Religion : Bakel, une ancienne cité religieuse en perte d'érudits.

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 « Un être humain, comme n'importe quel animal ou végétal, reçoit de ses parents un certain héritage substantiel, un certain patrimoine héréditaire.», disait Jean ROSTAND. Si l'on peut s'interroger très souvent sur le devenir politique, économique et culturel d'un pays, d'une ville ou d'un village, il devient également légitime de scruter l'horizon religieux d'une localité. Bakel Saare Denba est une ville cosmopolite où plusieurs familles maraboutiques ont posé leur baluchon depuis des siècles. Elles viennent de Jaafunu, de jonxulaanu, du Fuuta Tooro et d'autres provinces soninkées. Elles ont pour noms de famille Wane, Dramé, Kébé, Diakhité. Au début de la fondation de la ville de Demba (Bakel), les Wane (peuls, originaires du Fuuta Tooro) autrefois guidés par la recherche du pâturage, conciliaient élevage et études coraniques. Selon la tradition orale, les Seydi Wane allumaient quotidiennement des feux de camp nocturnes pour l'apprentissage du Coran. D'ailleurs, selon les traditions locales, ce sont ces feux de camps dans les grottes à quelques encablures de l'actuelle préfecture qui avaient alerté les N'diaye de la présence humaine dans cette contrée du Gajaaga. Bakel a toujours eu de grands marabouts de renommée internationale. Le Pays Soninké identifiait autrefois Bakel à ces grandes écoles coraniques et universitaires (Xaran lenka et Moyisi). Gambiens, Maliens, Mauritaniens et les villages environnants du Sénégal envoyaient leur progéniture à Bakel pour leurs études théologiques. Les écoles coraniques Bakéloises accueillaient des milliers de disciples de divers horizons. Toutes les maisons maraboutiques étaient pleines à craquer d'élèves résidents et d'étrangers. Les maisons voisines servaient souvent de dortoirs. Bakel vivait la théologie à plein régime. Les familles maraboutiques ont d'ailleurs tout un quartier à leur nom : Moodinkaane. A coté de ces écoles coraniques, nous avions le Moyisi de la famille Dramé plus connu sous le nom de Xoje. Ce "Moyisi" était tenu autrefois par le père de feu Aladji Thiondy Dramé avant que ce dernier n'hérite à son tour de la direction de cette grande école. Un érudit qui a laissé ses empreintes dans la sphère religieuse de Bakel. L'école maternelle de Bakel porte aujourd'hui son nom. Il avait une très bonne réputation. Les étudiants venaient très souvent du Mali et de la Gambie. Il était originaire de Jonxulaanu. En effet, selon les anciens, les Dramé ont hérité ce Moyissi d’une autre famille de Bakel avec laquelle ils avaient un lien de parenté. A un moment de l'histoire, cette famille s'est retrouvée sans héritier à même de perpétuer la tradition familiale. C'est ce concours de circonstances qui a amené une des tantes des Dramé à solliciter le père de Feu Thiondy Dramé à Jonxulaanu afin de maintenir le flambeau de la sagesse dans cette vieille cité.

Il y eut également Aladji Fodiyé Taramata qui a assuré brièvement la fonction d'imam dans cette maison du savoir. Aujourd'hui, Le fils de Thiondy Dramé, Xaara Ismaïla Dramé continue de perpétuer cet héritage dans cette maison, symbole de la sagesse bakéloise. Nous pouvons également citer l'une des familles fondatrices des écoles coraniques Bakéloises. La famille Wane disposait également d'une école coranique réputée, autrefois détenue par Mpaly Wane. Ces peuls, devenus aujourd'hui Soninkés, sont considérés comme les premiers habitants de Bakel. On peut dire sans risque de se tromper qu'ils sont les premiers habitants de Moodinkaane (Quartier des marabouts). Après le décès de Thiondy Dramé, Mpaly Wane hérita de l'imamat. Mpaly Wane assurait les prières quotidiennes pendant qu’Idrissa Kébé s'occupait des prières du Vendredi. Ce dernier habitait à N'diayega 3, dans l'actuelle maison de Feu Tapha Kébé. Notons également que les Wane avaient une grande école coranique où les disciples de plusieurs contrées Soninkés venaient faire leurs études coraniques. D'autres familles disposaient également d'écoles coraniques. Aladji Mamadou Sikhou Dramé avait aussi une école coranique qui accueillait des disciples de multiples horizons. Nous pouvons également citer feu Aladji Kaou Assa Diakhité, père du regretté Mamadou Kaou Diakhité. Cette famille maraboutique a également joué un rôle très important dans l'apprentissage du coran à Bakel. En effet, les futurs " taalibo " apprenaient le Coran à Kaabala (Famille Diakhité) avant d'intégrer le " Moyisi " des Dramé. Ces deux familles étaient liées par ce pacte.


Au delà de ce clin œil historique de ces grands marabouts et de ces multiples péripéties, il serait légitime de se questionner sur la relève des familles maraboutiques et de l'imamat Bakélois. La relève est-elle assurée ? Comment éviter les problèmes de succession à l'avenir ? Qui doit être imam ? Quel chemin, le descendant d'un marabout doit-il suivre ?
Autant de questions qui méritent une réponse. Aujourd'hui, force est de constater que les fils de marabouts Bakélois sont plus obnubilés par la recherche de l'argent que du savoir. Et c'est normal, il faut vivre. Mais pourquoi ne pas concilier les deux comme les anciennes générations d'immigrés. Rares sont les jeunes qui se soucient de l'avenir de leur fonction. Certes, la génération intermédiaire dispose encore d'éléments convaincants pouvant présider à la direction de la la mosquée pendant deux décennies. Mais en étudiant les profils, le constat est alarmant. Avant de parler d'imamat, le rôle principal d'un fils de marabout est d'hériter son père afin de rallumer la flamme du savoir dans la maison maraboutique. Si l'on intéresse aux anciennes maisons maraboutiques citées ci-dessous, nous constaterons que plusieurs d'entre elles ne disposent plus de dignes successeurs. Si les uns ont émigré, d'autres sont simplement incompétents pour assurer la fonction.  Aujourd'hui, les anciens temples du savoir anciennement dirigés par Mpaly Wane, Aladji Mamadou Sikhou Dramé, Sikhou Boye Diakhité, Mamadou Kaou Diakhité et Idrissa Kébé n'existent plus. Seuls les "xojenu" tenus par Ismaïla Dramé et les écoles coraniques de Mabo Dramé, de Samba Dramé et de Ladji Ndiobou survivent encore à Bakel. Se questionner sur la relève maraboutique de Bakel est plus que d'actualité. Plusieurs feux de camps nocturnes ont disparu. Les disciples qui venaient des pays limitrophes ne privilégient plus la piste bakéloise. Il est de plus en plus rare de voir à Bakel un Talibé ou un xaralenma de la Gambie ou du Mali. Les grands marabouts qui incarnaient la sagesse sont de plus en plus rares.  
 
Les jeunes marabouts préfèrent les études à l'école française ou l'émigration que de cirer les tapis en cuir de peaux de moutons confectionnés lors de la Tabaski. " Moodi lenme " est devenu plus un titre qu'autre chose. Bon nombre d'entre eux ne se limitent qu'à l'étude du Coran. Les grands livres théologiques d'antan sont même invisibles dans certaines maisons maraboutiques. Depuis belle lurette, les " Walaxa " (planchette coranique) ont laissé la place aux tableaux. L'écriture en prend un coup. Avant, les élèves profitaient de l'écriture pour comprendre la différence entre différentes lettres de l'alphabet arabe. Il est de plus en plus difficile de trouver à Bakel un marabout pouvant faire une traduction du coran (Tafsir) convenablement. Aujourd'hui en France, seule la vieille génération parvint à sortir son épingle du jeu. Ils profitent des retrouvailles lors des présentations de condoléances ou de fiançailles pour partager leurs connaissances. D'ici quelques décennies, les problèmes de succession se poseront tôt ou tard. Ce n'est guère une affirmation gratuite mais une certitude. Ce n'est pas à l'heure où les carottes seront cuites qu'il faut se remettre aux études pour assurer l'aura de la famille... Comme dit le proverbe Soninké "  "Seliŋen ta katoono saaxa koota "(On n'engraisse pas la poule le jour du marché). La compétence doit être la principale condition du choix d'un imam. On ne doit pas tenir compte de sa bourse, ni de l'aura de sa famille. On naît certes " Marabout " mais on doit assumer ce qualificatif durant toute sa  vie. Ce n'est pas parce que l'on est fils de "Marabout" que l'on est forcément un érudit. Le savoir doit être entretenu comme l'on entretient son corps. On ne doit pas clamer sa qualité de marabout sur tous les toits, il faut le vivre. Si demain, les familles maraboutiques n'ont pas de relève, il est religieusement recommandé de donner les clefs de la mosquée aux  personnes plus instruites et plus sages. Et cela sans considération sociale. Un homme averti en vaut deux. Les fils de marabouts doivent prévenir avant de guérir parce qu'encore une fois de plus, le proverbe soninké nous dit que : "Seliŋen ta katoono saaxa koota "(On n'engraisse pas la poule le jour du marché) dit un proverbe Soninké.

Samba Fodé KOITA dit EYO pour www.bakelinfo.com