Mauritanie: Nouvelles d'ailleurs: Des paradoxes de nos oulémas

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Encore une fois nos islamistes « modérés » ont perdu l'occasion de se taire et d'aller voir ailleurs si les Maliens en étaient encore au stade du simple questionnement. Ils (nos islamistes) se sont élevés contre l'intervention française au Mali, montant au créneau des indignations vertueuses sur une présupposée « colonisation » moderne.

Combien de temps encore nos penseurs et érudits se tourneront-ils autour du nombril, surfant sur un anti-occidentalisme primaire et sur nos non-dits et malaises, vis à vis de la période coloniale ? Combien de temps vont-ils continuer à dénoncer sans agir? J'aurais aimé les entendre, lorsque les extrémistes de tous poils appliquaient la Charia, dans son sens le plus littéral, le plus obtus, le plus obvié, et imposaient une chape de plomb sur le nord du Mali tombé entre leurs mains.

J'aurais aimé les entendre sur l'esclavage, non pas qu'il ne l'ait pas fait, mais de façon plus bruyante, plus médiatique. J'aurais aimé les entendre, lorsqu'on a flagellé, coupé des mains et des pieds, fouetté en public, exécuté. J'aurais aimé les entendre, lorsque les djihadistes se sont emparés d'une bonne partie du Mali et qu'ils s'apprêtaient à descendre sur Bamako. J'aurais aimé les entendre, lorsque des innocents ont été pris en otages, négociés comme du bétail ou assassinés. J'aurais aimé les entendre lorsque ces mêmes fous de Dieu, ces moines-soldats contemporains et pourtant si moyenâgeux, ont violé, marié de force des femmes, fomenté des attentats.
J'aurais tant aimé... Là où on était en droit d'attendre, de leur part, compassion et dénonciation, ils se sont plus préoccupés des « printemps arabes » et des islamistes victorieux.

A ce stade, leur logique ira-t-elle jusqu'à dénoncer l'assaut des forces spéciales algériennes sur le site d'In Amenas ? Cela fait si longtemps que nos courants religieux flirtent avec les idées les plus extrémistes que le discours religieux en a perdu une bonne part de sa lisibilité, déconcertant les ouailles (nous), brouillant les cartes et provoquant la confusion.

Je n'ai jamais très bien compris ce qu'est un islamiste modéré par rapport à un islamiste radical. L'islam politique a des lignes floues. Tellement floues que certains exaltés ne trouvent pas mieux que d'aller s'embrigader dans des katibas, brandissant arme et Coran, persuadés que leur passage sur terre a une mission : islamiser, islamiser encore, imposer, punir.

Si quelques illuminés se tâtaient encore de savoir s'ils allaient rejoindre les radicaux, les discours de certains de nos érudits ne peuvent que les conforter dans leur haine de l'Occident. Nos érudits leur offrent, sur un plateau, une excuse et une motivation supplémentaire, à savoir aller combattre tous ces impies, tous ces « croisés » qui interviennent au Mali...

Il nous faudra bien rompre avec des discours qui n'ont plus lieu d'être et une mémoire qui n'a pas évolué. Regardez comment, chez les islamistes radicaux, est employé systématiquement le terme de « croisés », terme du Moyen Âge, à l'époque où d'autres fanatiques religieux, chrétiens ceux-là, déferlaient sur le monde arabo-musulman dans une mission qui n’avait rien de « civilisatrice ». Sauf que, depuis le 13ème siècle, ces « croisés-là » ne sont plus. Ils font partie de l'Histoire. Huit siècles ont passé mais la mémoire des barbaries perpétrées par ces croisés chrétiens est toujours aussi vivace chez nos théologiens. Vivace souvenir, exploité jusqu'à la nausée : aux croisés barbares d'hier devrons-nous opposer, éternellement, nos croisés d'aujourd'hui ?

Je pense que le vrai courage politique n'est pas seulement dans la dénonciation de gouvernements. Il est, pour nos oulémas, dans la dénonciation ferme, claire et précise, sans équivoque, des barbares d'aujourd'hui qui utilisent la religion, usent de la violence la plus abjecte, pour imposer leur vision, terrorisent et dénaturent notre foi, nos croyances, notre islam, celui du pardon, celui de l'amour, celui de l'égalité, celui de la compassion, celui du savoir, de la tolérance, de l'ouverture aux autres et au monde, de la pitié... Ce courage politique serait dans l'acceptation de l'humanité du Message et non pas dans une inhumanité instrumentalisée.

Où est le message du Prophète (PSL) quand on lapide, qu'on viole, qu'on égorge, qu'on enlève, qu'on asservit ? Où est la Parole de Dieu dans la violence ? Où est l'homme, dans sa manifestation sacrée, lorsqu’on envoie un pauvre type se faire exploser ? Où est l'Amour dans les cris et l'agonie d'une femme qu'on lapide ? Où est le Verbe quand on égorge ?

Alors, oui : la France, par delà la défense de ses évidents intérêts économiques dans la région, a eu raison d'intervenir. Elle est intervenue, parce que nous, Africains, n'avons pas levé le petit doigt et parce que nos religieux, tout occupés à faire de la politique, ont abandonné les populations du Nord-Mali à leur sort. Pendant que le monde musulman ergotait, les radicaux tuaient. Et tuent encore...


Mariem mint DERWICH
Pour le Calame
Noorinfo