Le noircissement des gencives: Quand la beauté rime avec la torture

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Le noircissement des gencives est une pratique adoptée par certaines jeunes filles africaines et singulièrement ivoiriennes. Elles sont nombreuses, celles qui se font noircir les gencives pour avoir un beau sourire et faire ressortir l’éclat de leurs dents. Mais, cette pratique ne se fait-elle pas sans douleur ?

L’origine du noircissement des gencives

Le noircissement des gencives et des lèvres était une pratique très courante chez les femmes Soninké , une ethnie d’Afrique de l'Ouest, présente surtout au Mali, le long de la frontière sénégalaise entre Nara et Nioro du Sahel, ainsi qu'au Sénégal et en Mauritanie. Les habitants de cette contrée se désignent eux-mêmes par le mot soninké qui est en réalité, le singulier du mot soninko, mais sont également appelés Sarakholés par les Wolofs, Marakas par les Bambaras, Wangara par les Malinkés. Se noircir les gencives est couramment appelé ‘’diguinia Sokhondé’’. Il s’agit d’une pratique courante chez les jeunes filles qui consiste à noircir les gencives et/ou les lèvres, ou en tout cas, le pourtour de la bouche.

Les produits utilisés

Nous avons été orientés dans nos investigations vers une guinéenne qu’on disait être une habituée de cette pratique à Treichville, non loin du marché d’Adjamé. Celle-ci, répondant à nos questions n’a pas nié le fait qu’elle est une doyenne du ‘’diguinia’’ mais a refusé de décliner son identité. « Ce que je peux vous dire,c’ est que plusieurs jeunes filles et mêmes certains hommes venaient me voir pour se noircir la gencive. Mais depuis que la maladie du siècle (Vih/Sida) a commencé à se répandre, j’ai été plusieurs fois menacée de mort, si je ne mettais pas fin à cette pratique. Parce que c’est avec les mêmes aiguilles que je noircissais au moins les gencives de deux personnes ». A la question de savoir combien d’aiguilles et quel produit utilisait-elle, elle a répondu qu’elle combine au moins dix aiguilles qu’elle attache solidement à l’aide d’une ficelle bien doublée. Quant au produit, « je brûle quelques grains d’arachide jusqu’à l’obtention d’un genre de charbon auquel j’ajoute le dépôt de la fumée contenant les lampes tempêtes et du ‘’boula’’ (un produit servant à teindre les pagnes et les habits). J’écrase le tout ensemble pour obtenir une poudre noire que je conserve dans une boîte et chaque fois que je reçois la clientèle, je l’utilise pour noircir les parties de la gencive pilée. »

Le noircissement des gencives, est un processus !

L'opération consiste à utiliser des aiguilles pour piquer à plusieurs reprises la gencive jusqu’au sang, et d'y appliquer ensuite la poudre noire obtenue des mélanges. Elle peut être répétée à plusieurs reprises de sorte que le produit pénètre toutes les déchirures occasionnées par le passage des aiguilles. C’est avec beaucoup de difficultés que les jeunes filles supportent la douleur. « Certaines abandonnent dès le premier coup, mais les plus courageuses vont jusqu’au bout avec des larmes aux yeux. Parce que, cela fait vraiment mal. Je peux même dire que c’est plus douloureux que l’enfantement », dixit la guinéenne. Ce n’est pas Assita Diomandé, une jeune dame tresseuse que nous avons rencontrée au marché d’Adjamé qui dira le contraire. « Dans les années 1980, cette pratique était courante en Côte d’Ivoire et j'avais, à plusieurs reprises, assisté à cette opération. Il y avait plus de filles spécialistes, que celles qui voulaient se faire noircir les gencives venaient me voir. L'opération était douloureuse, mais pour se faire belle, la souffrance, quelle qu'elle soit, était acceptable», a-t-elle indiqué. Et d’ajouter, « Généralement, c'était les nouvelles mariées sénégalaises, guinéennes ou maliennes qui allaient pratiquer cette opération; en plus de se noircir le pourtour des lèvres et des gencives, elles se faisaient aussi noircir la paume des mains, et les talons ». Tout ceci montre que la couleur noire était synonyme de beauté. Pourtant, de nos jours, certaines jeunes filles se dépigmentent. Quel contraste !

 

 Le prix


Pour permettre à toutes les couches sociales d’y avoir accès, le prix est fixé à partir de 1000Fcfa. Il peut aller au-delà, jusqu’à 2000Fcfa selon la tête du client. Mais si la cliente ou le client est trop jeune (10 à 15 ans), « on ne lui permet pas de subir ce martyr de peur que les parents viennent se plaindre des conséquences ». Car après cette opération, la cliente doit éviter de manger les repas chauds et peut même avoir des plaies à la gencive pendant des jours, si le pratiquant ne maîtrise pas bien son travail ou si la personne à qui on pile la gencive n’est pas restée calme pendant l’opération. Généralement, c’est la gencive du haut que les jeunes filles noircissent parce que celle du bas est moins visible et fait plus mal lors de l’opération.

 

Les maladies contractées par le sang freinent la pratique


La nouvelle génération de jeunes filles refuse de s'adonner à de telles souffrances pour se faire belles. En plus, il y a trop de maladies telles que le Vih/Sida, l’hépatite virale et bien d’autres que l’on peut contracter en utilisant la même aiguille et le même chiffon pour nettoyer le sang. Mais à la recherche d’astuces de beauté, ces jeunes filles ont une nouvelle trouvaille qui consiste à la pose d'une sorte de prothèse noire sur leurs gencives. Cette méthode permet d’éviter la douleur des aiguilles et la transmission de maladies. « En fait, macarelle que je suis, j'avais complimenté une coiffeuse que je trouvais magnifique avec ses gencives noires et son sourire Colgate. Du coup, elle m'a dit que c'était une prothèse et elle nous a emmenées chez la fameuse "dentiste" pour la modique somme de 500F ou 1500Fcfa. Je me la suis fait faire, il y a trois ans environs chez cette "dentiste" à côté du grand marché de Treichville. En fait, la dame, une asiatique fait un mélange chimique bizarre qu'elle pose par petites touches sur la gencive, qui se transforme en une pâte noire, qui durcit. Ça brûle lors de la pose et ça a un goût très amer mais bon. C’est supportable, puis elle retire l'excédent en respectant le pourtour de la dent. Le fini est très joli, et le résultat est spectaculaire. Pas besoin de retouche afin de préserver la noirceur de celle-ci et qui, en plus se retire et se remet sans problème. Même, ma maman a pensé que j'avais fait le fameux ‘’diguinia’’. Le hic, c’est que cette prothèse est très fragile. La mienne s’est cassée deux mois après. Bref ! Au moins concernant, le caractère licite de celle-ci, on est fixé dans la mesure où elle est réversible et ce n'est pas un acte permanent », a indiqué Soraya, une jeune commerçante. C’est vrai que la femme doit rester toujours belle et séduisante mais la meilleure des choses à faire, c’est de garder sa beauté naturelle afin d’éviter les nombreuses conséquences que peuvent provoquer les produits artificiels sur l’organisme.


Adèle Kouadio, Abidjan.net