Aya Cissoko, dans la vie comme sur un ring

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Aya Cissoko, dans la vie comme sur un ring

D'une enfance marquée par les coups du sort, elle aurait pu ne jamais se relever. La boxe l'a sauvée. Cette Française de Ménilmontant est aujourd'hui étudiante à Sciences Po. À 31 ans, elle revient sur son parcours dans un livre écrit avec Marie Desplechin. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Aya Cissoko a du ressort... et du danbé (dignité, dans la langue de ses parents maliens).

Danbé. « Dignité », en malinké. Tout respire la dignité, sur le beau visage d'Aya Cissoko. Si lisse, malgré les coups encaissés. En la voyant, on se demande par où attaquer les questions, tant elle a mis de sobriété et de pudeur à résumer sa vie dans Danbé. Alors on parle d'abord de ses ongles vernis de vert, souvenir d'un récent voyage en Angleterre. Elle plaisante de sa coquetterie, comme n'importe quelle étudiante. 

« La boxe, c'est fini. Je ne regarde jamais en arrière », dit celle qui a pourtant jugé nécessaire de se raconter dans un livre, pour entamer un nouveau chapitre de son existence. Danbé est le fruit de longs entretiens avec l'auteure Marie Desplechin. « Ce livre, c'était d'abord une commande d'un éditeur, pour revenir sur mon parcours de sportive. J'ai fait confiance à Marie, rencontrée par l'intermédiaire d'amis, pour en dire davantage », explique Aya.


 

Sa voix est lente. Elle reconnaît être épuisée par la promotion, qui tombe au milieu de ses examens. L'écrivaine, à ses côtés, avoue, elle, s'être demandée comment l'aider à coucher son histoire déchirante sur le papier. « Par quel bout commencer ? »

Simplement par le commencement. L'arrivée en France des parents d'Aya. Son père d'abord : Sagui Cissoko, tenté par l'aventure, comme tant d'autres Africains, à la fin des années 1960. Puis sa mère, Massiré, venue le rejoindre en 1976. Le couple s'installe dans le XXe arrondissement de Paris. Dans l'immeuble d'un marchand de sommeil. 56 studios minuscules répartis autour d'une cage d'escalier en bois.

Le père fait vivre la famille de petits boulots qui ne durent pas. Ils sont quatre enfants : Aya, Issa, son aîné d'un an, et les deux petits, Massou et Moussa. « Avec rien, j'étais très très heureuse », assure Aya, qui raconte, amusée, ses sorties dans le quartier, « habillée en fantômette », un sous-pull de couleur vive et de simples collants.

C'est au milieu de cette enfance à Ménilmontant, somme toute « délicieuse », qu'est survenu l'incendie criminel de l'immeuble. Aya avait 7 ans. Son père et Massou, sa petite soeur, y ont perdu la vie. Massiré, la maman, a sauvé ses trois autres enfants en les recouvrant de son corps, sur le lit. Un an plus tard, elle n'a rien pu faire pour retenir Moussa, son petit dernier, emporté par une méningite foudroyante.

La boxe pour s'empêcher de penser

Comment tenir, après tous ces drames ? « Le danbé », répond Aya. Une attitude dictée par sa mère, face aux difficultés. Insensées. L'absence d'indemnisation après l'incendie, alors que les Cissoko possédaient des papiers en règle. La maladresse, l'indifférence des services sociaux...

Souffrant d'insuffisance rénale, sa mère a été rejetée par la communauté malienne, qui préconisait son retour au pays. « Les Maliens n'ont pas été plus tendres que les Français, mais on n'est pas là pour compter les points », balaye Aya. Elle préfère insister sur « les rencontres » qui, malgré tout, les ont sauvés. Ont permis à Massiré, relogée dans une cité décrépie et violente de Ménilmontant, d'obtenir un travail de nuit à l'hôpital et d'être enfin indemnisée. Pour Aya, de s'investir dans la boxe, française d'abord ; puis anglaise. La boxe « pour s'empêcher de penser », canaliser sa « colère ». Sa mère s'est finalement ralliée à son choix. « Ce que la vie inflige sans crier gare est autrement plus douloureux que ce qu'on risque entre les cordes », écrit la jeune femme.

En 2006, elle a gagné tous ses combats de boxe anglaise, jusqu'à son titre de championne du monde amateur, remporté au prix d'une rupture des cervicales. Les performances ? « Je n'en ai rien à faire », dit-elle pourtant. Pendant toute sa carrière sportive, elle a poursuivi sa scolarité, puis son métier de comptable.

L'étudiante à Sciences Po qu'elle est devenue, grâce à une bourse, n'a jamais conçu le sport comme moyen de s'en sortir économiquement. Si, à la demande de la mairie de Paris, elle encadre aujourd'hui les activités sportives de jeunes en difficultés, c'est surtout pour leur dire que « le sport, ce n'est pas la vie ». Qu'il faut « s'ouvrir au monde, oser. Ils ont tant de richesses en eux et on ne leur propose pas autre chose, quel gâchis ! »

Au détour de son histoire, Aya exprime des sentiments très forts pour la France, son pays. « Pour moi, c'est une évidence. » Le débat « indigne », sur l'identité nationale a obligé les enfants d'immigrés, « à se positionner, se justifier. C'est insupportable ! »

Alors oui, ce petit livre écrit pour ses neveux, qu'elle a commencé à lire à hautevoix à sa mère, en se blottissant à ses genoux, comme lorsqu'elle était enfant, est aussi un livre « militant ». « Les gens focalisent sur mon histoire, mais Danbé aborde aussi des maux de la société et des injustices de plus en plus flagrantes. Je ne suis pas une héroïne, insiste Aya Cissoko. Si ce livre pouvait amener les gens à s'interroger, ce serait... super. »

Danbé, Calmann-Lévy, 183 pages, 15 €.

Ouest-france.fr