Mauritanie: quand Mohamed Ould Abdelaziz écrit l'Histoire

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Le Parlement mauritanien a adopté une réforme constitutionnelle affirmant le caractère multiethnique du pays, criminalisant les coups d'État et l'esclavage. Un tournant pour un président lui-même ancien putschiste.

Le 6 août 2008, il renversait Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le premier président civil depuis Moktar Ould Daddah. Cette fois, Mohamed Ould Abdelaziz, l'ancien général devenu chef de l'État, tourne une page de l'histoire de son pays. Le 6 mars, le Parlement réuni en congrès a voté une série d'amendements constitutionnels, dont la responsabilisation du Premier ministre devant les deux chambres et l'interdiction des coups d'État. Le symbole est fort, tant les putschs ont rythmé la vie politique du pays, dirigé par six militaires - tous Maures - sur les sept chefs d'État qui se sont succédé depuis le renversement de Moktar Ould Daddah en 1978.

En constitutionnalisant également le caractère multiethnique de la nation et la criminalisation de l'esclavage (inscrite dans la loi en 2007), Aziz va plus loin que tous ses prédécesseurs. En 1989, des milliers de Négro-Mauritaniens avaient été tués et blessés, et 60 000 d'entre eux avaient été poussés à l'exil après un incident frontalier avec le Sénégal. Jamais les régimes successifs n'ont réussi à apaiser les tensions entre Maures arabo-berbères blancs (les Beydanes) et Négro-Mauritaniens (Peuls-Toucouleurs, Soninkés et Wolofs) parlant le français, le pulaar, le soninké et le wolof. Le pays est aussi peuplé de Noirs Haratines (descendants d'esclaves). La pratique ancestrale et persistante de l'esclavage contribue également à fragiliser l'unité sociale.
Lunettes fumées et épaisse moustache, Mohamed Ould Abdelaziz, 55 ans, a troqué le treillis pour le costume-cravate lors de son élection, le 18 juillet 2009. Directeur du Bataillon de la sécurité présidentielle du colonel Maaouiya Ould Taya, il déjoua le putsch de 2003 avant d'oeuvrer en coulisses deux ans plus tard pour faire chuter son mentor. C'est encore lui qui a renversé, en 2008, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, qui l'avait promu général. L'opposition ne lui a jamais pardonné ce péché originel. Aussi, tout comme elle avait refusé de participer au Dialogue national (dont sont issues les réformes constitutionnelles) en septembre et octobre derniers, la Coordination de l'opposition démocratique a boycotté le vote au Parlement le 6 mars. « Ces mesures sont insignifiantes puisque Aziz s'absout de ses coups d'État et ne fait qu'envoyer des signaux à la communauté internationale », va même jusqu'à assurer Limam Ahmed Ould Mohamedou, ex-secrétaire permanent du Rassemblement des forces démocratiques, le parti du chef de l'opposition, Ahmed Ould Daddah.

Aziz, l'homme de Paris

Une chose est sûre, Aziz, qui bénéficie toujours de la confiance des Européens (France et Espagne en tête), a une carte à jouer. Devenu l'homme de Paris dans la lutte contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), il sait qu'il doit rassurer ses partenaires sur la stabilité de son pays, alors que le Printemps arabe a balayé les régimes des États voisins. Mais, en attendant que la date des élections législatives (et municipales) soit enfin fixée, il doit aussi convaincre ses concitoyens.

La mobilisation des Négro-Mauritaniens ne faiblit pas, et les cas d'esclavage signalés se multiplient. « L'unité nationale n'existe pas, puisque l'arabe est la langue officielle du pays et que les droits culturels et linguistiques des Négro-Mauritaniens ne sont pas reconnus », commente Abdoul Birane Wane, à la tête du collectif Touche pas à ma nationalité. Manière de signifier qu'avant de pouvoir être qualifié d'historique, le tournant du 6 mars 2012 devra d'abord être traduit dans les faits.

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Justine Spiegel, JeuneAfrique.com