FRANCE: Récits poignants sur les drames de l’immigration

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L’immigration est souvent un carrefour de destins qui s’entremêlent sans jamais se toucher. Elle peut prendre la forme d’un triptyque : un peuple d’immigrés aussi cosmopolite qu’homogène dans la recherche d’un meilleur ailleurs ; un but marqué par l’obligation de réussite pour échapper à d’éternelles avanies ; une foi indéfectible en sa bonne étoile. Dans une France saisie par les effets des crises économique et identitaire, l’immigré est un bouc-émissaire parfois sans nom ni apparence réelle. A travers des expériences et des parcours, il peut prendre plusieurs formes.

La maladie est devenue une chance

Mai 2013. Le soleil pointe un bout de son nez dans le paisible 17ème arrondissement de Paris mais n’éclaire pas les pensées sombres d’Amadou. «  Je suis en France depuis 2010, mais je suis malade depuis un an », glisse-t-il. Amadou présente un visage tellement décharné que seul son œil vif et son tic de froncement des sourcils rappellent avec peine ses 37 ans. Amadou a une « tuberculose pulmonaire » qu’il dit avoir contracté « au cours de son parcours migratoire ». Celui-ci l’a conduit du Sénégal en France en passant par l’Espagne. « Mon projet était juste de passer par Paris pour aller en Belgique où j’ai de la famille et des amis, mais la maladie me retient à Paris », informe le natif de Goudiry. Le centre de réception des étrangers du 17èmearrondissement est l’espoir d’un remède pour Amadou. Le centre reçoit uniquement les ressortissants étrangers, « sauf étudiants, commerçants, industriels et artisans », sollicitant un titre de séjour et domiciliés dans les arrondissements 1er à 10, puis 15, 16, 17 et 18e. Devenu sans papier après l’expiration d’un visa temporaire, Amadou est venu prendre connaissance de la liste de documents pour l’obtention d’un titre de séjour. « On vient de m’informer qu’il ne me reste qu’à disposer d’un certificat médical afin de le présenter à la préfecture de police pour l’éventuelle obtention d’un titre de séjour », indique-t-il. Pour cela, Amadou cherche la liste des centres médico-sociaux accessibles aux personnes non couvertes par la sécurité sociale française et ainsi bénéficier de consultation gratuite. « Je pourrais voir un médecin qui me fera un papier attestant ma maladie », souffle le malade entre deux quintes de toux. Le certificat médical peut ouvrir des droits à un titre de séjour temporaire de six mois ». Avec la circulaire du 28 novembre 2012, les préfectures de police peuvent donner des titres de séjour pour raison médical. Une manière pour la France de continuer à entretenir sa réputation de « pays des droits de l’homme », pense-t-il avec un cynisme mal feint. L’autre part d’humanité, en l’absence de famille en France, est assurée par des « connaissances qui (l)’hébergent ». Sur le risque de les contaminer, Amadou assure faire le nécessaire pour ne pas mettre la vie d’autrui en danger mais cache sa maladie. « Je me soigne mais je continue de maigrir », s’interroge-t-il. Dans l’hypothèse d’un retour au Sénégal pour être auprès des siens, Amadou tranche : « La tuberculose est une maladie honteuse au Sénégal. Sa mauvaise réputation ne me permet pas de prendre en compte cette éventualité ».

 Bouba, mon grand ourson

 Il n’est plus 5h, Paris s’est réveillé froidement depuis un moment en ce mois de décembre 2013. La mine renfrognée, Boubacar, 25 ans, cherche son chemin dans une rue des beaux quartiers de la Sorbonne au sein du chic 5ème arrondissement de Paris. « Je viens de sortir de garde à vue », confie Boubacar avec fragilité, malgré son opulente corpulence. Boubacar demande « un coup de main pour compléter un billet » de train qui doit le ramener à Strasbourg où il « était vendeur dans les marchés ». Son parcours n’est pas simple. J’ai pris les pirogues, je suis passé par l’Espagne, le Portugal où j’ai de la famille puis la France. Je suis en Alsace depuis deux ans ». Devant notre insistance sur des questions relatifs à des trous non expliqués de ce parcours, Bouba qui n’est ni petit ni ourson montre les crocs : « je veux juste de l’aide pour rentrer chez moi. Je pensais avoir fini avec les questions en sortant de ma garde à vue à la police… »

 Pape Noël

 Début d’hiver 2014. Pape, 22 ans, sourit aux inhabituelles températures clémentes du moment. Vendeur ambulant à la sortie du Musée du Louvre, l’hiver « chaud »  lui permet de travailler dehors dans des conditions climatiques acceptables. En cette fin d’année, Paris accueille de nombreux touristes venus fêter le nouvel an dans ce qui est présenté comme « l’une des plus belles capitales du monde ». La longue file d’attente de touristes menant à l’entrée de la pyramide en verre du Musée du Louvre, entre 8 et 10 millions de visites par an, contraste avec la disposition des immigrés sénégalais vendeurs de petites répliques de la tour Eiffel et des souvenirs de Paris. Acteur et observateur de ce décor, Pape est loin du temps de l’insouciance et des études dans sa ville natale de Ngaye. « Du jour au lendemain, j’ai reçu un appel téléphonique de mon oncle m’informant que je devais partir en Europe. J’avais un titre de séjour en Espagne », se souvient le jeune homme au visage avenant et lisse juste perturbé par des lèvres gercées à cause de l’effet du vent frais. «Quelques mois après mon arrivée en Espagne, ne trouvant pas de travail, j’ai choisi de partir en Italie, raconte Pape. A Turin aussi, je suis resté près de 6 mois sans travailler. Il paraît qu’avant c’était mieux. C’est la crise qui complique la recherche d’emploi. C’est pour cela que je me suis résolu à venir en France où j’ai des copains de quartier et des grands frères ».

Même si le froid n’est pas très rigoureux pour une fin d’année, les 10 degrés ambiants jouent sur le corps du jeune homme. « Nous nous accordons des moments de pause, précise-t-il. Nous n’avons pas d’autres solutions que de nous abriter dans certains magasins du Carrousel du Louvre ». En effet, dans cet endroit dédié à la consommation où les boutiques de luxe rivalisent d’objets et de marchandises de haute gamme - ce qui en fait un temple du capitalisme triomphant - l’homo senegalensis rayonne, de nouveau, par son hybridité. Les vendeurs ambulants sénégalais profitent du cocon douillet de l’Apple Store pour se mettre au chaud et utilisé les ordinateurs Mac Book Pro et les Ipad d’exposition à la disposition des clients et touristes pour s’informer et regarder la dernière émission en vogue sur internet. « Les bonnes journées, je gagne en moyenne 20 euros, confie Pape. C’est très peu pour la nourriture et le loyer que je partage avec d’autres. Je n’ai d’ailleurs pas encore envoyé d’argent à la famille au Sénégal depuis mon arrivé en Europe ». Pape qui « était un bon élève au lycée » caresse le vœu pieu de reprendre un jour ses études et de s’inscrire dans une école de formation à Paris. « Je ne peux pas continuer comme cela… »

 ATER debout

 En avril, ne te découvre d’un fil. Un doctorant sénégalais n’en a cure des dictons vieillots car il est amer. Il se sent seul et sans réels appuis. « J’aurais aimé un soutien des miens, de mon pays », fulmine celui qui requiert l’anonymat pour des raisons juridiques et que nous appelons Badara. Le débit rapide mais limpide de son histoire est ubuesque. Chargé de Travaux dirigés (TD) durant quatre années dans une université du Sud de la France, le doctorant sénégalais est recruté comme Ater (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche) par une autre université d’une ville du sud-ouest de l’Hexagone à la rentrée 2012 pour encadrer les TD de droit public. Badara enseigne aux étudiants français le règlement intérieur du parlement européen. Spécialiste de la problématique, il prépare une thèse sur le sujet. Son destin bascule en novembre 2012. Pour un travail, les étudiants avaient reçu comme instruction de rendre « une synthèse d’une copie-double ».

Dans un souci d’équité pour les autres étudiants, Badara refuse de corriger la copie d’un étudiant de six pages. Ce fut le Casus belli : Après quelques éclats de voix, l’étudiant envoie à son chargé de TD un mail dans lequel il pense qu’un « Africain ne peut faire de telles corrections ». C’est le début d’une escalade dans l’insulte puis la riposte. Proportionnelle ou démesurée ? Toujours est-il que depuis cet épisode, le jeune enseignant chercheur se sent ostracisé par nombreux de ses collègues et par sa hiérarchie à l’Université. Et c’est avec peine qu’il apprend que son contrat d’enseignant – chercheur n’a pas été renouvelé. Depuis, il veut que justice soit faite mais surtout que sa dignité lui soit rendue en ramenant l’affaire devant les juridictions françaises. Conscient de n’être plus en symbiose avec le modèle universitaire français, il a reçu une proposition venue du Canada mais « il faut 20 000 dollars pour l’année et sans bourse, c’est intenable pour mes finances surtout qu’avec cette affaire, je ne travaille plus depuis la rentrée universitaire ». Badara est déçu mais pas démoralisé, il a déposé plainte et a reçu le soutien du collectif représentatif des associations noires. L’affaire est en cours mais les projets de Badara sont en attente de la décision juridique.

Au gré du hasard et des rencontres, il y a la capture instantanée d’un visage de l’immigration souvent inconnu par les froids chiffres ainsi que les laconiques statistiques officielles. Ces visages reflètent des images ayant la caractéristique d’être moins sujet qu’objet du regard. Les parcours d’immigration finissent par mélanger aventures et histoires d’hommes. Certes, mais les filles et femmes de la diaspora sénégalaise ne sont pas non plus épargnées par les dures réalités du statut d’immigré.

Lesoleil.sn, Moussa DIOP ( Paris )