LES MARIS PARTIS, LES FEMMES VEULENT RETENIR LES ENFANTS

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Dans la région de Matam, l’émigration est une tradition. Difficile, en effet, d’y trouver une famille ne comptant pas, en son sein, des membres émigrés en Europe. Pourtant, assurent les femmes de Bokidiawé, il est possible de s’en sortir et de retenir les enfants sur place.

Dans sa volonté de s’enquérir régulièrement de l’état d’avancement des opérations de la Banque et en même temps s’imprégner des réalités socioéconomiques régionales, le Directeur des opérations de la Banque mondiale, Madani M. Tall, avait choisi, en décembre dernier, de visiter le Nord du Sénégal en se rendant dans la région de Matam – une région enclavée marquée par l’émigration massive de sa population active – et le département de Podor (région de Saint-Louis). En fait, une mission conjointe puisque le Fonds international pour le développement agricole (FIDA) était de la partie en ;la personne de son représentant au Sénégal, M. Mamadou Kane. Évidemment, il est revenu aux spécialistes du bureau de la BM, Maniével Sène (Développement rural) et Demba Baldé (Développement social) de guider le Directeur dans cette région.

Après les 600 kilomètres séparant Dakar de Matam, sur des routes mettant souvent à rude épreuve la mécanique, la mission a pris le pouls des opérations de développement appuyées par la BM dans le cadre du Projet de services agricoles et organisations des producteurs (PSAOP) et par le FIDA avec son Programme de développement agricole de Matam (PRODAM 2).

Elle a pu noter le dynamisme de la population, en particulier des femmes et des immigrés qui prennent nombre d’initiatives pour le développement de leurs communautés. Pour exemple, le Groupement des femmes Soninké de Bokidiawé qui exploite un périmètre maraîcher de 5 hectares doté d’un système d’irrigation au goutte à goutte mis en place avec l’appui du PRODAM. Ces femmes ont décidé de s’investir dans la production de cultures à haute valeur ajoutée comme le gombo, le melon et la pastèque pour générer des revenus, améliorer l’état nutritionnel des familles et créer des emplois au niveau local. En effet, précise Mme Aissata Tirera, présidente du groupement, « malgré des moyens encore insuffisants, nous réalisons quand même un chiffre d’affaires de 30 millions de francs CFA par an avec trois campagnes de production car, grâce à l’irrigation par goutte-à-goutte, nous sommes moins à la merci des aléas climatiques ». En fait, le rêve des ces femmes dont les époux, pour la plupart, ont émigré en Europe, est de retenir leur progéniture sur le terroir en leur offrant une voie autre que celle de l’expatriation. « Aujourd’hui, nous démontrons que nos enfants peuvent trouver ici ce que nos maris sont partis chercher ailleurs », a déclaré Mme Tirera s’adressant aux représentants du FIDA et de la BM.

La délégation a estimé à leur juste valeur les réalisations en matière de maîtrise de l’eau par le système d’irrigation au goutte à goutte, tout en notant que ces dynamiques endogènes «porteuses de progrès» demandent à être coordonnées et consolidées dans le cadre d’une meilleure planification ; ainsi pourrait naître une synergie avec le Programme national de développement local (PNDL) soutenu par la BM pour aider les collectivités locales de la région à mieux utiliser leur Plan local de développement comme outil de planification du développement. Le Directeur des opérations a exprimé sa satisfaction devant l’appréciation positive des populations sur l’appui apporté par le PSAOP et le PRODAM qui ont produit des résultats significatifs en matière de fourniture de services et d’infrastructures de base (périmètres hydro-agricoles, infrastructures sociales, etc.)

Le second volet de cette « tournée » a rendu possible une rencontre et un échange de vues avec le syndicat d’initiative de Saint-Louis ainsi que le conservateur du Fort de Podor. Il faut, en effet, savoir que, outre ses ressources agro-sylvo-pastorales, cette zone dispose d’un potentiel touristique et culturel important ne demandant qu’à être valorisé davantage, avec des sites comme le fort de Podor construit en 1854 sous la direction du Capitaine de génie Faidherbe ; devenu Gouverneur du Sénégal, celui-ci a
conforté le rôle joué à l’époque dans la traite des esclaves par Podor qui s’est, du coup, progressivement urbanisé. Ce fort restauré grâce à la Coopération française, garde toute son élégance et témoigne encore du potentiel touristique de cette ville, malgré les difficultés financières auxquelles fait face le Conservateur pour l’entretien et la maintenance du site. Les professionnels du tourisme ont bien compris les enjeux du secteur et ont une vision claire de la promotion et du développement du tourisme intégré dans cette zone Nord.

Sur le chemin du retour, la délégation a visité la chaîne de production de sucre  (périmètres de canne et usines) de la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS) à Richard-Toll. La CSS joue un rôle important dans le développement économique et social de la région Nord, notamment en termes de création d’emplois (environ 6500 emplois) qui pourrait, d’ailleurs, connaître une nouvelle vigueur car la compagnie a entrepris de gros investissements pour la diversification de ses activités.

Au cours de cette équipée à travers le Nord du Sénégal, le Directeur du bureau de Dakar n’a sans doute pas vécu un total dépaysement. C’est, historiquement, en effet, à partir de ce territoire que les familles Tall ont essaimé dans toute la région ouest-africaine.

Demba Baldé et Maniével Sène

Source : FIDAFRIQUE.NET