Soninke, Pular et Bambara sont des kalingoro

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Yaya SY

Une contribution de Yaya SY (professeur d'histoire)

( Voir : Quand les bergers Peulhs provoquent les paysans Soninké )

"Entre les Peul et les Soninké[1] se pose l’éternel problème qu’on rencontre entre nomade et sédentaire à travers toute l’histoire de l’humanité. L’un vivant de ses cultures millénaires, de son amour de la terre et des plantes, l’autre de la pâture de ses troupeaux qui doivent trouver des végétaux frais ou secs où qu’ils se trouvent, y compris dans le champ du sédentaire…
Dans le monde entier, le sédentaire, au vu de son mode de vie, est pacifique, il protège ses traditions ancestrales, sa famille et son village contre les intrusions extérieures. Il pratique pieusement sa religion, même s’il n’a pas une connaissance approfondie des cultes religieux.

 

Quant au nomade, ses actions ne sont pas toujours bridées par la religion… Souvent, il pratique la religion de façon pragmatique, son dieu ne l’empêche pas de faire du mal au sédentaire, pourvu que son bétail broute… Il se déplace avec ses troupeaux et connaît les sédentaires et leur mode de vie, mais surtout il les considère comme des gens pacifiques et inertes qui subissent les choses sans réagir (ce qui n’est qu’une croyance, car presque chaque fois que le sédentaire est excédé par les agissements du nomade, ça se termine mal pour le nomade…).
Le nomade est souvent le premier à s’en prendre au sédentaire, soit en faisant paître son troupeau dans son champ, soit en l’attaquant par surprise et par ruse (le sédentaire le qualifie de traître).
D’autre part, le nomade préfère ne pas manger que de ne pas faire paître son bétail.

Quant à nos Peuls du Sahel, pour bien comprendre leur religion ancestrale, il faut voir le film réalisé par Hampaté Bâ et Arté sur leurs cultes afin de saisir les liens qu’ils pensent avoir avec le Bœuf…considéré comme leur frère de sang. C’est pourquoi le Peul préfère compter ses bœufs plutôt que de les manger, même s’il meurt de faim.
Mais le sang et la sueur du sédentaire, c’est son champ et ses plantes qu’il soigne avec amour jusqu’à la récolte, bien sûr avec quelques prières et amulettes ancestrales pour améliorer le rendement... Ce sont ses cultures qui lui permettent de nourrir sa famille et de contribuer à la vie sociale de son village et de son jamaane (pays) jusqu’à la prochaine récolte.
J’ai lu et bien compris tout ce qui est écrit ici entre les bergers peuls et les jeunes soninké, et rien n’est inventé, tout a été tiré de l’expérience quotidienne de chacun de nous.
Moi aussi, comme vous, j’ai vécu personnellement ces histoires réelles entre bergers peul et agriculteurs soninké. Je vais vous en raconter seulement deux que j’ai vécues dans ma propre famille à Bakel.

Première anecdote:

En pleine ville de Bakel, il y avait des enclos où l’on cultivait du maïs ou du mil. Un berger peul ne trouva pas mieux que de faire paître son bétail au vu et au su de tout le monde en détruisant une partie de la palissade d’un Soninke (qui était un oncle par alliance par mon père) pour y faire paître ses moutons…
Des femmes qui pilaient le mil dans l’après midi sous un arbre, se mirent à crier le nom du propriétaire pour qu’il vienne y chasser les moutons.
Arrivé d’urgence, mon oncle eut une altercation avec le Peul. Ils faillirent en arriver aux mains si ce n’est le Grand marabout de Bakel qui, par chance passait par là et arrêta les deux antagonistes en demandant au Peul de sortir ses moutons du champ au plus vite… Ce qui fut fait.
Mais dès que le marabout disparut, le Peul revint doucement sur ses pas et trouva le proprétaire entrain de fermer la porte de son enclos.
Il le frappa dos tournée à la nuque et le Soninké tomba immédiatement en sombrant dans le coma…
A l’hôpital de Bakel on mettra plusieurs heures pour réanimer mon oncle…
Le Peul prit la fuite à toute vitesse et alla s’enfermer dans sa chambre avec sa femme et son bébé chez la personne qui les hébergeait à Bakel. Sa femme criait à tue-tête :
-Ils vont nous tuer aujourd’hui !!!! Ils vont nous tuer aujourd’hui, il n’y a pas de remède !!! C’est notre dernier jour malheur à moi !!
Et au Peul de dire à sa femme : « Tais-toi donc, il ne va rien nous arriver, ce sont des Soninké… » ( comprenez, ils sont inoffensifs et pacifiques, ils sont incapables de faire du mal à une mouche…)
Et il répétait : « Ce sont des Soninké…il ne va rien nous arriver»
J’étais sur les lieux de l’agression au moment des faits et avais à peine 10 ans et les femmes qui pilaient m’ordonnèrent : « va prévenir ton oncle paternel, dis-lui que le Peul a assommé ton oncle un tel... »
Comme j’ai vu le Peul frapper et mon oncle s’effondrer, j’avais déjà peur et je courus alors à toutes jambes en criant en direction de notre maison et en pleurant :
Le Peul un tel… a assommé mon Tonton un tel… !!!
Le Peul… a assommé mon tonton un tel…il l’a tué !! il est mort !! jusqu’à la maison sans répondre aux questions des passants.
Mon oncle paternel (ancien combattant de Verdun ) sans attendre, vint à ma rencontre devant l’entrée de la maison, me caressa les cheveux pour me calmer et sortit d’un pas rapide.
Mais les femmes témoins de la scène eurent la présence d’esprit d’avertir le dispensaire qui n’était pas loin et dont les agents sont venus récupérer immédiatement le blessé.
Arrivé sur les lieux, mon oncle leur demanda où est passé le blessé et elles lui expliquèrent ce qui s’est passé entre temps. Il alla au dispensaire voir son cousin (par alliance) mais revint vite à la maison.
Il prit des cordes (nankacu) et un gros pilon…et se rendit à la maison où logeait le Peul à une quarantaine de mètres de la nôtre, et je le suivis.
Arrivé sur place il trouva plein de monde qui se demandaient ce qu’il fallait faire. D’aucuns proposaient de les hacher en menus morceaux avec des coupe-coupe, d’autres de les brûler vifs, d’autres de les laisser au jugement d’Allah, etc. etc. etc.
Mon oncle leur dit :
-Nous n’allons rien faire de tout ça, il faut défoncer la porte, lui attacher les mains dans le dos et l’emmener voir son forfait au dispensaire. Ensuite nous le livrerons au Chef de village et au Commandant de cercle (qui était un Blanc à l’époque).
-Mais personne ne doit le toucher, il faut le livrer aux autorités après le dispensaire sain et sauf. Est-ce que tout le monde a entendu ? Interrogea t-il à haute voix.
Il faut préciser qu’à l’époque tant qu’il n’y avait pas mort d’homme le Commandant de cercle laissait les affaires courantes entre les mains du chef de village (Bakel avait un debi gume nommé Mamadu Waranka N’Jaay).
Mon oncle donna le pilon aux jeunes et leur demanda de briser la porte…
Aussitôt dit, aussitôt fait avec l’aide d’autres pilons pris en vitesse dans la maison où habite le berger peul. Une fois la porte fracassée, les jeunes gens se jetèrent sur le Peul (qui encaissa tout de même quelques gifles bien placées de quelques jeunes malgré la ferme intervention de mon oncle). Ils lui attachèrent les mains dans le dos. Mon oncle, un gaillard haut et fort le prit par l’oreille... en direction de l’hôpital.
Sur la route du dispensaire les jeunes en colère voulurent le frapper, mais mon oncle les en dissuada.
Arrivé sur place, il demanda aux jeunes de rester hors du dispensaire et au médecin de présenter son cousin comateux au Peul. A trois, ils se rendirent au chevet du blessé qui était toujours inconscient entre la vie et la mort. Hormis le médecin, personne ne sait ce que mon oncle a dit au Peul devant le lit blessé.
Tout Bakel était entassé devant le dispensaire en cet après midi de septembre (1955 ?)
Après le constat, le médecin dit à mon oncle :
-Vous avez fait œuvre de sagesse M. S…
Mon oncle, après le dispensaire conduisit le Peul jusqu’à la maison du chef de village qui le remercia de sa pondération et prit le relais avec le Commandant de cercle.
Entre temps, les parents du Soninké qui hébergeait le Peul se mirent à répandre le bruit que le Peul était leur xalifa (leur protégé) et qu’ils le défendraient jusqu’au bout…Mais aucun d’eux n’osa aller voir mon oncle pour lui reprocher quoi que ce soit.

Seconde anecdote :

Un berger peul fit rentrer ses moutons dans notre champ situé sur l’autre rive du fleuve (du côté de la Mauritanie bien avant l’indépendance…) . Mon père qui était à l’autre bout du champ lui cria : es-tu devenu fou ? Retire vite tes bêtes avant que je ne me fâche… Le jeune Peul qui était fier de son mètre quatre-vingt-dix et de ses cent kilos (rare pour un Peul) lui rétorqua en peul :
-Tu ne m’impressionnes guère ! Si tu arrives ici, je te partage en deux de la tête au pied comme du bois mort… (en soninké : nan pellexu xo suwa colle)
Il laissa son troupeau rentrer tranquillement dans notre champ.
Mon père, ancien soldat et marin de son état, le rejoignit au pas de charge...
Arrivé à environ trois mètres de lui, le Peul leva sa hache pour hacher mon père comme promis…
Celui-ci bloqua la hache, lui tourna la main dans le dos en lui arrachant l’arme… avec un coup de genou bien placé dans le derrière. Il s’écroula et se releva sans bâton ni hache…
N’ayant pas compris comment il fut désarmé aussi vite et jeté à terre, le jeune Peul prit ses jambes à son coup…
Mon père qui connaît là où il habite ne se précipita point.
Il sortit le bétail du champ, hache et bâton à la main se rendit au petit village peul (situé à quatre kilomètres de notre champ) voir le père du berger chez lui dans sa maison…
Dès que le vieux Peul le vit arriver (il était déjà au courant…), il lui lança en Peul pour l’amadouer… :
-Ils sont devenus fous, même à toi ils osent s’attaquer maintenant ? Fiche qu’ils sont ignorants ces pauvres petits…
Mon père les armes du crime à la main…s’approcha du vieux qui n’était pas trop rassuré… :
-Ignorants ou pas, si un seul de tes morveux fait encore rentrer son bétail dans mon « falo » (culture de contre saison), « je viendrai te hacher comme un bout de bois mort sous leurs yeux… » comme me l’a promis le porteur de cette hache. Il jeta la hache au devant du vieux Peul et tourna les talons.
-Samba !! Je t’en prie, ne repars pas comme ça... Tu vas manger quelque chose avec moi, cher cousin…et on va faire un brin de causette comme d’habitude... Tu ne peux pas me refuser ça, ce serait un affront… As-tu eu des dommages sérieux dans ton champ ? Ne suis pas ces enfants… qui ne savent même pas que tu es un Peul comme eux…
Et patati et patata et bla bla et bla bla…
Mon père s’arrêta net pour les dernières paroles :
-Je ne suis pas Peul, et surtout pas comme eux… (lui lança t-il tout en se retournant furieux et indigné) ; et il poursuit :
-Je vis en cultivant mes champs, je ne veux plus voir tes rejetons sans éducation venir les « récolter » à ma place avec ton bétail.

Pathétiques ces paroles de mon père… « Je ne suis pas Peul »
C’est ça l’Afrique, au bout de trois générations à Bakel mon père est devenu Soninké
comme tant de patronymes (ma famille vient des Sy du Boundou qui sont originaires du Fouta Toro, ça fait maintenant cinq générations que nous habitons à Bakel nous ne parlons pas peul actuellement mais mon père lui le parlait très bien). Nous sommes tous des métis de l’Afrique Mère, hier comme aujourd’hui, nous avons toujours partagé les mêmes cultures entremêlées. Nous sommes le même peuple venu de l’est du continent et qui s’est fragmenté en multiples branches sur l’ensemble du Continent.

Pour terminer, pourquoi autrefois les conflits entre éleveurs Peul et cultivateurs Soninke ne débordaient que rarement ?
Tout simplement parce nos anciens avaient tout prévu : si un berger fait rentrer son bétail dans le champ d’un cultivateur, deux possibilités s’offraient à eux :
a) Il est pris en flagrant délit, alors on confisque immédiatement le bétail en attendant d’évaluer les dégâts et de les faire payer (en argent ou en bétail par le berger responsable ou par le propriétaire) par un tribunal traditionnel qui se tient à la mosquée du village et qui évalue les dégâts.
b) Si le berger n’est pas pris en flagrant délit, on diligente une enquête sérieuse pour l’identifier et le faire payer (lui ou le propriétaire). Car à l’époque (même pendant la période coloniale) on se faisait un honneur de respecter ces traditions des deux côtés.

On peut dire que jusqu’à la veille des indépendances, la justice traditionnelle fonctionnait et mettait des gardes-fous pour éviter les débordements des jeunes peul et soninké. La justice était rendue sans la corruption et les passe droits que nous connaissons actuellement et qui se font sur le dos du cultivateur qui après avoir perdu sa récolte dépense son argent pour se défendre sans résultat.

Après « l’indépendance », les Africains ont donc abandonné les lois et la jurisprudence traditionnelles pour s’appuyer sur de nouvelles lois un peu trop formelles, souvent imitées ou inadaptées à nos réalités historiques ou vécues.

Cet ainsi qu’en 1989 au lieu de calmer le jeu, les soldats mauritaniens de l’époque ont attisé les braises entre sédentaires soninké et bergers peul, en demandant aux Peul de laisser leurs bêtes dans les champs du dunde de Jawara. Ensuite ils sont intervenus avec des armes à feu pour défendre les bergers peul contre les cultivateurs soninké. Ce qui, était tout simplement aberrant.

Cette intervention est tout à fait contraire à nos traditions, car les adultes peul et soninké s’entendaient toujours pour calmer le jeu et rendre une justice qui sauvegarde la coexistence pacifique entre nomades peul et sédentaires soninké. En réalité, la Mauritanie, soutenue à l’époque par Saddam Hussein, voulait tout simplement annexer le fleuve Sénégal.

C’est pourquoi cette provocation des soldats mauritaniens n’était qu’un prétexte qui va très vite se retourner contre les Peul de Mauritanie (opposés au régime à l’époque) qui seront paradoxalement indexés par leur propre gouvernement pour les chasser de la Mauritanie… Le conflit fit ressurgir les vieux démons, les vieilles rancunes et les stéréotypes que pourtant les anciens utilisaient à bon escient pour une franche rigolade, ou pour calmer les esprits… ou s’amuser en se tournant en dérision.

Quelques stéréotypes :

C’et ainsi que les Soninké disent :

Fulla xumante, an gha na fu a na xenu, xan ta jomu niana (le Peul est maigre comme un clou, si tu souffles sur lui il tombe, mais il ne fait que des bêtises).
Fulle ni jambante (Peul égal traître).
Le Peul est tellement fourbe qu’il appelle sa mère Néné ( néné veut dire tromper en soninké…)
Fulle ni i maran texi a na ri tenkandi soninko ka ni (le Peul ferme son grenier et vient
quémander de la nourriture chez les Soninké), etc.

Les Peul disent :

Le Soninké crie fort à la mosquée pour que sa femme, de la maison l’entende et en soit fière…
Le Soninké n’est pas malin (Cedo ko buta : c’est un plat gluant de gombo qu’on avale sans peine), etc.

(Ma grand’mère paternelle est un exemple extraordinaire d’intégration en pays soninké. Surnommée Sira Mojo par les Soninkés (Sira la Gentille), elle passait son temps à les railler et à grogner en mauvais soninké et tout le monde en rigolait… Quand elle cultivait son champ d’arachide ce sont les jeunes qui le cultivaient pour elle avec des coups de main car elle partageait sa récolte avec eux et tous les passants en leur offrant un pied d’arachide…)
Nos anciens savaient rire d’eux-mêmes et de tous ces stéréotypes, se défier de leurs propres préjugés pour les transformer en taquineries justement pour endiguer, prévenir, expurger les rancunes, les malentendus et les conflits.

Quelqu’un a dit sur ce forum : « partout il y des bons et des mauvais » (des hommes intelligents et intègres et des imbéciles malhonnêtes). Malheureusement parmi les bergers peul peu respectent le labeur du paysan soninké (bambara ou autre) qui souffre sous le soleil brûlant d’Afrique pour arracher quelques épis à la nature. Il faut une justice moderne plus efficace et débarrassée de la gangrène de la corruption… pour juger ces malfrats.

Conservons ce qui est positif dans les enseignements de nos anciens, rions de nos propres travers et faiblesses… Faisons progresser l’Afrique en pensant à une gestion juste de notre environnement et de nos ressources entre les différentes composantes de notre peuple. Pour cela, il nous faut œuvrer tous pour l’unité africaine, et non nous raccrocher à des Etats non viables, qui ne seront jamais forts tant qu’ils seront divisés, et ne pourront par conséquent, jamais développer l’Afrique.

Je vous salue tous…
Yaya SY.


[1] Noms : Soninké et Peul ; adjectifs : soninké et peul utilisés comme invariables.

 

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Yaya SY.