Ali Soumaré : génération quartiers

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Mais comment fait-il pour rester aussi zen ? Ali Soumaré, 29 ans, a traversé les émeutes de Villiers-le-Bel, en novembre 2007, comme porte-parole des familles et des quartiers, harcelé par des dizaines de journalistes du monde entier, par les pouvoirs publics paniqués par l'ampleur des violences, par les jeunes soucieux de faire entendre leur colère, par les élus souhaitant disposer de relais sur le terrain. D'une voix égale, sans jamais s'énerver, toujours cordial, il a assuré cette mission impossible de pacificateur, évidemment bénévole, au milieu de la fureur urbaine et médiatique. Ces derniers mois, le jeune militant ne s'est pas départi de son calme pour affronter d'autres phénomènes de bandes, d'autres conflits de territoire, d'autres règlements de comptes : la vie interne du Parti socialiste. Car Ali Soumaré est favori pour devenir la tête de liste du PS pour les élections régionales de 2010 dans le Val-d'Oise, représentant de la jeunesse et de la diversité, indice d'un possible renouvellement du PS et contre-feu idéal aux initiatives de la droite en matière d'ouverture aux Français issus de l'immigration. Sauf que, depuis qu'il a fait acte de candidature et obtenu le soutien de la direction locale du parti, les chausse-trappes se sont multipliées. Certains, au sein du PS, ont fait courir des rumeurs sur son antisémitisme supposé. En cause, une altercation avec un militant du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), six ans auparavant. L'accusation - fausse - l'a secoué. Il a dû menacer de porter plainte pour diffamation pour faire taire les bruits. D'autres "gentils" camarades se sont aussi interrogés, plus ou moins discrètement, pour savoir s'il n'avait pas un casier judiciaire défavorable, ce qui n'est pas le cas, faut-il le préciser. "Ces sous-entendus, c'est très dur à vivre. C'est parce que je suis noir qu'on se pose ces questions sur moi ?" Dans le vieux parti blanc, l'émergence d'une jeune pousse de couleur a fait grincer les dents de ceux qui ont le sentiment d'être injustement dépassés dans la course aux responsabilités militantes et politiques.

 D'autant que, tare supplémentaire aux yeux de ses adversaires internes, Ali Soumaré n'a pas de diplôme. Pas même le baccalauréat. Le militant s'est arrêté en terminale littéraire sans passer les épreuves, donc sans obtenir le précieux sésame. Aîné de six enfants, il s'est frotté à l'école sans que ses parents en maîtrisent les codes, sans qu'ils puissent l'aider, notamment en français, à des moments décisifs de la scolarité. Son père, émigré du Mali dans les années 1960, est employé à Roissy pour ravitailler les avions. Sa mère, venue en France dans le cadre du regroupement familial, deux décennies plus tard, est femme de ménage. "On m'a même dit, au sein du PS, que je n'avais pas le monopole de la souffrance. Mais je n'ai jamais souffert !", s'amuse-t-il en évoquant une enfance heureuse. Gamin, il a toujours fréquenté les centres de loisirs. Adolescent, il a côtoyé des animateurs qui lui ouvraient les portes de la culture et lui ont donné le goût des responsabilités. Son investissement dans le monde associatif est venu comme une évidence. D'abord bénévolement. Puis pour en faire son métier. "Jusqu'à 16 ans, je suis allé à l'école sans motivation, sans intérêt. Je n'avais qu'une seule envie, qu'une seule ambition : devenir animateur." Une carrière ascendante et rapide : médiateur, coordonnateur de centre social, responsable de formation, agent de développement local, chef de service municipal...

En parallèle, le jeune homme s'investit en politique. Un choix sans rapport avec les débats actuels sur la diversité. Lui appartient à cette génération mobilisée après le choc du 21 avril 2002. "C'était évidemment lié à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. Mais c'était aussi la volonté de faire bouger les choses au sein du PS. On ne pouvait pas continuer de la même façon, il fallait faire évoluer la grille de lecture du parti." Comme depuis l'âge de 8 ans, il habite Villiers-le-Bel, il s'inscrit naturellement dans la section locale. Le poste de secrétaire se libère deux ans plus tard, il se porte candidat. "A l'époque, on m'a gentiment conseillé de ne pas y aller. "Trop jeune, faut attendre", on m'a dit. Mais attendre quoi ? D'être vieux ?" Ali Soumaré est désigné secrétaire de section, la première marche dans l'appareil socialiste. Il entre ensuite au conseil départemental et devient secrétaire fédéral chargé de la vie associative. "J'ai suivi les règles du jeu interne. Personne ne peut dire que j'ai sauté une étape grâce à la diversité." Militant, il croise la route des grands élus du département. Notamment François Pupponi, député PS, successeur de Dominique Strauss-Kahn à la mairie de Sarcelles, très sensible aux questions de diversité. Puis celle de Dominique Lefebvre, le patron départemental du PS, également maire de Cergy, décidé à renouveler et à rajeunir les cadres du parti.
"Ali Soumaré est en phase avec l'évolution de la société. Il nous aide à faire bouger nos lignes internes", glisse Dominique Lefebvre. Lors des élections européennes, il s'est exercé au porte-à-porte. Une campagne de terrain récompensée : un des meilleurs scores du PS dans le Val-d'Oise. "Ce n'est pas un militant depuis dix-huit mois, qui débarquerait en disant : "Je suis black-blanc-beur, j'habite la banlieue donc tout m'est dû"", relève Raymonde Le Texier, sénatrice PS du Val-d'Oise, un autre de ses soutiens. Elle est convaincue que le jeune homme peut ouvrir des portes que les figures habituelles du PS ne parviennent plus à toucher. Défendu par l'état-major du PS, qui doit annoncer sa désignation mardi 24 novembre, Ali Soumaré a écrit une jolie lettre aux militants qui se prononceront début décembre sur la liste définitive. Il y décrit son engagement, sa confiance dans la rénovation du PS, mais aussi ses craintes par rapport aux "territoires déstructurés", ces quartiers sensibles que les pouvoirs publics ne savent plus comment gérer. "Tant qu'une partie de la population ne se sentira pas représentée, elle ne croira pas dans l'action publique. C'est à nous d'aller la chercher, de la convaincre que la politique peut les aider."

Lui défend l'idée qu'il faut reconnaître l'existence d'identités multiples dans la société française. "On nous ramène toujours à une question en noir et blanc : t'es français ou t'es pas français ? C'est une erreur : on peut avoir plusieurs appartenances sans que cela soit un complot contre la République." Soutenir l'équipe de foot d'Algérie ou du Mali et aimer les Bleus. Organiser l'élection d'une Miss Mali en France et défendre l'intégration. Penser aux quartiers sensibles et s'intéresser au monde rural. "Je n'ai pas peur d'être schizophrène." Il cite l'écrivain Amin Maalouf : "C'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer." Y compris au sein du PS ?
Luc Bronner
LE MONDE