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Entretien avec Younes Foudil

Pousser l’Europe à affecter les fonds destinés au contrôle de ses frontières à l’aide au développement de l’Afrique

Chercheur universitaire et militant associatif, Younes Foudil travaille sur le sujet des migrants subsahariens depuis des années et en connaît la problématique complexe. Dans l’entretien suivant il évoque le sit-in des réfugiés devant le siège du HCR, le droit des réfugiés et le travail des ONG.

-Quelle est votre appréciation du sit-in des réfugiés et des revendications "d’assistance fiancière régulière" exigée du HCR après l’aide "dérisoire" des microcrédits ?

Personnellement, je pense que le groupe de réfugiés qui a décidé de faire un sit-in illimité devant le bureau du HCR/Rabat est libre de faire valoir ses droits et revendications de la manière qui lui paraît la plus opportune et la plus efficace, tant qu’il ne trouble pas l’ordre public et ne porte pas atteinte au fonctionnement du bureau du HCR. Il est vrai que la situation des réfugiés au Maroc est très précaire. C’est dans ce sens que nous avons essayé, avec l’aide d’autres personnes ,de désamorcer la crise et d’essayer de rapprocher les deux parties en les amenant à négocier sur un terrain neutre et en présence de représentants de la société civile. Toutefois, la question de la régularité de l’assistance financière aux réfugiés, revendiquée par le groupe en sit-in, a été derrière l’échec des négociations. Le HCR ayant déclaré ne pas être en mesure de fournir une telle assistance régulièrement aux quelque 600 réfugiés sous sa protection. Je suis tout à fait conscient qu’il faut trouver une solution à ce problème récurrent.

La communauté subsaharienne éprouve de plus en plus de difficulté à s’intégrer au Maroc, principalement en raison des difficultés économiques que connaît le Maroc, mais aussi en raison de la méfiance réciproque entre les deux communautés et de l’image négative véhiculée par une certaine presse. Pour ce qui est des micro-crédits, il est tout à fait difficile pour les réfugiés de réussir dans cette entreprise du moment qu’ils n’ont toujours pas de carte de séjour. La politique des micro-crédits a beaucoup d’avantages et a donné des résultats très satisfaisants dans beaucoup de pays, mais ce n’est pas sûr qu’elle puisse réussir au Maroc et les limites de cette politique sont là pour nous le rappeler. A mon avis, il faut susciter un débat à grande échelle, entre les différentes parties concernées par cette thématique, HCR, Autorités Marocaines, ONG et réfugiés eux-mêmes pour élaborer une stratégie susceptible de régler ce problème.

-Quelles sont les droits des réfugiés et les prérogatives du HCR ?

 Le premier des droits dont un réfugié a besoin c’est de bénéficier d’une protection et de la garantie de ne pas être déporté vers son pays d’origine ou vers tout autre pays où il serait en danger. Par la suite, une fois le demandeur d’asile est reconnu réfugié, le HCR doit veiller à lui trouver une des trois solutions durables, à savoir une intégration locale dans son pays d’asile, ou la réinstallation dans un pays tiers ou finalement le rapatriement volontaire vers son pays d’origine si les conditions politiques et sécuritaires le permettent bien entendu.

- On a toujours pensé que le Maroc est piégé par l’Europe qui "externalise" sa politique d’immigration ? Est-ce que le Maroc doit faire face seul au flux migratoire pour que l’Europe vive en paix ?

Le Maroc n’est pas la destination des candidats à l’immigration vers l’Europe.

Le Maroc est lui-même pourvoyeur de candidats à "l’Eldorado Européen".

Mais comme l’Europe a renforcé outrageusement le contrôle de ses frontières méridionales, le Maroc s’est retrouvé dans une situation nouvelle pour lui, celle d’un pays "d’immigration par défaut", une sorte de "Terminus" imposé aux candidats à l’immigration vers l’Europe. Ce nouveau statut le contraint à gérer une situation à laquelle il n’était ni préparé, ni encore moins outillé pour y faire fasse. C’est ce qui explique les dépassements en matière des droits humains dont sont continuellement accusées les autorités marocaines, notamment lors des événements de l’automne 2005 à Sebta et Melilia et les campagnes de déportations de Noël 2006. C’est pour mettre un terme à ce genre de situations que nous oeuvrons en tant que société civile, en partenariat avec des agences des Nations Unies, pour mettre en place un programme "de mise à niveau" au profit des différents corps de sécurité au Maroc (DGSN, Gendarmerie Royale, Forces Auxiliaires) afin de les sensibiliser aux principes fondamentaux du Droit International Humanitaire.

- Quel est le rôle des ONG y compris dans les pays subsahariens où les problèmes ne font qu’empirer ?

Notre rôle en tant que société civile est de veiller tout d’abord à garantir une protection optimale à cette population. Cela passe par la reconnaissance de leurs droits tels que définis dans les différents instruments juridiques internationaux que le Maroc a ratifiés. Mais aussi et surtout faciliter leur intégration localement pour ceux qui le désirent bien entendu. Notre devoir est aussi de trouver une solution pour tous ceux dont la demande d’asile a été rejetée et qui, juridiquement parlant, sont refoulables selon les termes de la loi 02/03 sur l’entrée et le séjour des étrangers au Maroc. Dans ce sens, nous sommes en train de mettre en place une structure que nous appellerons "Forum Déboutés" qui se chargerait de trouver des parades juridiques pour éviter la déportation de cette catégorie particulière, qui plus est, beaucoup plus nombreuse que les réfugiés. Notre devoir aussiest de dénoncer la politique migratoire ou "anti-migratoire" européenne. Ceci dit, l’Europe a tout à fait le droit d’adopter la politique migratoire qui lui semble défendre le mieux ses intérêts, par contre, elle n’a pas le droit de nous l’imposer ou de nous imposer ses effets. Le rôle des ONG est de dénoncer une telle attitude et constituer une force de proposition pour amener l’’Europe à affecter les fonds destinés au contrôle de ses frontières à l’aide au développement de l’Afrique.


Source : L'Opinion