue par le Royaume Uni, l’UE et les USA, exulte et se frotte les mains en criant par la voix de son porte parole M. George Sibotshiwe, « à l’imposture » après un second tour sans candidat de l’opposition le 27 juin 2008 et la fuite de son patron Morgan Tsvengirai vers l’ambassade de Hollande où il avait trouvé refuge pendant trois jours.

L’UA qui s’est réunie à Charm El Cheikh autour des problèmes de l’eau et de l’assainissement, est néanmoins obligée de débattre du « cas Mugabe.» Mais, comme tout un chacun dans cette bonne compagnie a quelque chose à se reprocher… on fit profil bas et on tenta de prôner « le gouvernement d’union nationale » la formule magique et la panacée universelle consacrée de l’U A qui n’a nulle intention d’ouvrir sa boîte de Pandore.

N. Mandela qui est paru fatigué à sa dernière sortie publique à l’occasion de son anniversaire et qui, auparavant n’avait même pas eu la force de réagir quand soixante deux Africains se sont fait assassiner dans les conditions atroces dans son pays (dont plusieurs Zimbabwéens), a néanmoins tenu à dénoncer « la tragique défaillance de la direction » du Zimbabwe. Le Secrétaire Général des Nations Unies M. Ban Ki-Moon parle de « déroulement illégitime » du scrutin.

Faisons le point sur la situation des chefs d’Etats africains réunis à Charm El Chekh :
-Il y a parmi eux des dictateurs sanguinaires, ethnocidaires ou génocidaires comme Omar Hassan al-Bachir allias Mollah Omar, ça lui sied si bien, lui qui a un million de morts sur la conscience au sud Soudan et 300 000 morts supplémentaires au Darfour et qui continue à pavoiser. Est-ce par ce qu’il n’a massacré que des Nègres d’Afrique qu’il considère avec mépris comme des païens, des chrétiens voire des mauvais musulmans, qu’il n’est pas inquiété ? Quand on voit tout le tapage médiatique fait autour de la libération de quelques otages occidentaux par Alvaro Uribe (soit dit en passant, nous condamnons fermement l’enlèvement et la prise en otage de toute personne humaine), il y a de quoi réfléchir sur la valeur de la vie humaine selon l’origine de la personne concernée. Le Président al-Béchir est pourtant soutenu hypocritement par l’Occident[5] et ouvertement par la Chine, voire par la Russie. C’est pourquoi il est devenu quasi invisible surtout par les médias occidentaux, un vrai passe-muraille.

-Il y a ceux qui sont arrivés au pouvoir en piétinant allègrement le pouvoir légal au prix de quelques vies… ou de quelques centaines de milliers de morts (S. N’Guesso du Congo mis à cheval par J. Chirac…) ici, peu importe le nombre de victimes.

-Il y a les dictateurs qui se maintiennent par leur bras de fer avec toute opposition politique ou syndicale au prix du sang (exemple : Lansana Konté de Guinée).

- Il y a les dictateurs-serpents qui changent périodiquement d’habits constitutionnels pour épater comme des paons, la « Communauté Internationale » ou plus exactement leurs maîtres Occidentaux. (Je peux en citer une dizaine). L’opération la plus spectaculaire et la plus répandue étant de rapiécer la constitution à la veille des échéances électorales pour « l’adapter » à ses caprices carnavalesques (exemple : Biya du Cameroun).

-Il y a « les vrais » dictateurs qui ne savent même pas ce que le mot élections veut dire … mais avec qui, nous dit-on en Occident, il faut composer et parler pour ne pas les pousser dans les rangs des Etats voyous ou terroristes d’où ils sont difficilement sortis et où risquent de rechuter définitivement (M. Kadafi de Libye).

-Il y a les cycliques cyniques (exemple : Ben Ali de Tunisie), qui invitent régulièrement les « observateurs internationaux à leurs Grand’messes électorales » et s’en sortent encore et toujours en retombant sur leurs pieds à l’instar des judokas avec à la base mille galipettes, réalisant au passage des scores abracadabrantesques supérieurs à celui de Chirac en 2002 face à Lepen. Là-bas aussi, les peuples sentent les dangers de la dictature, mais contrairement à la France, les gens restent terrés chez eux le jour des élections pour éviter les mauvaises rencontres comme celles d’avec les balles perdues, ce qui n’empêche pas les urnes d’être toujours pleines sous le regard penaud de nos observateurs de la « Communauté Internationale » qui profitent de quelques jours de soleil électoral bien mérité.

-Nous avons des présidents embarrassants parce que dépassés par les évènements comme celui du Tchad. Puis ceux qui, comme au Far-West, ont tiré dans le dos de leurs petits copains révolutionnaires et patriotes pour une poignée de dollars, ils se reconnaîtront. On peut également citer ceux qui arrêtent les opposants en prévision d’élections imminentes comme au Niger où l’opposant Hama Amadou est convoqué devant le juge pour « malversations » dans « l’affaire du fonds d’aide à la presse » de 100 millions de francs CFA[6] qu’il aurait contribué à « manipuler.» Il constitue « le hors d’œuvre » tout désigné du pouvoir qui prépare les élections présidentielles de 2009… bon appétit M. le présent et futur Président.

-Enfin, il y a « les bons élèves de la classe » qui ont bien assimilé les leçons du maître comme le Sénégal et bien d’autres. Démocraties bien assises… ces pays n’attirent plus aucune attention malveillante sur eux. Là, ça devient plus « cool », on peut magouiller à l’abri des regards indiscrets, une fois les élections passées, on se débarrasse avec élégance des premiers ministres alliés de la veille et la parentèle fait le boulot des ministres à leur place. On procède de temps à autre, à quelques ajustements ou aménagements institutionnels ou « techniques » qui permettent de neutraliser l’opposition parlementaire (là où il en existe un semblant) ou de la museler sérieusement de même que les droits de la presse et ceux des syndicats.

A la veille de nouvelles échéances électorales, c’est le branle-bas de combat qui recommence, toute la panoplie de la fraude indirecte est déployée, en s’aidant d’un peu de zeste de clientélisme, agrémenté de petites corruptions à la carte des petits chefs issus de la kyrielle de faux « partis d’opposition » créés de toutes pièces par le Président-démocrate. Ensuite on remplira les urnes de quelques villages perdus dont les habitants sont toujours aux champs au lieu d’aller voter. Pour couronner le tout, les caisses de l’Etat sont vidées, mais pardi, c’est pour la bonne cause, les élections, ça se prépare non ?

Enfin pour terminer, savez-vous ce que Bongo allias Marabout Omar a de commun avec Mugabe ? C’est que tous deux sont des sous produits de l’impérialisme. Le premier est fait à l’image de la France et est maintenu au pouvoir par cette dernière, contre les vents et les marées populaires, c’est le bon dictateur, présenté comme presque débonnaire, voire gâteux et inoffensif. Le second, patriote et marxiste convaincu que l’Occident isole et veut détruire, est devenu un méchant dictateur sans pétrole, qu’il faut couper du monde, il est comme Castro qui a fini par devenir « méchant dictateur » par l’isolement, l’étranglement économique de son pays et sa mise à l’index permanente par les médias occidentaux.

Bongo et Mugabe sont des dictateurs fabriqués dans des contextes précis des rapports de forces internationales. Comme la quasi totalité de leurs compères africains, ils ont été pétris par l’une ou l’autre manière. Les leaders politiques comme Lumumba, N’Krumah ou Mugabe, voire Sékou Touré, qui étaient au départ, tous animés de la ferme volonté de répondre aux aspirations légitimes de leurs peuples sont isolés par les embargos et les intrigues, ils deviennent paranos à force d’essuyer les coups bas et les tentatives d’assassinat. En fin de compte, ils finissent par être renversés ou assassinés, mais non sans avoir été auparavant présentés au monde entier comme de dangereux dictateurs. Il faut absolument les remplacer par des marche-pieds. Les petits pays balkanisés d’Afrique sont ainsi plus faciles à déstabiliser, par les puissances prédatrices et leurs grandes entreprises qui fomentent partout les guerres du diamant, du pétrole, de l’or, etc.
Alors, qui ose, aujourd’hui encore, parler sans abus de langage ou d’effet de mode, de période post-coloniale ? La colonisation n’a jamais quitté l’Afrique subsaharienne et les grands théoriciens de l’Occident nous parlent de période « post-coloniale » pour mieux camoufler leurs forfaits.

Actuellement, au niveau planétaire, il n’y a plus d’équilibre des forces (a t-il existé d’ailleurs même du temps de l’URSS où de célèbres dirigeants africains se sont faits assassiner sans protection ?) qui permette de défendre les dirigeants qui sont du côté des faibles et des démunis. C’est donc en Occident d’abord, qu’il convient d’urgence de réorganiser le pouvoir politique autour d’une éthique nouvelle, respectueuse des idéaux d’une vraie solidarité entre les peuples, une solidarité basée sur le respect de leur dignité et de leur volonté de vivre libres… et non sur des principes de charité chrétienne avec des aumônes sous forme d’aide et un pillage sans vergogne de leurs ressources. Les partis d’opposition issus de la social-démocratie occidentale ne se prêtent guère à ce virage stratégique qu’exige la mondialisation, les intérêts en jeu primant sur l’éthique politique.
Alors, il ne reste que peu de latitude à ceux qui, dans le reste du monde, veulent sortir leurs peuples du désespoir et de la faim générés par le capitalisme ultra libéral.

Il ne faut jamais oublier qu’au moment où l’apartheid attaquait le Zimbabwe, l’Angola et le Mozambique, le Royaume Uni, les USA, la France et l’Occident tout entier étaient alignés derrière le régime d’apartheid de J. Balthazar Vorster et son allié, le colon raciste Ian Douglas Smith en soutenant secrètement leur projet de domination de tout le sud du continent. Aujourd’hui encore, dans un contexte différent, mais avec la même logique impériale de détruire ceux qui veulent réfléchir par eux-mêmes et pour eux-mêmes à leurs propres problèmes, l’Angleterre les USA et la France et dans une moindre mesure l’UE, sont en face des patriotes, toutes griffes déployées, poussant des hommes politiques comme Mugabe ou Hugo Chavez à la faute pour les mettre hors jeu par tous les moyens. Pendant ce temps, des présidents tels que le Marabout Omar Bongo ou le Mollah Omar Hassan al-Bachir demeurent inamovibles et invisibles de la soi-disant « Communauté Internationale.»

A Charm El Cheikh, il n’y a donc pour le moment, pas de petit doigt en l’air… faute de démocratie et de dirigeants démocrates issus d’une vraie et libre volonté populaire en Afrique, tout comme il n’existe pas de « vraie Communauté Internationale» en dehors de l’Occident qui continue à élargir l’OTAN en vue de dominer le monde.

Par conséquent M. Kouchner en traitant M. Mugabe « d’assassin et d’escroc » commet une double faute par omission et par esprit sélectif… car tous les escrocs sont connus de tous en Afrique, et les peuples africains ne s’y tromperont jamais, quand il s’agira d’évaluer le degré d’implication des dirigeants dans les crimes politiques et financiers. Nous ne sommes plus les enfants de l’imaginaire colonial de M. Kouchner, nous savons, malgré nos petits moyens, compter nos morts comme nos génocidaires et leurs amis. Il faut dire à ce M. Kouchner que le jour où les victimes elles-mêmes auront l’initiative de donner un contenu sémantique aux mots crime contre l’humanité et génocide, bien des choses changeront sur la face du monde. Mugabe doit certes partir à 84 ans, comme tous ces dictateurs qui ont dix ans ou plus de « loyaux services » plus souvent rendus à l’impérialisme qu’aux peuples d’Afrique, ou qui ont dépassé les quatre-vingts ans…
Cependant, concernant Mugabe, il faut rendre à César…ce qui lui appartient. Il a combattu le racisme et le colonialisme en Afrique au prix de 10 ans de geôle coloniale vite oubliés par l’Occident qui a la mémoire sélective comme son représentant Bernard Kouchner. M. Mugabe a été un allié fidèle et précieux de Nelson Mandela, A. Néto, A. Cabral, Samora Machel tous soutenus à l’époque par Fidel Castro dans leur lutte contre les régimes racistes d’Afrique du sud et de Rhodésie du sud, pour la dignité de tous les peuples africains.

L’Occident veut nous imposer comme seule alternative deux formes de dictatures pour dénigrer l’une au profit de l’autre son alliée stratégique dans son projet de reconquête colonial du continent. Chirac n’avait-il pas dit à Abidjan que la démocratie n’était pas faite pour nous ?

Alors, nous disons NON à toutes les dictatures d’où qu’elles viennent. L’Afrique doit pouvoir choisir librement ses responsables politiques parmi ses meilleurs fils et filles, limiter elle-même le nombre de leurs mandats et fixer l’âge de leur retraite… en fonction de critères modernes choisies par elle seule.

Par Yaya SY Anthropologue.


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[1] Zimbabwe african national union-Patriotic Front (créé en 1987 à partir de la fusion de la Zapu et de la Zanu)

[2] La Zanu a remporté 57 des 80 sièges réservés aux Noirs dans la nouveau parlement multiracial.

[3] Zimbabwe african people union (né de l’ex NDP ou National Democratic Pari de Joshua N’Komo rejoint en 1960 par Mugabe).

[4] MCD Mouvement pour le Changement démocratique.

[5] Il a livré le terroriste Carlos au gouvernement français qui lui retourne l’ascenseur… mais c’est surtout à cause de son pétrole qu’il est au petit soin.

[6] 150 000 euros