Sentinelle d'une démocratie-abdoulaye bathily: monsieur le professeur

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Sentinelle d'une democratie-abdoulaye bathily: monsieur le professeurLorsqu’il prend la tête de la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (Ld-Mpt), les Sénégalais qui le voient pour la première fois, ne connaissent pas bien l’homme. Le parti qui venait à peine d’être reconnu, changeait de Secrétaire général subitement après la présidentielle de février 1983. Et, arrive, à la place de Babacar Sané, le bien nommé Abdoulaye Bathily. Professeur d’histoire, homme de gauche et défenseur des causes du mouvement ouvrier.

Au cours des années 1980, les étudiants qui suivent ses cours dans un des grands amphis de l’époque à l’université de Dakar, se souviennent d’un homme simple, presque ordinaire ; un professeur qui, à la fin de chacun de ses cours, n’hésitait pas à sacrifier une dizaine de minutes pour échanger avec eux, sur ses idées et  le contenu de son enseignement. Brillant, mais un brin caché sur son parcours qui l’a mené à une thèse de doctorat de troisième cycle soutenue à l’université de Birmingham, le Pr Abdoulaye Bathily, est aussi un homme de savoir, un universitaire reconnu un peu partout en Afrique dans le monde francophone comme anglophone.  

Hors des fastes de la mise en scène permanente des prétentieux, lui avait choisi, une posture plus académique au sein de l’université. Ce qui explique qu’en dehors de ses collègues, les Sénégalais qui n’avaient pas cheminé pas avec lui dans l’opposition clandestine ou visible contre le président Senghor ne l’aient pas connu. Les années passent et l’homme avec. Jouant avec son parti, au niveau du collectif des 19, de la Conapco, jusqu’à la Coalition alternance 2000, un rôle d’avant-garde dans la construction de la démocratie sénégalaise.
Avec ses amis Yéro Dé, Mbaye Diack, Mamadou Ndoye, Ousmane Badiane, il a traversé cette vie politique sénégalaise et ses tumultes au cours des années 70, jusqu’à cette période nouvelle où l’on se met maintenant à parler d’une démocratie. Mais que ce fut dur pour l’homme. Entre les rêves de ses combats, l’ajustement idéologique par rapport à la réalité d’un monde qui changeait trop rapidement, l’homme a aussi connu la violence des régimes qui combattent les démocrates et les hommes libres de leur pensée.

Agressé, chargé violemment par la police lors des marches, le Pr Abdoulaye Bathily est resté lui-même. Et lorsqu’au début des années 1990, Abdou Diouf lassé de voir son parti, sa gendarmerie et sa police charger des hommes qui n’avaient rien fait que de défendre la liberté d’expression et la vie démocratique dans leur pays et dans le cadre du gouvernement de majorité élargie fait appel à lui comme à d’autres, l’homme fait son entrée dans les cercles du pouvoir. Précédé par son courage, mais aussi la connaissance des dossiers qui touchent la gestion de l’Etat. Deux ajustements ont été réussi avant cela et sans contrainte : celui de la correction idéologique et celui, de la gouvernance réelle d’un pays. La chute du mur de Berlin en 1989, tout de suite suivie par la fin de l’Etat soviétique en 1991 en sont les signes avant coureurs.
Abdoulaye Bathily prend de la dimension jusqu’au moment où il est à la tête du ministère de l’Environnement et de la Protection qu’il a occupé jusqu’aux élections de 2000, un homme incontournable. De la hauteur également sur certaines questions idéologiques. Dans le domaine de l’environnement, l’homme est un visionnaire. C’est à lui qu’on doit la création du Conseil supérieur des ressources naturelles et de l’environnement (Consere) sur financement de l’Usaid. Il sera aussi à la base de deux plans importants : le Plan national d’action pour l’environnement (Pnae) et le Plan national d’action pour la lutte contre la désertification (Panlcd). Entretemps le sommet de la Terre dont on célèbre le 20 ème anniversaire en cette année 2012, est passé avec ses annonces…

Un homme qui s’adapte à son monde et à son temps. Il le restera toujours. Jusqu’au moment où il conduit la coalition alternance 2000 avec Abdoulaye Wade à sa tête, au palais de la république. Ce 19 mars 2000, le Sénégal réussit l’alternance. Abdoulaye Wade devient président. Mais, l’histoire ne s’arrête pas pour autant pour le professeur. Derrière l’euphorie et les mots commodes du moment, l’homme se distingue avec Moustapha Niasse, devenu Premier Ministre dans le refus de la vengeance. «Pas de chasse aux sorcières», martèle le premier. Une idée confortée par lui-même. Le Sénégal, son émergence, son développement sont le combat de toujours du professeur. Il aura formé nombre d’historiens, pour cet objectif.

Mais très vite, avant même la fin des années 2000, les hommes changent autour de lui. Et les premières déceptions ne se font pas attendre au sein de la coalition. Et, pour lui, tout était prévu sauf les manœuvres de Wade visant à les affaiblir. Des souvenirs douloureux pour lui, pour Moustapha Niasse, Amath Dansokho, Yéro Dé etc. Entre la transhumance qui change de sa forme primaire (ovine, bovine, équine) à une autre secondaire et humaine, aux débats houleux relatifs à la loi Ezzan, le Pr Bathily ne se reconnaît plus dans cette alternance qui fait plus place à une nouvelle race de prédateurs qu’à des personnes averties qui pensent et veulent bâtir un Etat de droit.

Loin de tout dogmatisme

Une foi sans faille pour la vérité

Les discours à contresens, le  mépris et la méprise, le mensonge, les calculs, l’invective et les insultes sont devenus le mode opératoire des groupes d’amis qui se retrouvent subitement dans un mouvement qu’ils ont tant détesté pendant son évolution. Et au sein d’un groupe pollué par un parti, le Pds de Wade, qui refuse toute forme de débats ou de contradictions, les électrons libres ne se retrouvent pas. Insulte suprême, on reproche au professeur, l’ambition de vouloir le poste de Premier ministre qui ne devrait plus, quoi qu’il arrive, revenir qu’au « Parti dominant». C’en est désormais trop…

Celui qui a beaucoup donné à ce mouvement, dans sa réussite, est un homme déçu. Un homme surpris et meurtri qui se pose des questions sur son avenir dans la politique. Mais, il faut plus pour réduire Bathily à la démission et au silence. Quand au détour d’une de ses distractions favorites, le sport, on le rencontre, plus que le maintien de sa forme, Abdoulaye Bathily se pose des questions dans sa course. Il parle amicalement à ses anciens étudiants de sa déception. Des erreurs de choix et d’orientation qui ont été dans le fait d’aller chercher Wade à Paris pour le mettre devant Abdou Diouf. Des sacrifices du peuple qu’on foule au pied. L’homme assez critique contre lui-même parce qu’honnête, ne se pardonne rien. Il souffre et le fait savoir.

Mais comme l’écrivait quelqu’un, « il y a bien une vie après le 19 mars ». Après avoir célébré l’entrée dans le nouveau millénaire sur ce coup de révolte, les Sénégalais avec ses éternels combattants qu’ils sont, ont encore rectifié calmement et intelligemment le tir en ce mois de mars. Au grand bonheur d’un homme qui a connu aussi  les contrecoups d’une vie faite de surprise, de bonheur et de malheur, avec la disparition prématurée de son épouse, Anna Bathily. Mais Dieu n’oublie pas ses enfants, aient-il été des héros malheureux d’un scénario mal dessiné à un moment de leur vie.

Et la correction opérée (le mot est choisi à dessein) par les Sénégalais le 25 mars  de cette année 2012, est comme une sorte de résurrection pour lui. Une victoire belle pour un homme de conviction qui, sans aucun doute, retrouve une seconde jeunesse. Et devrait jouer un rôle de veille dans cette «révolution» tranquille aux allures d’un «Printemps de Prague» achevé pour cette fois. Parce que contre les dérives et excès d’un président subitement devenu l’ennemi de ses amis d’hier, il fallait ce choix pour donner raison à un homme qui a presque tout donné à la république : le professeur Abdoulaye Bathily.
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