Sénégal: Nouvelles statistiques des migrations

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Le Sénégal enquête pour une meilleure appréhension des migrations Afrique-Europe.

A Paris, depuis quelques semaines, des enquêteurs parcourent les foyers de travailleurs migrants à la recherche de membres de la diaspora sénégalaise. Ces hommes et ces femmes mobilisés par les chercheurs sénégalais et français vont à la rencontre des associations et interrogent les expatriés en vu d'établir des données statistiques fiables qui reflèteraient une image plus juste des migrations sénégalaises. C'est le programme de recherche MAFE-Sénégal (Migrations Afrique-Europe).

La question de la gestion des flux migratoires préoccupe depuis quelques temps les  institutions et les nations, dans leur diversité. La conjoncture économique internationale, aujourd'hui dégradée par la hausse constante des prix du pétrole (proche des 100 dollars le baril contre 25 il y a  cinq ans), elle-même corollaire de la situation de crise géopolitique des pays producteurs, pousse la plupart des états européens, en difficulté économique aggravée, à se radicaliser dans la lutte contre les migrations clandestines et dans le contrôle des migrations régulières.

Parce que la situation économique des pays du Nord a toujours influée sur leur politique d'immigration, un taux de chômage élevé entraîne forcément les interprétations les plus fantaisistes et les décisions les plus strictes. Si certains pays comme le Canada, l'Espagne ou la France ont clairement élaboré une stratégie d'immigration choisie, à travers l'application d'un système de quota, qui, globalement, leur permettent de décider librement qui ils souhaitent voir accéder à leur territoire, la plupart des pays européens affichent néanmoins leur volonté de s'investir davantage, avec les pays du Sud, sur les chantiers du co-développement. 

Plusieurs organismes avaient contribué jusque là à la production de données statistiques concernant la population étrangère en France. Ainsi, l'INED (Institut national des études démographiques) présente chaque année au Parlement son rapport sur la situation démographique. Quant au Haut conseil à l'intégration (HCI), depuis sa création en 1990, il est chargé d'une mission de coordination, d'harmonisation et de production de statistiques sur l'immigration et l'intégration. Depuis le 2 juillet 2004, l'Observatoire des statistiques de l'immigration et de l'intégration, placé auprès du HCI remplace l'ancien groupe "statistiques". Cette nouvelle structure a pour mission de centraliser, d'interpréter et de diffuser les données sur les flux migratoires et l'intégration.

Or, il s'est avéré aujourd'hui que les données dont dispose l'ensemble de ces structures sur les mouvements migratoires sont pour l'essentiel, erronées car ne tenant pas compte de plusieurs aspects nouveaux qui interviennent désormais dans l'expertise de la question des migrants. Par conséquent, leur imputation causale ainsi que l'analyse à laquelle elles ont été soumises, ne correspondent pas du tout à la réalité des flux migratoires tels quels, c'est-à-dire dans son caractère diversifié des destinations , ses retours spontanés et sa féminisation.

Le programme MAFE-Sénégal (Migrations Afrique-Europe), s'est donc proposé de mener à Dakar, en Espagne, en Italie et en France une étude plus proche de la réalité et qui se voudrait révolutionnaire dans sa démarche pour être efficace dans ses conclusions. "Il s'agit d'établir une vérité scientifique sur les migrations sénégalaises, en adoptant une démarche participative impliquant les associations " nous confie Annelaure Wittman, coordonnatrice Enda  Europe. " Le phénomène des migrations est plus complexe qu'il n'y parait, précise Cris Beauchemin, responsable INED/France : " Nous constatons par exemple qu'il y a de plus en plus de migrants qui rentrent définitivement au Sénégal. En terme d'investissement, il est important aussi de savoir dans quelle mesure les migrants sont des acteurs du développement ". 

En effet, le programme MAFE-Sénégal lancé depuis bientôt deux ans, vise à produire des états de lieu de la question sur les différents aspects des relations entre migrations et développement, à savoir la fuite des cerveaux, les transferts financiers, le fonctionnement des réseaux transnationaux, etc.. C'est un projet initié par le Sénégal et la France, associés à l'Espagne et l'Italie autour d'une équipe pluridisciplinaire, composée des chercheurs, du Nord (INED/France, UPF/Espagne et FIERI/Italie) et du Sud (IPDSR/Sénégal), des acteurs de la société civile (ENDA) et des partenaires au développement (ONU-Habitat, UNFPA, OIM),

Trois constats majeurs ressortent des différentes analyses des chercheurs: le handicap constitué par l'absence de données ; un bilan des coûts et bénéfices de la migration internationale très mitigé et la nécessité d'une analyse des migrations internationales en termes de circulation. 

Pour répondre efficacement à ces problèmes, les acteurs du programme affirment qu'il faut au préalable " construire des instruments de collecte adaptés à la nouvelle donne migratoire africaine ", nouvelle donne qui se traduit entre autres, selon Cris Beauchemin, par  les pratiques de circulation, les " va " et " vient ", la diversification et complexification des trajectoires et champs migratoires. Ensuite, l'étape suivante consistera à rendre socialement et politiquement utile un projet d'enquête quantitative sur les migrations.

Le premier volet du programme, repose donc sur une enquête quantitative qui vise à mieux comprendre les pratiques migratoires sénégalaises, au moyen d'outils méthodologiques. Cette enquête, véritable révolution à en croire les principaux concernés, implique de manière concrète l'intégration de partenaires de la société civile (associations et ONG) à la démarche scientifique d'ensemble en organisant des activités de " recherche-action " et de " dialogue politique ".

Le second volet, également inédit, consiste à soumettre l'interprétation des résultats, prévue pour fin 2009, non pas  à la seule observation ou à l'analyse exclusive des décideurs, mais plutôt à l'examen de l'ensemble des acteurs (chacun à sa façon) qui auront participé à la recherche, notamment les décideurs, mais aussi les migrants et la société civile.

Pour Annelaure Wittman, " il est temps de se défaire des stéréotypes, des idées reçues qui présentent systématiquement les migrants comme désespérés, célibataires et pauvres ". Elle explique que pour ce faire, le programme entend démontrer que les allégations classiques ne sont plus valables de nos jours en prouvant par exemple que les migrations sénégalaises se font dans les deux sens et non à sens unique, que bon nombre de ces migrants effectuent un retour spontané au pays et que les femmes prennent désormais une part très importante dans le mouvement migratoire sénégalais, aspects jusque là ignorés par les précédentes enquêtes.

Cependant, le caractère audacieux du projet ferait presque oublier que son usage final revient toujours aux autorités politiques qui seront libre d'en faire ou non une finalité théoriques et politiques.

Reste à espérer que le programme MAFE-Sénégal ne tombera pas dans l'oublie à l'instar de quelques uns et qu'il ne subira pas une interprétation dirigée dans l'intérêt des principaux financiers, les états européens. 

Par SOUAIBOU FOFANA

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Commentaires (2)

  • YAYA SY

    [B]Une commentaire de YAYA SY[/B]
    L’article de Souaibou Fofana mérite toute notre attention.

    Au delà de l’enquête quelles sont les vraies questions sans réponse ?

    -D’où vient l’impulsion de l’enquête ? (du Sénégal ? ou de la France ?)
    -Est-ce MAFE-Sénégal qui dirige les opérations comme suggéré dans l’article ?
    -L’enquête vise t-elle les seules populations sénégalaises dans les quatre pays (Sénégal, Espagne, Italie, France) ?
    -Pourquoi centrer l’enquête sur les foyers (qui ne représentent désormais plus qu’une moindre proportion de migrants sénégalais).
    -Pourquoi choisir l’immigration sénégalaise (en France) qui baisse proportionnellement à l’ensemble des migrants africains depuis le début des années quatre-vingt ? Voire, pourquoi commencer par l’immigration de l’Afrique subsaharienne alors qu’elle ne représente que 18% des migrants de France (proportion encore moindre en Italie et en Espagne) ?
    -Pourquoi le Sénégal éprouve t-il le besoin de faire cette enquête au Sénégal et dans les trois pays d’Europe ? (alors qu’on nous parle de diversification des destinations des migrants sénégalais) Pourquoi le Mali n’y est-il pas associé ? (Le bassin du fleuve Sénégal renfermant les populations à cultures homogènes et également touchées par l’émigration).
    -Qui finance l’opération et dans quel but ?
    -En quoi une enquête de MAFE-Sénégal sera t-elle plus « technique » et plus « scientifique » que les études précédentes surtout en dehors de son espace habituel d’investigation ? (selon Madame Annelaure Wittman qui va jusqu’ à parler « d’établir la vérité scientifique » , les précédentes études relèveraient-elles du mensonge ? (A savoir que la vérité est un concept moral, la science établit des FAITS et non une vérité)
    -Dans quel projet de co-développement global Europe-Afrique (Sénégal-France ?) situé en AMONT sera intégré cette enquête de terrain ?
    -Y aura t-il concertation en AVAL après l’enquête entre les décideurs politiques et la société civile (ou simple interprétation en vrac des résultats par les différents acteurs comme préconisé ?
    -N’est-il pas un peu démagogique d’atteler les associations africaines à un projet dont ils ignorent les tenants et les aboutissants ? ( Mais qui permettra grâce à leur entremise d’accéder aux foyers et aux familles d’origine africaine ).
    -Peut-on me donner un seul pays d’Europe qui ait ficelé un projet global de co-développement avec un Etat
    africain sur le moyen ou long terme et sur des bases d’égalité et de respect mutuel ?
    -------------------------------------

    Mon sentiment personnel,
    est que MAFE-Sénégal risque dans cette affaire, de servir de faire-valoir dans une n ième enquête dite globale dont les résultats ne seraient pas plus précis et plus probants que les précédentes.
    En revanche, on peut être quasiment certain de leur utilisation ultérieure par les pays européens à des fin de politique intérieure toujours opposable aux immigrés Africains.
    Ensuite, on ne sait pas dans quel cadre général sera intégré les résultats de l’enquête ; ce d’autant que vis-à vis de l’Afrique subsaharienne, on est habitué au monologue de ces pays d’Europe et à leurs décisions unilatérales quand il s’agit d’ériger des barrières contre l’immigration en provenance de cette région ; les Etats africains ne brillant que par leur inexistence dans la conception des politiques migratoires les concernant.
    Le Monde des « Dossiers et Documents » de décembre 2007, vient de publier une intéressante étude sur le déclin démographique qui menace la plupart des pays d’Europe et qui ont besoin d’urgence (d’ici 2050) d’une immigration au moins égale au double de celle des années quatre-vingt dix (voire quatre à cinq fois plus pour des
    pays en perdition démographique comme l’Italie, l’Estonie, la Bulgarie voire l’Allemagne et l’Espagne).
    Mais les besoins réels de l’économie sont surdéterminés de façon univoque en Europe par des politiques démagogiques qui nient le caractère « STRUCTUREL » du chômage (qui co-existe sans paradoxe avec un besoin pressant de main d’œuvre). Ces politiques contextuelles persistent dans la stigmatisation des populations immigrées pour réaliser des scores électoraux. Ce déni de réalité est rendu possible à cause de la crise économique et de la mondialisation présentées aux classes moyennes et populaires comme des menaces liées à l’immigration (en particulier clandestine) venant des pays pauvres.
    Les populations venant d’Afrique subsaharienne en l’occurrence, sont les premières à faire les frais de ces politiques néo-libérales européennes simulant l’endiguement de « l’envahissement » des populations pauvres, par ce qu’ils appellent « l’immigration choisie», panacée universelle semble t-il, à leurs maux économiques et sociaux.
    Yaya SY.

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