Les associations villageoises soninké en France (AVSF)

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(Synthèse de la thèse de Yaya SY distribuée aux 5 membres du jury et à l’assistance le jour de la soutenance).

Du  XV è au XVIIè s. l’organisation sociale soninké a subi des transformations rapides avec la fin (de la prépondérance) du commerce transsaharien et l’articulation de notre région au « Commerce Triangulaire ». Cependant, il faut attendre les XIX è et XX è siècles pour voir les sociétés sahéliennes soumises aux logiques d’extraversion, avec la mise en place et le renforcement de leur administration directe par le système colonial français. Celui-ci brisera définitivement toute velléité de recomposition nationale ou étatique sur ce qu’il considère depuis la Conférence de Berlin comme des territoires conquis.

Auteur: Yaya SY

 
En revanche, cette administration coloniale s’appuiera sur le village et le canton, dont les chefs seront le plus souvent d’extraction noble, mais considérés comme de simples exécutants. Par ailleurs, ce nouveau pouvoir colonial, malgré sa volonté affichée d’abolir l’esclavage (au vu de ses intérêts cardinaux) a fermé à moitié les yeux sur les anciens rapports de domination au sein des villages et sur l’activité des zawiya (les mosquées des sectes) après qu’il eût décapité le messianisme musulman par la violence et les persécutions.
 
Le village soninké, débarrassé du Tunka (Roi) dont le pouvoir est supplanté par « le soleil du Blanc » (nouveau règne ou ère du Blanc), s’agglomérera autour de ses chefs de villages sous haute autorité coloniale.
C’est dans ce contexte de primat de l’organisation villageoise, qu’à la veille indépendances et après, les pays soninké seront soumis aux contraintes de l’enclavement, de la pression démographique, de désertification, de l’inefficacité  des techniques de production, mais surtout du manque de projets étatiques de développement régional.

En se tournant massivement vers la France dès la fin des années cinquante, les Soninké créeront la « Caisse ethnique » fondée sur le modèle de l’organisation villageoise, mais aussi sur celui du Kompo-xoore (chambre villageoise en ville en  Afrique) avec répartition des tâches entre les castes dominantes et les autres. Cette « Caisse » aura pour rôle d’assurer la cohésion communautaire : rapatriement des malades mentaux et enterrement des morts.
 
Mais à partir de 1966-1968 la « Caisse ethnique » cédera le pas à l’association villageoise soninké en France (AVSF) qui, en plus des prérogatives de la précédente « Caisse », entreprendra le plus souvent, dès sa création, la construction de la Grande Mosquée du village. Elle impulsera ensuite la réalisation de projets sociaux, puis économiques de développement villageois : pharmacies, maternités, dispensaires, postes, puits, forages, bornes-fontaines, marchés, achats de pirogues, périmètres irrigués, coopératives d’achats, G.I.E. (groupement d’intérêt économique), etc.
 
Mais dès la seconde moitié des années soixante-dix, les AVSF subiront de plein fouet les contraintes générées par la crise économique avec la fermeture des frontières de la France à l’immigration de travail, l’instauration de la carte séjour, et la promulgation de la loi sur le regroupement familial. Tout cela mettra un terme à l’immigration alternative des Soninké et les enracinera dans la durée.
Confrontés dès lors, non seulement au développement des villages entrepris, il est vrai, un peu en vrac, mais aussi à l’intégration de la communauté des hommes, des femmes, et des enfants nés en France, nous nous sommes posé la question de l’adéquation de ces AVSF à cette double et lourde tâche, compte tenu des principes traditionnels qui les fondent, d’où notre problématique : l’AVSF est-elle la forme d’organisation la plus efficace pour assurer à la fois la participation des Soninké au développement de leurs villages d’origine et leur intégration en France ?     
 
Yaya Sy (le 9 décembre 1997 de 14 h à 17 h 30 à Paris V)   
 

Quelle est la situation des associations villageoises soninké en France en septembre 2007 ?


De 1997 à 2007 la situation de la communauté soninké de France a beaucoup évolué.

I°)au plan démographique :

 

La population soninké issue des pays du Sahel, même si elle baisse relativement par rapport à la population totale africaine, reste importante. Mais cette population soninké s’est elle-même différenciée avec un sexe ratio plus équilibré et une proportion de jeunes de moins de 25 plus marquée de même que la part des retraités de 60 ans et plus.


1°) Le poids démographique relatif des habitants des foyers par rapport à la population totale de la communauté soninké a baissé. Les caractéristiques démographiques de la population vivant dans les foyers ont beaucoup changé.

La quasi totalité de la population « masculine  et célibataire » des années soixante est allée à la retraite. Peu d’entre eux continuent à vivre en foyer après leur cessation d’activité.

Les jeunes arrivés des villages sont certes « célibataires » mais beaucoup plus instruits que leurs aînés et  d’autant moins formatés aux contraintes traditionnelles de vie du village soninké… Ils sont par conséquent plus individualistes, et le relâchement des contraintes communautaires du foyer ne semblent nullement les déplaire, malgré les difficultés induites.

L’entraide dans les foyers relève désormais des liens familiaux, amicaux ou de proximité pour les ressortissants de certains villages. D’autres AVSF, plus rares, ont maintenu les « Caisses-cuisine » soit pour le soir, soit pour les fins de semaines. Les garanties des lits par les AVSF pour ses membres cotisants ont pratiquement disparu.  


2°) Les habitants des cités sont devenus plus nombreux que les habitants des foyers (que les jeunes appellent désormais par dérision « foyer-man »…) Les femmes, plus nombreuses qu’auparavant, sont devenues plus autonomes et défendent leurs droits que certains hommes voudraient bien voir réduits à ceux du pays, voire du village d’origine...


    Après la fermeture des frontières à l’immigration de travail et l’instauration de la carte de séjour en 1975, la loi sur le regroupement familial sera votée en 1976 et les Africains furent obligés d’amener femmes et enfants dans des conditions de logement difficiles. Les enfants naîtront dans des logements inadaptés aux conditions culturelles et démographiques des Soninké, et au début des années quatre vingt-dix, les familles africaines deviendront « visibles » stigmatisées par la droite…, l’extrême droite et une certaine presse voyeuriste, sous le « regard mou » de la gauche. Les difficultés rencontrées à l’école par les enfants soninké, liées essentiellement aux conditions de logement, à leur origine de classe, de pays voire de « race » (selon certains), les mèneront massivement en direction des LEP et des centres de formation courte de type apprentissage et CAP.


Alors, les jeunes contrairement aux anciens, seront essentiellement tournés vers leurs problèmes d’intégration dans une société qui veut les reléguer à la place occupée par leurs « pères» et qu’ils refusent avec énergie (émeutes des banlieues du 25 octobre au 15 novembre 2005). Leurs problèmes se résument en quelques mots ou maux : ZEP, Chômage, insécurité, ghettoïsation, et difficultés d’accéder par eux-même à une analyse politique claire de ces difficultés.

 

II) Les nouvelles solidarités de la communauté soninké.


L’aide au village et au pays d’origine s’équilibre dorénavant avec les dépenses familiales en France.

1°)Le foyer comme repère spatial de la communaté soninké.

Les solidarités à l’intérieur des foyers se sont radicalement transformées. Les associations villageoises soninké sont peu suivies avec conviction par les jeunes qui n’ont pas grandi au village pour la plupart. Elles continuent cependant d’envoyer les corps des défunts au pays, mais interviennent de moins en moins directement dans les affaires des foyers (pour réserver des lits aux ressortissants du village ou participer à la « Caisse-cuisine »).

Autour des AVSF, les ressortissants de certains villages, surtout les femmes et les hommes nés au village ou y ayant grandi, continuent de se retrouver au « foyer du village » (où vivent encore ou vivaient les chefs traditionnels) à l’occasion des décès et des évènements heureux (baptêmes, mariages, fêtes musulmanes, etc.).

2°) Les jeunes nés en France :

Quant aux jeunes issus du même village (surtout), département, région ou pays, ils s’organisent de façon autonome en gardant souvent des liens forts avec leur AVSF. Leurs organisations sont de style moderne, les décisions semblent se prendre de façon plus égalitaire et plus démocratique que dans les anciennes structures des AVSF. Ils agissent souvent au nom de leur village et tissent des liens avec certaines ONG dans le cadre de projets ciblés de développement villageois.

 

Conclusion :

De 1959 à 2007 le chemin parcouru par la communauté soninké de France est très important. Les défis à relever et les embûches restent encore nombreux. Mais les problèmes complexes de la double appartenance culturelle, voire nationale doivent être gérés d’urgence avec beaucoup d’objectivité, de compréhension et de tolérance. La lutte pour le « respect » des jeunes par la société française doit être comprise et soutenue sans arrière-pensée car derrière ce mot nous lisons clairement : la lutte pour les valeurs trahies de la République Française par les hommes politiques et les intellectuels français, nos donneurs de leçons (liberté, égalité et fraternité POUR TOUS LES CITOYENS), valeurs sans le respect desquelles, il ne peut exister de dignité humaine et par conséquent de paix sociale.

             

Yaya Sy   (anthroplogue et professeur de Lettres/Histoire).


Thèse soutenue à l’Université Paris V René Descartes Panthéon-Sorbonne en décembre 1997. 

Où consulter cette thèse ? 

Auteur : Yaya SY

Titre : Les associations villageoises soninké en France (A.V.S.F.)
(Leur rôle dans la dynamique associative en France et le développement des villages d'origine).

Date de soutenance : le 09 décembre 1997 de 14h à 17h30.

Universté : René Descartes Panthéon-Sorbonne.

Doctorat Nouveau Régime : 97/PA05/H090

ISSN : 0294-1767


Thèse consultable sous forme de micro-film dans les bibliothèques de toutes les universités de France de même que dans les bibliothèques nationales.