Le Carré d’As gagnant: Pourquoi Ould Abdel Aziz risque de perdre l’élection

 Imprimer 

Le premier lot des candidatures à l’élection présidentielle en Mauritanie fait ressortir quatre favoris, tous originaires de la même région (Trarza) : Mohamed Ould Abdel Aziz, Ely Ould Mohamed Vall, Ahmed Ould Daddah et Messaoud Ould Boulkheir. La quadripolarisation du paysage politique qui se dessine déjà permet difficilement, pour le moment, de situer des écarts importants entre les uns et les autres. Aux starting-blocks, ils partent, plus ou moins, à presque égalité de chances, talonnés par des outsiders comme Sarr Ibrahima ou Jemil Ould Mansour. Les deux premiers, militaires, cousins proches-ennemis, et géniteurs du putsch de 2005, se « mangent » déjà entre eux car puisant dans le même grenier électoral, l’un d’eux devra, inévitablement, laisser la place à l’autre, dès le premier tour. Les deux derniers, compagnons de route dans l’opposition durant ces deux dernières décennies et défendant des causes assez proches, ne sortiront pas tous les deux vainqueurs au premier tour. Celui parmi eux qui arrivera à faire une percée au niveau du Charg (les deux Hodh et l’Assaba) et aura attiré le capital financier passera au second tour.
Mohamed Ould Abdel Aziz, 56 ans, favori dans la course en solitaire qu’il s’était fixé pour le 6 juin, l’auteur des putschs du 3 aout 2005 et 6 aout 2008, s’est forgé une réputation d’homme déterminé et audacieux. En renversant celui qu’il avait porté à la présidence en 2007, Ould Abdel Aziz s’est entouré, dès le premier jour après la chute de Sidi Ould Cheikh Abdellahi, de l’écrasante majorité de la classe politique : la quasi-totalité du Parlement et …le chef de file de l’opposition démocratique !
Seules les désapprobations extérieures, particulièrement américaines, ont permis à la coalition anti-putsch de s’organiser et faire échec au coup d’Etat. Mais, très tôt le Général manque de tact politique et…diplomatique et fait preuve d’un populisme fastoche qui inquiète même ses alliés.
Empruntant à l’opposition son discours d’antan dont le créneau est la lutte contre la gabegie, il scie la branche sur laquelle il est assis et offre un cadeau à ses adversaires, ses soutiens étant particulièrement ceux à qui s’adresse son sermon.
Autre cheval de bataille récupéré à l’opposition, le rejet des relations avec Israël. En gelant ces relations et en tombant dans les bras des Libyens et des Iraniens, le Général Aziz fragilise son parapluie Français, pas assez souvent imperméable devant les pressions de Washington.
Sans encadrement politique expérimenté, Ould Abdel Aziz s’est entouré de courtisans proches, de jeunes cadres carriéristes et haineux, de sa tribu et surtout d’un gouvernement incompétent, laissant peu de place aux Mauritaniens dont il sollicite les suffrages.
L’agenda de l’élection du 6 juin, visiblement établi avec l’accord de la France dans la perspective d’y pousser l’adhésion des forces anti-putsch, fait sauter les premiers wagons de l’attelage par le retrait du RFD dont l’appui a été précieux pour le coup d’Etat, mais dont le chef, Ahmed Ould Daddah, n’est intéressé que par le fauteuil présidentiel. Le putsch s’enlise sérieusement et l’Accord de Dakar signe son échec. Les états-majors de campagne d’Aziz se démobilisent et perdent, du coup, des frais de campagne estimés à environ un milliard d’ouguiya.L’entrée dans la course d’Ely Ould Mohamed Vall gâche totalement la fête des partisans d’Aziz qui voient dans l’intrusion du cousin de leur candidat une charge supplémentaire qui alourdit un fagot déjà lourd à porter. D’autant que les candidatures, suscitées dans une projection unilatérale du processus, de Sghair Ould M’bareck, Sarr Ibrahima, Kane Hamidou Baba risquent, si elles se maintiennent dans un cadre ouvert, d’émietter le vote dans le camp de la junte, compromettant les chances d’Ould Abdel Aziz d’aller au second tour, car au premier tour il s’est retrouvé, forcément, dans une position de « seul contre tous ».
Aujourd’hui, la rétraction du Général et son intransigeance à maintenir le HCE vise à lui conserver un important pan du pouvoir, celui de la hiérarchie militaire qu’il continue à diriger malgré tout, et sans laquelle ses partisans prendraient le grand large. Il suffit de voir les défections au sein de son camp, dès l’instant où on a évoqué la possibilité de réduire le rôle du HCE à un organe sécuritaire sous l’autorité du Gouvernement de transition.
Néanmoins, l’on ne pourrait faire fi ici d’une nouvelle donne, intervenue après la signature de l’Accord de Dakar : le retour d’Ould Taya dont la forte mobilisation des partisans a été surprenante, laissant soupçonner une main invisible à ne pas négliger, l’issue de la crise en Mauritanie se jouant, essentiellement, à l’extérieur.
Inévitablement, tout cela conduit Ould Abdel Aziz à la situation d’avant 6 juin : campagne tous azimuts à l’intérieur du pays, refus du report de l’élection, accusation de l’opposition de blocages délibérés, organisation d’un scrutin contesté, arrestations, répression, avec pour premières conséquences la mise en application de sanctions internationales, isolement du pays, instabilité permanente. Entre une compétition ouverte et transparente, mais perdue d’avance et le maintien d’un statu quo désastreux, le Général, il est vrai, n’a pas beaucoup de choix. Ely Ould Mohamed Vall, 58 ans, complice de son jeune cousin, Mohamed Ould Abdel Aziz, dans le coup d’Etat du 3 aout 2005 qui a conduit à la transition de 2005-2007 et au cours de laquelle il a tenté, par le fameux « vote blanc », de rester au pouvoir, n’eut été la volonté d’Aziz de le déloger de là. Les ambitions personnelles de l’un et de l’autre en feront, à partir de cette date, des ennemis jurés. Se partageant avec son principal parent-adversaire de nombreux défauts (richesses douteuses, militaires avides de pouvoir ayant trahi tous les deux celui qui leur a fait une confiance absolue, coresponsables de la situation actuelle du pays), Ely est réputé, toute fois, d’une carrure d’homme d’Etat pour avoir dirigé les services de la police pendant plus de 20 années et pour avoir dirigé le pays, sans heurts, durant 19 mois de transition, capitalisant ainsi une vaste renommée internationale. D’un très bon niveau intellectuel, mystérieux et secret, Ely est aussi fin calculateur qui sait jouer ses coups. Après le 6 aout, il s’est investi dans une campagne extérieure contre le putsch et s’est positionné après l’Accord de Dakar dans le camp de l’opposition à la junte. Connaissant, mieux que quiconque, les capacités et les points faibles de son jeune cousin qu’il a vu grandir, il va à son propre rythme, essayant de l’isoler au maximum et de lui retirer toutes ses cartes, avant de donner un coup d’accélérateur à sa machine dont le moteur tourne, pour le moment, au ralenti.
Son objectif : éliminer Aziz de la course. Objectif semblable à celui du RPM de Louleid Ould Weddad et dont la position finale devrait, nécessairement, déterminer le degré de démobilisation dans le camp d’Ould Abdel Aziz en faveur de son aîné.
Cependant, si Ould Abdel Aziz a été crédité jusqu’ici de la protection des Français et des Libyens (nouveaux complices dans la politiqua africaine), il est intrigant de constater les liens étroits que continue d’entretenir Ely Ould Mohamed Vall avec Paris, Tripoli et…Ouagadougou, autre capitale sous forte influence hexagonale.
Ce qui laisse penser que la France ayant entrainé, au début, Ould Daddah dans le putsch, et incertaine du succès d’Aziz après le retrait du chef du RFD, aurait sorti de son écurie un autre cheval pour la course, en la personne d’Ould Mohamed Vall. La forte médiatisation par les organes de presse parisiens de la candidature de l’ancien patron de la DGSN est quelque peu suspecte. A cela, il faut ajouter ce clin d’œil par Ely Ould Mohamed Vall à l’adresse d’Israël, et par ricochet à Washington, au lendemain du gel des relations avec l’Etat hébreu par Aziz, quand l’ancien chef du Cmjd prend la parole au cours d’une rencontre commémorant « le martyr des victimes de la Shoah ». L’influence du lobby juif n’étant pas uniquement circonscrite à la seule Amérique, elle demeure tout aussi pesante à l’Elysée et dans les capitales du monde.
Ahmed Ould Daddah, 67 ans, opposant historique en Mauritanie, malheureux candidat à l’élection de 2007 qu’il a raté d’un cheveu. Son amour pour l’autorité, sa précipitation et sa myopie politique lui ont fait perdre, à deux reprises, un fauteuil présidentiel quasiment acquis pour lui. D’abord, en 2005, en tombant dans les bras de militaires putschistes ambitieux qui lui ont fait croire, après leur coup de force, qu’il serait leur favori. Alors que le bon sens politique l’incitait à les condamner, aussitôt, et exiger une transition, la plus courte possible.
Ensuite, lorsque le même groupe d’officiers arrive au pouvoir en aout dernier, non seulement il leur apporte son soutien, mais participe à leur conspiration, croyant toujours leurs dires et comprenant leurs « regrets » d’avoir été injustes à son égard par le passé et qu’ils comptaient, désormais, « réparer cette faute ». Alors que la logique, cette fois encore, lui dictait d’éviter de retomber dans le même piège. Son reniement, quoique tardif, du putsch et son ralliement du FNDD a précipité l’échec du coup d’Etat.
Sans maillage électoral au plan national (il a été battu par Zeine Ould Zeidane dans 9 wilaya sur les 13 du pays), il bénéficie, en revanche, d’un atout de taille, celui du vote régional du Trarza et de Nouakchott (district situé géographiquement à l’intérieur de cette région) avec près de 30% de l’électorat national. L’implication des cadres originaires du Charg, régions qui le récusent depuis toujours, pourrait l’aider à dépasser ce lourd handicap. Le choix d’Ould Moine (père) comme principal négociateur du RFD, Nanna Mint Cheikhna et l’arrivée des gros renforts de Lemrabott Ould Bennahi à Kankossa sont des signes précurseurs d’une percée dans l’Est.
Cependant, Ould Daddah ne doit pas prendre sa chasse-gardée pour complètement acquise, ses principaux concurrents (Aziz, Ely, Messaoud et Jemil) sont réputés être issus du Trarza et constituent pour lui une menace sérieuse.
Mais, en réalité, Ould Daddah joue le premier tour, essentiellement avec son principal allié ( !) Messaoud Ould Boulkheir. Messaoud Ould Boulkheir, 66 ans, opposant farouche du coup d’Etat du 6 aout 2008, le leader de l’APP a été investi par le FNDD dont les Islamistes se sont démarqués pour faire cavalier seul. Arrivé en quatrième position et après dix sept années de parcours dans les rangs de l’opposition, le leader d’El Hor fait son entrée au pouvoir en 2007 comme président de l’Assemblée Nationale, au terme d’une alliance, au second tour, avec le président élu.
Réalisant un score de près de 10%, lors de la dernière présidentielle, Messaoud Ould Boulkheir peut compter cette fois-ci sur l’appui du FNDD qui doit améliorer ses chances, notamment à travers le poids électoral de certains ses « grands électeurs » à l’instar de Boidjel Ould Houmeid à Keur Macène, Mohamed Ould Rzeizim et Ezza Mint Hemmam à Aioun, Yahya Ould Menkouss et Zeinebou Mint Nehah à Kiffa, Mohamed Ould Amar à Ould Yengé, Ahmed Ould Sidi Baba à Atar, Aminetou Mint Nouess et Kane Moustapha à Kaédi, Yahya Ould Ahmed Waghef à Moudjéria, Yahya Ould Sidi Moustaph à Guérrou, Moustapha Sidat et Dah Ould Abdel Jelil à Tijigja. A cela s’ajoute tout l’encadrement politique de l’UFP et leurs « camarades » Kadihines d’Adil, ce qui n’est pas une petite chose, l’appui des principales tendances d’El Hor d’antan (Boidjel-Messaoud) qui trouvent ici l’occasion de propulser un des chefs historiques du mouvement haratine.
Certains Idawali, importante force intello-politico-financière, qui ont, soigneusement, évité une confrontation directe avec les Oulad Bousbaa, autre force financière et commerçante du pays aveuglement engagé auprès d’Ould Abdel Aziz, offriront à Ould Boulkheir le confortable tapis argenté indispensable dans la course présidentielle et qui lui a toujours manqué. L’effet Obama pourrait aussi jouer, selon certains, en faveur du premier noir président en Mauritanie, la mode en politique ayant souvent des effets de contamination. Mais, n’est pas Obama qui veut et le FNDD n’est pas le Parti Démocrate.

Mohamed Ould Khayar (La Presse) via Canalrim