Organisation Sociale et Politique chez les Soninké

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L'organisation sociale et politique des Soninké repose essentiellement sur la hiérarchie. Chez les Soninké, chaque personne occupe dans l'organisation de la structure sociale une place qui est fonction de l'ordre qu'il occupe dans l'échelle de la hiérarchie sociale. On ne devient pas chef du village, roi, chef des guerriers ou artisan par simple mérite, encore moins par choix individuel. Mieux, on ne peut même pas être pressenti par les autres pour une fonction dont on n'a pas à la naissance la présomption d'attributs.

C'est dire que le système social soninké est relativement fermé et totalitaire.
Sur l'échelle de la société soninké, on situe de haut en bas
1. Le Hoore ou homme libre,
2. Le Naxamala (Niakhamala) ou le casté,
3. Le Kome ou le captif.


Le hoore (homme libre-noble ; pluriel : hooro)

« Le hoore désigne l'homme libre. C'est celui, qui, dans la hiérarchie sociale ne dépend de personne. Il est en position de supériorité. C'est celui qui fait dépendre les autres de lui, par la force et la ruse. C'est lui qui dans la société soninké a pour rôle de commander, distribuer, punir » (6).
Le terme « hoore » signifie dans le vocabulaire soninké, « pur, indépendant, juste ». Le hoore est avant tout celui qui sait tenir sa langue, qui ne ment ni ne vole. Il doit en outre être généreux et serviable, ne faire preuve ni d'égoïsme ni d'hypocrisie. Si ces critères moraux peuvent être l'attribut de toute personne de tout état, ils n'en font pas d'elle cependant, aux yeux de la société, un hoore au sens social et plénier du terme. Le hooraxu (état de hoore) s'acquiert par la naissance et se transmet de père en fils, ainsi que par le biais de l'anoblissement (hooronde) ou de l'affranchissement (bagandinde). Cependant, s'il est possible qu'un ancien captif accède à l'état de hoore, il ne peut pas pour autant jouir de tous les avantages de cette nouvelle condition. Ainsi empêché d'épouser une fille de hoore - qui par une telle union commettrait une mésalliance - il est contraint à se choisir femme parmi les filles d'affranchis, classe dans laquelle lui-même ne se reconnaît plus.

Les hooro sont répartis en 3 différentes strates :

les tunkalemmu (princes qui ont vocation au règne) :

Le tunkalemme (pluriel tunkalemmu) l'est par naissance puisqu'il acquiert sa condition par son père qui en a lui-même hérité de son père. Tout hoore n'est pas éligible au rang de tunkalemme et ne peut donc, selon la logique stricte du système politique soninké, prétendre à la fonction de roi.

les mangu :

Le mange (pluriel:. mangu) se définit toujours par rapport aux tunkalemmu. Il a deux fonctions dans la société :

1. Une fonction de courtisan, c'est-à-dire de compagnon et de confident du chef, en temps de paix. Il sert aussi de conciliateur entre les diverses fractions des hooro en cas de différends. À ce titre, il est nécessairement présent à toutes les réunions du village ou du pays ;

2. Une fonction de guerrier. D'origine kuralemme (guerrier), il est le bouclier du tunkalemmu et en période de guerre il prend la tête de l'armée.

les moodini ou moodinu :

Leur origine remonte à l'implantation de l'islam en pays soninké (environ du XIe siècle). Ces lettrés musulmans, marabouts, provenant d'une lignée de moodinu ont toujours plus de légitimité et d'aura que ceux éventuellement plus érudits qui sont issus des familles maraboutiques moins anciennes.

 

Le ñaxamala, l'homme dépendant, le casté

À l'opposé du hoore se situe le ñaxamala, individu qui ne se suffit pas à lui-même. On distingue dans son groupe différentes catégories qui ont entre elles un ordre hiérarchique souvent implicite, parfois explicite. L'ordre de classification le plus courant en pays soninké est le suivant :

les tago ou forgeron (sing. tage) :

Ils se consacrent au travail des métaux ; maître de la forge, du fer et du feu, on leur prête une puissance sur les êtres invisibles sans lesquels ils ne sauraient s'attaquer impunément au fer extrait des entrailles de la terre. On admire leur savoir-faire et on les craint pour leur puissance.
Au sein des tago, on établit une distinction entre le forgeron qui travaille le fer et l'orfèvre ou le bijoutier ; cela n'entraîne pourtant aucune conséquence sociologique importante puisqu'on peut passer d'une pratique à l'autre par l'apprentissage.

les sakko (sing. sakke) :

Ce sont les artisans du bois. On leur prête une puissance sur les arbres et sur les génies qui habitent la forêt. Ils sont les maîtres et les confidents de l'esprit des arbres, des djinns bons et mauvais qui les habitent.

les jaaro (ou diaro, sing. jaare) :

Ces vrais divertisseurs publics sont les plus populaires des naxamalo. Ils sont musiciens et historiens. Bouche de la société ou griot, l'homme qui appartient à cette catégorie a pour instrument de prédilection originel le dondone (tambour d'aisselle). Il est le seul autorisé à exprimer publiquement, sans déchoir, tout ce qu'il veut.
On note l'existence de quelques subdivisions au sein de cette catégorie de jaaro :

1. Les griots, originellement spécialistes des généalogies et des récits épiques : les gesero, dont l'instrument de prédilection est le gambare, instrument à cordes.

2. Parmi les groupes que l'on peut assimiler aux jare-griots, il y a les tagadinma : généalogistes exclusifs des forgerons , et les fina : généalogistes des griots et des non castés, placés à la dernière marche de l'échelle des griots. Les tagadinma utilisent exclusivement une sorte de tambour nommé jubure et les fina, réputés pour leur insolence, le gambare.

les garanko (sing. garanke) :

Ce sont les cordonniers ; affectés à la préparation des peaux et des objets en cuir, ils pratiquent une endogamie relativement stricte.
Signalons enfin que les tisserands, généralement catalogués en Afrique parmi les castés, ne se rangent pas parmi les naxamala ; ce métier est exercé communément par des captifs et par d'anciens captifs. Les mabo, d'origine pulaar, font aussi, pour les Soninké, office de tisserands.

 

Les komo (sing. kome)

Ce sont des captifs ou des descendants de captifs. Dans l'échelle des groupes statutaires, ils arrivent en dernière position. Ils constituaient jusqu'au début du XXe siècle, la force de travail principale en pays soninké. Chez les Soninké, il y avait beaucoup plus de captifs que d'hommes libres. Le système de production soninké, essentiellement agricole, était fondé sur une utilisation abondante de force de travail servile, qui permettait de maintenir la puissance de kagume et de dégager les surplus nécessaires aux cérémonies et aux dons.
De tous les groupes statutaires, celui-là est le seul qui pratique une endogamie stricte.

Organisation politique

L'organisation politique soninké repose sur un système héréditaire patrilinéaire. Tout est organisé de sorte que les hommes prennent le pas sur les femmes.
Théoriquement, le tunka ou le roi est le chef politique et le propriétaire des terres et de tout ce qui pousse sur les terres de son pays (jamaane). Il existe pourtant un système de « contrôle croisé » qui fait qu'il est pratiquement impossible au tunka d'exercer ces droits sans en référer soit à l'ensemble des tunkalemmu soit aux mangu.
Il n'y a pas en pays soninké de statut politique au dessus de celui de tunka. Par essence, il est le fankama (fanka = force, pouvoir, kama = propriétaire) et nul ne peut contester son droit exclusif à l'usage de la force.

Le tunka est toujours issu des tunkalemmu (princes et héritiers présomptifs de la royauté) qui proviennent d'un clan régnant souvent depuis plusieurs siècles sur une région donnée.

À la vacance du pouvoir, le collège des mangu et les notables de la cour recherchent automatiquement le plus ancien des successeurs présomptifs qui se situe sur le même rang en ligne agnatique que le précédent roi. Si le roi est de la catégorie des fils, le successeur doit être de préférence le plus âgé de la catégorie des fils, etc. Ce n'est qu'à défaut qu'on choisit le plus âgé dans la catégorie suivante.

Strictement donc, on peut dire que le système de transmission du pouvoir se fait en ligne patrilinéaire. Le tunka ne nomme pas directement les chefs de villages (debigumu, sing. : debigume) mais aucun chef de village ne peut exercer légitimement s'il n'a pas sa bénédiction. Ils sont recrutés dans des clans spécifiques pour chaque village. L'obligation de résidence effective peut même ne pas être respectée si, à la vacance du pouvoir, le successeur naturel est absent du territoire du village. Il peut arriver qu'on aille chercher un chef de village ailleurs pour l'introniser dans un village où il n'a jamais résidé.

Le système de transmission du pouvoir se fait donc sur le même modèle que celui de la royauté. Chez les Soninké le principe de la séniorité est essentiel. En tout, l'aîné a le pas sur le cadet et un cadet ne pourra prétendre à certaines fonctions que si de façon expresse ou tacite on lui délègue le droit à y prétendre.

Les mangu (courtisans, guerriers, confidents des tunkalemmu) sont les subalternes des tunkalemmu mais ces derniers, pour accéder au trône et y maintenir leur autorité, ont besoin de leur force militaire et de leur art de la conciliation. À ce titre les mangu jouissent d'un certain nombre de privilèges (ne pas être châtié pour des relations coupables avec une femme, bénéficier de l'inviolabilité de sa maison, etc.).

En outre les mangu peuvent être chefs de village par délégation du clan cheffal ou par droit d'ancienneté dans un village mais ce ne peut jamais se faire qu'en l'absence de clan cheffal. Pour toutes les décisions importantes, le chef de village est toujours assisté du conseil des Anciens. Si un village est situé sur les terres d'un tunka, il verse à ce dernier un tribut souvent symbolique pour perpétuer l'alliance qui le lie à la royauté.

Le système politique soninké est conçu de sorte à rendre impossible l'exercice solitaire du pouvoir. Cela ne signifie pas que l'histoire des royaumes soninké soit totalement exempte de potentats mais ces règnes arbitraires constituent toutefois des exceptions qui restent dans la mémoire collective. L'exercice du pouvoir, en pays soninké ne peut être que consensuel car le tunka n'est qu'un u primus inter pares. Il est le premier de ses pairs, les tunkalemmu, qui ont tous la même légitimité de rang. Son accession au trône relève du pur accident: de son âge, de sa place dans l'arbre généalogique du clan. À ce titre, il n'a aucun mérite spécifique. Sa souveraineté s'étend sur le jamaane, ses terres, ses hommes. Il arbitre tous les conflits qui débordent le cadre villageois et ordonnent les grands travaux d'intérêt collectif. En tant que roi, le tunka a une voix prépondérante dans toutes les discussions mais, en général, il se range du côté de ses conseillers. Il n'est rien sans sa suite et sa cour, il a besoin de soldats, de bouches, de mémoire et d'oreilles. Chacun peut donc être dépositaire d'une partie du pouvoir royal.

Les komo xoro, par exemple, sont chargés de la supervision des activités agricoles du roi. Ils veillent à l'exécution des directives royales et au besoin ils sont chargés de contraindre par la force des captifs récalcitrants. Les mangu font également office de collecteurs d'impôts et d'émissaires royaux.

Extrait de "Cérémonies et rites chez les soninké, M. DRAME,  in Peuples du Sénégal, 1996, ed.Sepia : 62-96"

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Commentaires (9)

  • dr.camara

    quele est la place des wandekunke(pluriel wandekunku)et kaoladio ou kawlajo merci de me repondre

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