Sénégal: Matam: Les mille et un problèmes des paysans

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Dans le Nord du Sénégal, on attend désespérément la Goana (Grande offensive pour l’alimentation, la nourriture et l’abondance). Les hivernages se suivent et se ressemblent pour le paysan et le monde rural. Lentement, mais sûrement, la carte d’identité économique du Fouta est entrain de connaître une révolution profonde en passant du secteur primaire (agro-sylvo–pastoral) vers le secteur tertiaire (le commerce et le transport). Le cas de Hamady Ounaré.

Le village de Hamady Ounaré se trouve dans la communauté rurale de Sinthiou Bamambé, au cœur de cette zone appelée le Damgua, à une cinquantaine de kilomètres de Matam.

Le village de Hamady Ounaré compte 5 quartiers (Aéré, Maboubé, Saraxoulé, (Djingué), Bassoudji) pour une population estimée à 12 000 habitants. H. Ounaré est réputé pour être le plus gros village dans cette contrée nord du Sénégal. Ce qui fait dire à beaucoup, que Hamady Ounaré devait être le chef lieu de la Communauté rurale dont il dépend, mais qu’il est victime de ne pas avoir un leader politique qui puisse défendre ses intérêts dans les instances de décisions au plus haut sommet de l’Etat.

Tout compte fait, en étant un simple village, H. Ounaré dispose d’un Poste de santé et d’un Cem, ce qui est rare en milieu rural pour un village, car, les Postes de santé ainsi que les Cem, sont érigés dans les chefs lieux de Communauté rurale suivant la carte sanitaire et scolaire du Sénégal. Quinze mosquées, la présence des deux opérateurs de téléphonie mobile (Orange et Tigo), une pharmacie, un garage, des restaurants, 3 écoles primaires et une station d’essence viennent compléter la fiche technique de H. Ounaré. Et que dire de l’ouverture prochaine d’un nouveau lycée qui est un privilège des chefs lieu de communes et de régions. Le village est peuplé en majorité par les halpulaars et les saraxoulés.

Avec 4 quartiers peulhs contre 1 des saraxoulés, le pular , la langue des peulhs, exerce une colonisation linguistique sur le saraxoulé , la langue des soninkés, le tout sur fond des relations sociales pacifiques et pacifiées depuis longtemps. Les activités économiques sont de type agro- sylvo- pastorales (secteur primaire). Un gisement de phosphates est entrain d’être exploité par la Société d’études des phosphates de Matam (Sepm). Si tous les problèmes de fonciers et d’exploitation de cette carrière sont réglés à temps et dans sa juste mesure, H Ounaré sortira de son enclavement et l’économie de toute cette contrée va basculer du secteur primaire vers le secondaire. Avec toutes les mutations que cela entraine.

Une agriculture essentiellement vivrière

Parler de H. Ounaré, c’est aussi parler du Fouta. Parler du Fouta, c’est parler de la vallée du fleuve, de la Saed (Société d’aménagement et d’exploitation du delta) et de ses 240 milles hectares de terres aménagées de Saint Louis à Bakel, dont 47 milles sont seulement exploitées. L’essentiel de l’agriculture est destiné à la consommation (une agriculture vivrière) et reste dominée par le mil, le maïs, le sorgho, le gombo, le blé. Pendant la saison sèche, l’agriculture est de type irriguée dans la partie appelée Walo. Pendant la saison des pluies, les paysans laissent souffler les terres du Walo dans cette partie du « dandémayo » ( le long du fleuve) pour descendre sur celles du Diéri (désert en pular). Pour vendre leur excédent de récoltes ou pour s’approvisionner en marchandises de toutes sortes, les foutankés se sont organisés en réseaux de loumas (marchés hebdomadaires), véritables creuset économiques, le long de la route nationale et au rythme des jours de la semaine.

La casse tête de l’eau, des semences et de l’engrais

L’eau constitue une véritable tête pour les populations habitants dans les villages au nord du Sénégal. Le ravitaillement du précieux liquide se fait à travers le pompage depuis les forages qui tombent souvent en panne, renvoyant aux bassines et aux puits, pour des pans entiers de village. Sans compter leur entretien couteux pour ces populations au seuil de la pauvreté. Au Fouta, l’organisation socio économique tourne autour des Gie (Groupement d’intérêt économique) chez les femmes, et des associations de développement chez les hommes, pour porter le combat du développement endogène. En cette période de « Goana », c’est à se demander si l’Etat a oublié le Nord. Insuffisance criarde de Gmp (Groupe de motos pompes), manque d’engrais blanc et l’inexistence du Dat (l’engrais noir) sur le marché, risquent de compromettre les récoltes qui sont en phase de maturation. L’Etat a tout à gagner en donnant des « diountoukayes » (matériels agricoles, semences, engrais) au lieu d’attendre la fin de l’hivernage pour venir assister des sinistrés en vivres de soudure. Car, à ce rythme, on peut affirmer sans risque de se tromper, que la campagne agricole de cette année sera catastrophique dans le Fouta. L’agriculture reste plus que jamais compromise dans cette partie du Sénégal et il n’est pas exagéré de dire que si l’Etat ne revoie pas sa politique agricole à court, moyen et long terme , l’agriculture va tout simplement mourir (si elle ne l’est pas déjà).

Pour cause : dans sa partie dite le Diéri, l’agriculture ne peut se pratiquer que pendant l’hivernage et, il est (presque) impossible de faire irriguer, car le fleuve se trouve de l’autre côté de la route. Dans sa partie dite walo ou « dindémayo » (le long du fleuve Sénégal), le système du double pompage constitue un goulot d’étranglement pour le paysan qui a, à sa trousse, la Saed et la Cncas (une banque spécialisée dans le financement agricole). Techniquement, pour ce qui est du double pompage, l’eau est libérée depuis le barrage de Madantalli pour alimenter le fleuve. Le pompage hydro-électrique puise l’eau du fleuve vers les tuyaux. Et c’est à partir de ces tuyaux que les Gmp (groupes motos pompes) puisent pour irriguer l’eau dans les casiers (périmètres de champs de riz). Et le pauvre paysan, qui doit payer la facture d’électricité à travers le pompage hydro-électrique et qui doit acheter aussi le gasoil pour les motos pompes (40 litres par jour en raison de 813 Francs le litre pour les moto pompes grand modèle et 20 litres pour les petits modèle au même prix), ne disposant pas de l’engrais noir (Dat) qui n’existe pas sur le marché au Fouta et qui est impératif pour pouvoir récolter. L’engrais blanc très cher pour le paysan (10 000 Francs le sac), des semences sahel 202 (4 mois pour récolter) ou sahel 108 (2 mois pour récolter) vendues à 375 Francs le kilo, il y a de quoi de se recycler dans le commerce ou le transport qui risquent de devenir dans les années à venir, le nouveau plan directeur économique au Fouta. Face à la déliquescence de la Saed qui résiste tant bien que mal, une insuffisance criarde du matériel agricole et une incohérence totale dans l’articulation d’une politique agricole pérenne, il sera difficile d’arrêter les vagues d’immigrants vers Barçaq et Dakar.

Mohamadou SY « Siré »