L'identité au coeur de la question noire

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Documentaire : 160 ans après l'abolition de l'esclavage : L’identité au cœur de la question noire.

(MFI) De la traite négrière à la colonisation, des tirailleurs aux immigrés, Noirs, un documentaire d’Arnaud Ngatcha sorti en 2006, questionne l’identité des Noirs de France et des Antilles. Et mesure l’impact qu’ont encore aujourd’hui la traite négrière et l’idéologie coloniale dans les mentalités des uns et des autres. Un film maintenant disponible en Dvd. A voir absolument.

Ile de Gorée, au large de Dakar. ‘Si les murs pouvaient parler’, dit une pancarte, grossièrement écrite à la main qui résume l’esprit de ce lieu de mémoire. Un public métissé écoute, la mine contrite, le conservateur de la Maison des esclaves, Boubacar Joseph Ndiaye, raconter les conditions terribles faites aux esclaves avant ‘la séparation totale’. Hommes, femmes et enfants razziés avec des complicités locales empruntaient ici la ‘Porte du voyage sans retour’. Alignés comme du bétail dans les fonds de cales des navires négriers, enchaînés, ils traversaient l’Atlantique en direction des plantations des Amériques : Louisiane, Brésil, Antilles, Cuba ou Haïti. Etalée sur trois siècles (1536-1848), la Traite des Noirs a fait quelque 11 millions de déportés – dont un quart a péri en route.

Tournée en France métropolitaine, aux Antilles et au Sénégal, l’enquête d’Arnaud Ngatcha, illustrée de nombreuses images d’archives, retrace sans esprit de revanche les différents épisodes des relations complexes entre la France et la communauté noire. Il tente de mieux saisir ‘combien l’esclavage a laissé des traces’, ainsi que la colonisation, à la fois sur la construction identitaire des Noirs vivant en France et aux Antilles et sur leur image dans la société française d’aujourd’hui.

Christiane Taubira-Delannon, députée de Guyane et candidate à la présidentielle de 2002, est filmée devant le tombeau de Victor Schoelcher, celui qui abolit l’esclavage le 27 avril 1848. On la voit aussi plaider devant l’Assemblée nationale française avant l’adoption de sa loi – le 21 mai 2001 – sur la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Elle raconte comment, au hasard de sa vie, elle s’est interrogée un jour sur sa filiation. Et le sentiment qu’elle en a tiré de faire partie ‘des peuples vaincus’. D’où sa conviction de la nécessité d’enseigner cette histoire grise dans les programmes scolaires.

Faire revivre les figures héroïques comme celle de Louis Delgrès

Illustration in situ. Françoise Vergès, vice-présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage, répond aux questions des enfants d’une école. ‘Ils ont résisté tout le temps’, leur dit-elle, rappelant la figure héroïque qu’est toujours Louis Delgrès pour les jeunes Antillais. A la tête d’une rébellion contre les troupes bonapartistes venues rétablir l’esclavage, il avait lancé, le 10 mai 1802, une proclamation à l’humanité toute entière, posant la liberté comme principe universel et inaliénable – avant de se suicider à la Soufrière avec tous ses hommes.

Aux Antilles, l’esclavage se vit ‘encore sur le mode de la blessure’, confie le philosophe antillais Jacky Dahomay, soulignant l’absence de musées restituant cette ‘part cachée et sale (…) qu’on a tout fait pour oublier’. Tel était d’ailleurs le mot d’ordre de la République après 1848, qui a feint de ne pas se souvenir que l’impératrice des Français, Joséphine de Beauharnais, était elle-même créole. L’écrivain Maryse Condé, à l’origine de la journée de commémoration de l’esclavage (chaque 10 mai en France), rapporte que dans sa famille, la langue créole était interdite, comme la musique et le type de vie des Noirs. Il n’y avait ‘pas de respect des origines’. Ce qui l’a menée plus tard en Afrique où, là aussi, ‘tout a été difficile’. Une quête d’identité ‘douloureuse et envahissante’. Et une assignation ‘à une couleur fustigée’. Une couleur très hiérarchisée en Guadeloupe : noir-noir, noir-clair, chabine dorée (très prisée des garçons). ‘Les négresses, c’est transparent, invisible’, ironise une jeune fille.

Commémoration ou pas, pour Arnaud Ngatcha, quelque chose ne passe pas en France. Quelque chose lié au fait que ‘l’abolitionnisme a justifié la conquête coloniale’. Le président sénégalais Abdoulaye Wade souligne que la colonisation est un ‘phénomène historique qui a duré un siècle et demi’. Et juge ‘stériles’ les discussions autour de cette question : ‘Bonne ou mauvaise, elle a été.’ Le phénomène est d’ailleurs complexe puisque les premiers colons étaient emprunts des grandes idées de la Révolution française. Leurs successeurs, à partir de 1900, ont été ‘d’épouvantables petits boutiquiers’ qui ont développé une ‘colonisation dure’, dit l’historien Pascal Blanchard qui rappelle ‘la rupture fondamentale’ que fut la Guerre de 14-18 – quand les Noirs sont appelés pour sauver la République. Apparaît alors ‘le bon noir souriant’, l’image publicitaire de Banania. Ce qui n’empêche pas le commentateur d’une archive vantant l’Empire français de vouloir ‘sauver ces races débilitées’.

Du statut d’indigène à celui de citoyen, une route pavée d’embûches

Spécialiste de la propagande coloniale, Blanchard rappelle l’impact qu’a eu son idéologie. L’exposition de 1931, qui a fait 33 millions d’entrées, fut une ‘mise en scène des indigènes de l’Empire dans des décors dignes de Cinecitta’. François Mitterrand, visitant l’Exposition coloniale à l’âge de quatorze ans, a senti ce jour-là ‘la grandeur de la France’. Mythe du bon sauvage anthropophage à l’occasion, stéréotypes d’une Afrique dangereuse conquise par de valeureux colons... Du statut d’indigène à celui de citoyen, la route fut pavée d’embûches.

‘Que reste-t-il de cet héritage’ dans l’imaginaire collectif ? Réponse dans ces images montrant l’immigration ouvrière des années 1960. Une femme interviewée estime que ‘quand ils sont cinquante dans une chambre, ils sont bien’… Jean-Claude Tchicaya, adjoint au maire de Bagneux, en banlieue parisienne, évoque avec des jeunes de sa commune les cris de singe lors des matches. La reconnaissance, certes en marche, ne devrait pas passer seulement par le football et la musique. Pour l’écrivain Gaston Kelman, comme pour Patrick Lozès, qui préside le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), ‘la nationalité n’est pas une carapace contre la discrimination’. Et Kofi Yamgnane, l’ancien maire de Saint-Coulitz, en Bretagne, d’affirmer, pessimiste : ‘C’est l’intégration des identités qu’on a ratée.’

Quant à Disiz-la-Peste, il a six ans quand, à la piscine, il ressent pour la première fois cette ‘différence, (…) alors que je me considérais comme eux depuis tout petit. (…) Au Cp, une fille, Anne-Lise – je me rappellerai toute ma vie de son nom –…Je lui ai demandé une serviette, elle m’a dit : “Sale Noir, retourne dans ton pays”‘. Le rappeur franco-sénégalais, Victoire de la musique 2006, souffre cette fois de la ‘condescendance’, de ce ‘ton gentil’ que prennent les présentateurs de télévision pour lui parler, et qu’il vit comme discriminatoire. Un film très riche et passionnant. A voir absolument.

Noirs. L’identité au cœur de la question noire. Un film d’Arnaud Ngatcha. Dvd disponible le 5 août 2008, 22 euros. www.editionsmontparnasse.fr En bonus : interviewes d’Aimé Césaire, Gaston Kelman et Pascal Blanchard.

Antoinette Delafin

Source : walf.sn

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Commentaires (1)

  • sumaarenkunda

    MEME A LHEURE ACTUELLE ON FAIT DE L\\\'ESCLAVAGE.POUR QUOI,PARCEQUE,ILS ONT VOLER TOUT NOS BIEN EN AFRIQUE, EN PLUS ILS ONT TROPER TOUS NOS ETELLECTUELLE,A CAUSE DE L\\\'ARGENT,ON NE SAIS PLUS MENA COMMENT S\\\'EN SORTIR,TOUJOUR L\\\'AFRIC EST PAUVRE :cry