Soleil d’Afrique au Canada : Entretien avec Dr. Youssouf Soumounou

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Youssouf Soumounou
Cette rubrique de votre journal Option vous permettra de découvrir ou mieux connaitre la persévérance des femmes et hommes d’origine africaine qui se sont installés au Canada. Ces personnalités que nous rencontrons pour vous dégagent individuellement des faisceaux lumineux qui se sont croisés en formant un soleil brillant et chaleureux dans le grand ciel canadien.

Un Docteur qui parle sans tournures.

La consultation, l’hospitalisation et la guérison se basent sur la médication. Un chercheur et concepteur de médicaments, Docteur Youssouf Soumounou parle, pour la première fois, depuis plus de 25 ans de pratique, de son expérience médicale intercontinentale.

Option : Vous venez de quel village ou de quelle ville, parlez-nous de votre origine.

Youssouf Soumounou: Permettez–moi d’abord de vous remercier pour l’occasion que vous offrez à ma modeste personne afin de m’exprimer sur votre tribune. L’homme malien est l’un des africains les plus fiers de leurs origines. Un vieil adage de chez nous ne dit-il pas : Est perdu celui qui ne connaît pas ses origines. Je suis natif de Téquébé dans la commune de Barouéli, région de Ségou. Dès ma tendre enfance, j’ai été adopté par une tante qui vivait à Nyamina, région de Koulikoro. C’est dans cette ville que j’ai fait mes études fondamentales jusqu’à l’obtention du DEF en 1974. Je suis un Soninké même si je ne parle pas cette langue.
Option : Vivez-vous en famille au Canada, quel y est votre statut ?

Youssouf Soumounou : Je vis au Canada depuis une vingtaine d’années avec mon épouse et mes quatre filles. Je n’ai pas d’héritier, ironisent certaines personnes. Ma famille est grande selon les normes canadiennes. La famille canadienne modèle est composée des deux parents et de deux enfants. Je suis naturalisé citoyen canadien.

Option : Vous avez étudié et pratiqué aussi bien au Canada qu’au Mali, quels bagages universitaires vous ont permis d’effectuer une trajectoire si riche ?

Youssouf Soumounou : Après l’obtention de mon baccalauréat, j’ai été admis à l’École Nationale de Médecine et de Pharmacie de Bamako par voie de concours. À cette époque les admissions en Médecine et en Pharmacie étaient très contingentées. Comme une des nombreuses exigences pour l’obtention du grade de Docteur en Pharmacie, j’ai soutenu et défendu une thèse intitulée « Importance des essais enzymatiques en pathologie cardio-vasculaire » sous la direction du Professeur Francis Miranda de la Faculté de Médecine-Nord de Marseille en France. Cette thèse a été acceptée avec la mention Très Honorable, Prix de thèse et Échange avec les facultés étrangères.

En arrivant à Montréal, poussé par une soif insatiable d’apprendre, je me suis inscrit en Maîtrise de Virologie et Immunologie, un programme de deuxième cycle, à l’Institut Armand-Frappier, réseau Université du Québec. Mes travaux de recherche ont porté sur la protéine de mouvement du Virus de la Mosaïque du Navet, un virus de plante. Contrairement aux virus animaux qui infectent leurs hôtes via récepteurs, les virus de plante doivent utiliser des protéines spécifiques, dites de mouvement, pour produire des infections systémiques. Les résultats de ces recherches furent publiés dans le Journal of General Virology édité à Londres.

Option : Travailler comme chercheur dans de célèbres hôpitaux universitaires de Montréal étant un immigrant, relève plus de la compétence que de la chance. Comment avez-vous intégré ce milieu très select et quels furent vos contributions à la science en général ?

Youssouf Soumounou : J’ai intégré le Département de Génétique Biochimique du Centre de Recherche de l’Hôpital de Montréal pour Enfants, le Pavillon pédiatrique du Centre Universitaire de Santé de l’Université McGILL. Si vous habité au Québec, en buvant du lait additionné de vitamine D, vous profitez des travaux de ce département. Si votre enfant est né au Québec, il a certainement participé au programme de dépistage néonatal de maladies héréditaires métaboliques (comme la Phenylcétonurie et l’Hypothyroïsme, entre autres) initié par le même département.

Pendant près d’une décennie, j’ai contribué à l’étude de l’organisation, de la fonction, de la régulation et du polymorphisme de gènes impliqués dans des maladies héréditaires osseuses humaines. Mes contributions ont été publiées dans des revues scientifiques de renommée internationale et sont citées plus de 300 fois à travers le monde.

Ma carrière s’est poursuivie chez Gemin X Pharmaceuticals inc, une compagnie privée montréalaise de biotechnologie qui cherche des médicaments qui modulent l’apoptose ou mort cellulaire programmée dans les cellules cancéreuses . Au sein de cette compagnie, j’ai participé au développement de deux médicaments potentiels du cancer.

Le premier, un dérivé hémisynthétique d’un polyphenol, a été initialement introduit comme médicament orphelin de la Leucémie chronique lymphocytaire B (B-CLL) avant d’être considéré comme un produit efficace sur les tumeurs solides MDR (multidrug resistant). Ce médicament est en recherche clinique avancée et ne devrait plus tarder à rejoindre les tablettes des pharmacies. J’ai contribué à la validation de cible et au développement de marqueurs pharmacodynamiques permettant d’évaluer l’efficacité du traitement seulement quelques heures après sa prise.

Actuellement, ma carrière de chercheur se poursuit au sein du Groupe de Thérapie Cellulaire du Centre de Recherche de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, in centre affilié à l’Université de Montréal. Mes travaux portent sur l’étude des mécanismes de survie des lymphocytes T activés par un antigène. Notre système de défense naturelle ou immunité (contre les parasites, les bactéries, les virus) repose essentiellement sur les éléments figurés du sang et notre complexe majeur d’histocompatibilité.

Option : Vous avez été un cadre du Ministère de la Santé du Mali. Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter le pays pour vous expatrier ?

Youssouf Soumounou : Parmi la dizaine de pharmaciens diplômés en 1982 de l’ENMP, seuls trois sont encore en service au sein de la fonction publique du Mali. Nombreux sont ceux qui ont choisi de poursuivre leur carrière dans le privé. En ce qui me concerne, l’immobilisme intellectuel et la soif du savoir m’ont poussé à m’expatrier.

Option : Malgré l’universalité du domaine médical, comment expliquez-vous le fait que les médecins d’ici peinent à prescrire des ordonnances même courtes contrairement à ceux du Mali qui écrivent facilement des prescriptions souvent longues.

Youssouf Soumounou : Plusieurs fois mes compatriotes vivant à Montréal m’appellent et se plaignent du fait de n’avoir reçu la moindre prescription du médecin pour leurs maux, après 3 à 4 heures d’attente. Les médecins d’ici ne prescrivent en général qu’en cas de besoin, pas pour faire plaisir au patient. Souvent ils ne prescriront rien en cas de maladies virales saisonnières. Un principe de la toxicologie est à souligner « Tout médicament est un poison. Et tout poison est un médicament. Entre le médicament et le poison il n’y a qu’une question de dose».

Au Mali, mes confrères médecins n’hésitent pas à prescrire, parfois de longues ordonnances pour faire plaisir aux patients. Ces ordonnances contiennent souvent des répétions de produits, sous différentes dénominations, causant ainsi des risques de toxicité pour le malade.

Option : La confiance que le patient a envers son médecin est-elle plus importante pour sa guérison que l’efficacité du médicament ?

Youssouf Soumounou : La confiance du patient envers son médecin est primordiale pour la réussite d‘un traitement. En général le patient voue une confiance aveugle à son médecin. Ce dernier se doit de convaincre son patient non seulement à poursuivre sa thérapie mais surtout à respecter l’horaire et la durée de celle-ci. Dans certain cas, comme les traitements par antibiotiques ou antipaludiques, les patients ont tendance à arrêter la prise de médicaments dès les premiers signes d’amélioration de leur état. Cet arrêt prématuré peut causer l’émergence de souches résistantes, ce qui est très dommageable pour la communauté en général.

Option : Vous êtes une personne habituellement très réservée. On ne connaît pas vos positions sur les grandes questions de la vie politique malienne. Pouvez-vous nous parler de votre vision du Mali démocratique?

Youssouf Soumounou : Prononcer le feu n’a jamais brûler la bouche, entend-on dire souvent. Je ne comprends pas cette unanimité du monde politique face à l’exécutif. Dans une démocratie, le parlement doit être le lieu où s’applique la loi de l’unité et de la lutte des contraires. Le parlement malien actuel, sans la présence du Dr Oumar Mariko, ressemble beaucoup à celui de l’époque du parti unique. La qualité d’une démocratie ne se mesure pas au nombre des partis politiques qui l’animent.

Le projet de réforme constitutionnel en cours est une manœuvre opportuniste au dessein inavoué. Qu’on ne nous prenne pas pour des idiots en nous faisant croire qu’il existe un dysfonctionnement des institutions actuelles de la république. Le Mali possède les meilleurs textes dans tous les domaines, sans chauvinisme. Le seul problème réside dans leur application. On n’a jamais voulu que les différentes structures fonctionnent comme elles devraient.

La création souhaitée d’un sénat est inappropriée, ce sera sûrement un autre club de copains, une structure budgétivore et inefficace. Dans une vieille démocratie comme celle du Canada, la population ne cesse de s’interroger sur la pertinence du sénat.

En Afrique, une bonne réforme constitutionnelle, devrait porter sur une réduction du nombre de mandat et surtout du pouvoir du président.

Option : Avez-vous des commentaires sur le système de santé actuel du Mali tel que vous le voyez d’ici ?

Youssouf Soumounou : Le système de santé malien a connu une amélioration notable. Il y a eu des progrès qu’on aurait qualifié de mirage 20 ans plus tôt, tant du point des infrastructures que de la qualité du personnel. Je ne saurais dresser une liste exhaustive de tout ce qui a été fait, mais on ne peut que se réjouir de la réalisation d’hôpitaux de haut niveau comme ceux du Mali (à Bamako) et de Sikasso. Une infrastructure à elle seule n’est pas gage d’amélioration de la qualité des soins. La compétence et surtout l’attitude du personnel soignant sont essentielles. Il faut cependant reconnaître que certains professionnels affichent une attitude méprisante et mercantiliste face à des patients parfois démunis.

Personnellement je ne comprends pas tous ces milliards de francs qu’on engloutit dans la rénovation de l’Hôpital Gabriel Touré. Cet hôpital devra être délocalisé dans un nouveau CHU de plusieurs centaines de lits et on ne conservera sur le site actuel que les services de maternité et de traumatologie.

Le projet en cours de vaccination de masse contre la méningite est une mesure préventive louable. On devrait penser à initier une campagne de vaccination contre l’hépatite B (HBV) et contre le virus du papillome humain (HPV) chez les filles et les garçons pour le premier, et uniquement chez les filles pour le second. L’HBV est responsable des cas d’hépatites et surtout de cancer du foie. La vaccination contre ce virus protégerait également du virus de l’hépatite D (HDV), un virus lâche responsable des formes fulminantes et mortelles d’hépatite. Le HPV est l’agent causal du cancer du col de l’utérus chez les femmes. Une immunisation protégerait la gent féminine de cette terrible maladie.

Option : Le Mali a besoin de toutes ses filles et de tous ses fils pour se bâtir un avenir prospère. Envisagez-vous travailler au Mali pour faire bénéficier les populations de votre bonne expérience médicale ?

Youssouf Soumounou : Mon rêve le plus cher est de retourner un jour au bercail et d’y partager mon modeste savoir avec ceux qui en ont besoin. Très prochainement, je compte participer au programme Tokten. Je pourrai apporter une contribution à l’enseignement de la virologie ou de la génétique humaine.

Lacine Diawara, écrivain et animateur de radio à Montréal
 
Source : http://www.nlsguinee.com