La montée des périls alimentaires au Sénégal

 Imprimer 

Nous n'avons pas cessé de tirer, à plusieurs reprises, la sonnette d'alarme et d'élever notre voix afin qu'on nous entende, pour éviter, demain, alors qu'il se fera tard, les reproches d’un mutisme devant les graves difficultés qui submergent le Sénégal de nos jours, sur la flambée des prix des denrées alimentaires importées.

De guerre lasse, le gouvernement libéraI vient tardivement de reconnaître la situation économique très inquiétante de notre pays avec les multiples difficultés qui assaillent les Sénégalais de toutes les couches sociales, Aussi, certaines mesures tarifaires et budgétaires viennent-elles d'être envisagées de maniêre à réduire la pression des prix internationaux sur les biens de consommation alimentaires au Sénégal. Toutefois, rien n'est fait outre mesure, sur la réduction des coûts prohibitifs de production et l'amélioration de la productivité. Le drame du Sénégal, c'est la double dépendance totale, alimentaire et énergétique, renforcée par la faillite de la production nationale agricole et la baisse subséquente des revenus du monde rural. Le choc alimentaire prévalant aujourd'hui au Sénégal pouvait être jugulé, du moins atténué, si des mesures de promotion de l'économie rurale étaient très tôt prises en réduisant la dépendance alimentaire du Sénégal.

Cependant, faut-il considérer avec l'imprévoyance des pouvoirs publics laxistes pendant tout le temps durant lequel on sentait venir, depuis l'époque de la bonne tenue des fondamentaux en 2000, que le Sénégal courait de graves dangers et ne pourra difficilement sortir de l'impact de deux chocs simultanés alimentaires et énergétiques dont les signes annonciateurs étaient bien perceptibles depuis longtemps. Il faut convenir qu'entre les deux chocs, celui alimentaire reste le plus pernicieux et le plus dévastateur que le choc énergétique au vu des crises sociales du travail et des désorganisations des systemes que cela pourrait induire. Nous avons assisté, en effet, à des chutes des taux de croissance, des déficits budgétaires récurrents et à la reconstitution de la dette intérieure et extérieure du Sénégal ces dernières années.

La Banque mondiale, elle aussi, vient, tardivement, mais vigoureusement, de tirer la sonnette d’alarme en affirmant par la voix du vice-president et ëconomiste en chef de l'institution mondiale, la nécessité urgente dans les Etats africains au sud du Sahara de mettre l'agriculture au service du développement et d'agir vite pour relever la faible croissance de la productivité agricole. A cet effet, il insiste sur le fait que l'agriculture ne doit pas être considérée comme une simple question de sécurité alimentaire, mais, plutôt, comme une question fondamentale qui se trouve au cœur du développement de nos Eats en ce qu'elle permettra de stimuler la croissance éconornique globale et de pouvoir offrir à la majorité de la populatIon, différentes voies possibles pour sortir de la pauvrete. Il faut relever la disproportion paradoxale entre l'importance du monde rural occupant 65 % de la population active et la part consacrée à ce secteur stratégique et Integrateur autour de 10 % du budget national. L'économiste en chef de la banque mondiale poursuit dans le dernier rapport de l'institution sur le développement mondial en postulant que la demande de biens alimentaires dans nos Etats devrait doubler d’ici 2015 par rapport à son niveau de 2000, alors que les marchés alimentaires de la région ne subviennent pas aux besoins. Ce qui, d'autant, va renforcer la dépendance alimentaire si les tendances ne seront pas inversées avec l'accroissement de la demande de consommation consecutIve à la croissance démographique. Le Président Mamadou Dia, a eu raison sur tout le monde, en ayant très tôt la bonne inspiration de fonder sa pensée économique pour le developpement intégral du Sénégal sur ]a promotion de l 'économie rurale.

Aujourd'hui, des années durant, à la suite des échecs répétés et de l'étranglement du monde rural, le vice-président de la Banque mondiale vient de confirmer d’excellentes thèses économiques du Président Mamadou Dia en phase avec nos réalités, aujourd'hui, plus qu’hier, sur la primauté dans nos Etats, du développement de l'économie rurale et de l'agriculture. Gouverner, c'est prévoir le sens des ëvolutions en prenant des mesures d'anticipation afin de contrecarrer, sinon d'amortir les chocs externés. Or, de ce point de vue, le Président Mamadou Dia a eu une vision prophétique eu égard aux nombreuses difficultés économiques actuelles que nous subissons. La question récurrente de la dépendance alimentaire du Sénégal qui s'est renforcée avec les politiques libérales de désaffection du monde rural provoquant une chute des productions agricoles, pastorales et halieutiques, confirme les thèses du Président Mamadou Dia pour un retour vers un développement de l'ëconomie rurale comme le préconise avec force de nos jours le vice Président de la banque mondiale, M. François Bourguignort. Si bien que le plus grave danger s’identifie à la montée des périls alimentaires, qui, de plus en plus, connaîtront des accélérations pour nos pays dépendants, toutes choses restant égales par ailleurs. L'offre mondiale de biens alimentaires provenant des grands pays agricoles va de plus en plus se réduire, pendant qu'au même moment, la demande mondiale de consommation subira davantage une tension à la hausse du simple fait de l'augmentation de la population mondiale, surtout en Chine et dans nos pays à forte croissance démographique. Il reste évident que si l'offre mondiale des biens alimentaires diminue au fur et à mesure que la demande de consommation augmente, les prix des denrées comme le riz, le blé et les produits dérivés comme le lait vont subir de fortes augmentations. Nous allons connaître subséquemment une double tension sur les prix par suite des fortes variations à la baisse de l'offre mondiale et à la hausse de la demande mondiale La réduction de l'offre mondiale de biens alimentaires favorisant la forte tendance haussière des prix est due à la conjugaison de plusieurs phénomènes de nature structurelle et conjoncturelle.

1 - Aspects conjoncturels de la réduction de l'offre mondiale de biens alimentaires

Nous avons constaté dans les grands pays agricoles, ces dernières années, l'effectivité de mauvaises récoltes dues à des intempéries (inondations, sécheresses). Ces mauvaises récoltes ont provoqué une diminution sensible de l'offre mondiale de biens alimentaires. Il y a lieu, toutefois, de faire apercevoir que les modifications climatiques sont à l'origine des inondations et sécheresses dans certaines parties du monde. Aussi, les effets conjoncturels impactant les mauvaises récoltes consécutivement aux modifications climatiques, peuvent-ils avoir des causes structurelles lointaines dues à la dégradation de l'environnement et aux effets de serre. 2- Aspects structurels de la réduction de l'offre mondiale de biens alimentaires

Les aspects structurels dont les solutions sont les plus complexes restent assujettis à l'épuisement prévu des réserves mondiales de pétrole au vu de l'accroissement de la demande mondiale de pétrole renforcée par la forte croissance économique en Chine populaire et dans les autres pays du sud-est Asiatique, en Océanie et en Amérique latine appelés nouveaux pôles de croissance. C'est dire que nous avons, d'une part, la flambée des prix du pétrole, et d'autre part, la recherche et l'application incidente de solutions énergétiques alternatives comme le nucléaire, le solaire ou l'hydroélectricité, mais, plus fondamentalement de nos jours le biocarburant. L'utilisation du biocarburant permet de réduire sensiblement la consommation énergétique de produits dérivés du pétrole avec le nouveau carburant composé à partir de produits agricoles. Cette révolution énergétique de la machinisation avec l’utilisation du biocarburant va provoquer l'amenuisement des terres antérieurement dévolues à la culture de biens alimentaires comme l'atteste aujourd'hui le cas du Brésil qui consacre plus de terres à la culture du biocarburant et par conséquent à la réduction de l'exportation de biens alimentaires de ce grand pays agricole vers le reste du monde.

De plus en plus, dans le monde, du fait de la grande opportunité que le biocarburant offre comme produit de substitution au pétrole en tant que solution alternative viable, les grands pays agricoles vont consacrer le maximum de terres à la culture de cette nouvelle spêculation rentable en produisant tout juste ce qui leur faut pour leur consommation intérieure en biens alimentaires, diminuant ainsi l'offre mondiale sur ces produits. Le gouvernement du Sénégal, devant la flambée des denrées alimentaires importées due à la diminution de l'offre et de l'augmentation de la demande mondiales devrait faire très vite comme le recommande le vice-président de la Banque rnondiale et comme le préconisait le Président Mamadou Dia de reprendre les bons usages en promouvant le développement de l'économie rurale. Les mesures tarifaires par l’instrumentation des droits de portes et de la fiscalitë intérieure sont des mesures qui n’auront aucun impact sérieux sur la pression des prix internationaux provoquée par l’insuffisance de l’ofIre mondiale de biens alimentaires et de l'augmentation de la demande. Ce qu'il y a lieu de faire prioritairement, c'est d'élimer l’économie de dépendance alimentaire du Sénégal par la promotion de l'économie rurale et de la production nationale de biens et services. La disparition au Sénégal de sociétés d'encadrement et de promotion du monde rural qui s'occupaient naguère de la protection des sols et des cultures, du capital semencier, du matériel agricole et de la commercialisation, de la conservation et de la transformation industrielle, de la fertilisation des terres et de la gestion de l'environnement ont conduit à l'abandon des terres entraînant l'exode rural, le renforcement de la dépendance alimentaire et l’accentuation de la pauvreté. A ces malheurs s'ajoute le déclin de la production industrielle de phosphates et d'engrais, du tourisme et de la pêche entraînant la déliquescence de l'économie réelle.

Les mesures tarifaires de baisse de la fiscalité prises par le gouvernement libéral afin d'alléger la pression des prix internationaux sur les biens alimentaires importés vont entraîner une perte de recettes budgétaires compensée outre mesure par la réduction de la masse salariale hypertrophiée ; ce que l'on donne d'un côté, on le reprend de l'autre, comme si rien n'était fait. En effet, la réduction de la masse salariale s'impose avec les mesures tarifaires réduisant les recettes de l'Etat du fait de l’important déficit budgétaire accusé. Au demeurant, les mesures tarifaires et budgétaires n'auront que des impacts faibles sur la pression des prix internationaux, lesquelles mesures relèvent plus du psychologique que de tout autre chose, en ce qu'elles ne pourront pas modifier les conditions du marché international entre l'offre et la demande mondiales de biens alimentaires, les seules variables principales de la modification des prix. Les mesures tarifaires et budgétaires ne peuvent être que des mesures de sauvegarde dans la mesure où elles ne pourront pas influer la pression des prix internationaux Il est temps, dans notre pays, que cessent les atermoiements et tâtonnements en revenant à des orthodoxies de politique économique tendant à améliorer les productivités et à réduire les coûts exorbitants de production afin de sortir vite d'une économie de spéculation pour le développement de l'économie réelle.

Kadialy GASSAMA Rue Faidherbe x Pierre Verger Rufisque

Source : Walf.sn