France : Immigration et identité nationale

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Les Maliens de France ont peur du tandem Sarkozy-Fillon - C’est un tandem de quinquagénaire qui est à la tête de l’Etat français. Nicolas Sarkozy et François Fillon bousculent les convenances politiques de la République pour mieux coller aux aspirations de la société, du peuple français. Ils réaffirment l’identité nationale française en l’opposant à l’immigration. Controverse et inquiétude.

La France change. La France bouge. Mercredi Sarkozy emménage à l’Elysée. Jeudi, il nomme son Premier ministre, François Fillon qui investit Matignon et sans trop attendre forme un gouvernement, qualifié d’ouverture mais qui inquiète la communauté immigrée. Nicolas Sarkozy a promis la création d’un ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration pendant la campagne durant laquelle il était conseillé politiquement et principalement par François Fillon.

Les deux hommes viennent de confier ce ministère-clé à Brice Hortefeux, un autre lieutenant fidèle parmi les fidèles. Qualifié de "grand ministère", le portefeuille est officiellement intitulé ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement, pour englober l’ensemble des services qui s’occupent des étrangers en France. L’intitulé sonne comme une sorte de gage à tous ceux qui voient en les nouvelles autorités des intentions mal cachées.

Ce ministère XXL pivotera autour de la question de l’immigration et centralisera les relations avec le continent africain. On serait presque tenté de voir désormais la coopération entre la France et les pays africains rivée dans l’épineuse question de l’immigration qui constituerait, selon Sarkozy, une menace à l’identité nationale française.

"La politique de l'immigration, c'est l'identité de la France dans trente ans", déclare Nicolas Sarkozy qui précise que "ceux qui nous rejoignent doivent la [l'identité de la France] respecter, tout en apportant ce qu'ils sont". Et d’ajouter : "nous ne voulons pas brader les valeurs de cette identité française […] Il est cohérent de vouloir rénover l'intégration à la française en rappelant que la France n'est pas seulement une démocratie où seule compte la loi de la majorité, c'est aussi une République avec des principes et des valeurs".

"Décider ensemble d’une politique d’immigration"

Le nouveau président français dans sa première déclaration à l’annonce de sa victoire ne lançait-il pas "un appel à tous les Africains, un appel fraternel pour dire à l'Afrique que nous voulons l'aider, aider l'Afrique à vaincre la maladie, à vaincre la famine, à vaincre la pauvreté, à vivre en paix. Je veux leur dire que nous allons décider ensemble d'une politique d'immigration maîtrisée et d'une politique de développement ambitieuse". Tout est dit.

La communauté malienne, souvent indexée en France dès qu’on parle immigration, semble inquiète, très inquiète. "La situation est déjà difficile pour ceux qui ne sont pas Français. Imaginez ce quelle va-t-elle être pour les sans papiers", s’interroge le président des Maliens de France.

Diadié Soumaré, qui a 44 ans de vie en France, déclare : "nous sommes venus parce qu’il y avait une forte demande de la main d’œuvre dans les années 1960", lui qui a commencé comme ONQ (ouvrier non qualifié) dans une fonderie se félicite de sa "vie d’immigré réussie" puisque bénéficiant de la formation continue, il n’était plus astreint aux trois huit et a donc pu obtenir un diplôme supérieur de comptabilité. A la retraite depuis bientôt sept ans, il est fier de ses six enfants et surtout de sa fille qui est aujourd’hui agent financier dans une entreprise de placement de fonds à la Bourse de New York et de son fils footballeur professionnel.

En tant que président des Maliens de France, il se dit content de "la sincérité au niveau de la nouvelle équipe gouvernementale" et affirme avec son expérience d’ancien syndicaliste que "cette sincérité permet d’espérer car les réalités de la vie sont comme le discours politique qui évolue".

"Sarkozy dit haut ce que Chirac pensait"

Mais cet optimisme n’est pas partagé par ses compatriotes rencontrés sur le marché d’Aubervilliers, une banlieue nord de Paris. Oussy Doucouré, un jeune de 22 ans, entré illégalement en France en 2001, dit toute son inquiétude pour sa situation de sans papier. Il travaille illégalement dans la restauration et contribue au même titre que ses 4 autres frères immigrés au bien-être de la grande famille vivant dans le Diafounou dans la région de Kayes.

Mamadou Tounkara affirme travailler à mi-temps dans le ménage. Il aurait tout tenté pour avoir un temps complet. Cet immigré ayant plus de 20 ans de vie sur le territoire français, affirme que la formule "travailler plus pour gagner plus" prônée par Nicolas Sarkozy sonne faux. "C’est pour le bénéfice des patrons qui nous exploitent déjà assez. En travaillant plus, ils en prendront encore plus", lâche-t-il au milieu d’une conversation avec le marchand arabe qui lui propose une chemise à vil prix.

Une demoiselle qui vient d’atteindre sa majorité lors du scrutin qui a accordé la confiance du peuple français à la politique ouvertement de droite et qualifiée par ses défenseurs de "décomplexée", pense, elle, que "Sarkozy dit tout haut ce que Chirac et les autres ont appliqué même s’ils n’ont pas osé trop le clamer".

Samba Sissoko, un agent technique l’approuve complètement et ose cet avis très tranché. "La situation difficile de l’emploi fera qu’après les sans papiers, tous ceux qui sont en situation régulière mais qui n’auront pas de travail par la suite constitueront la cible pour ce gouvernement qui ne pense que du mal de l’immigration".

En 2003, alors qu’il venait d’être nommé au ministère de l’Intérieur, Sarkozy accouche du Ceseda, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour rendre plus dure sa politique de l’immigration. Il instaurera sa méthode des objectifs chiffrés en portant le nombre de reconduites à la frontière de 20 000 en 2005 à 25 000 en 2006. Son prochain cap promis : des "objectifs en matière de flux migratoires".

On peut donc s’attendre à l’application de la politique de "l’immigration choisie" prônée et théorisée par Nicolas Sarkozy et bâtie sur la connaissance et l’acceptation des valeurs de la France, la compréhension de la langue de Molière à l'honneur. Toute choses qui prévaudront dans le fameux contrat d’intégration, qui sera lui-même proposé aux quelques candidats sélectionnés dans les quotas annuels d'immigration calculés en fonction des capacités de logement et de travail.

ATT, qui vient d’être plébiscité à la tête de l’Etat malien, pense que "il va falloir s'asseoir et parler. Cette concertation qu'il [Sarkozy] propose me paraît une bonne approche. Moi, j'ai une préoccupation, c'est la défense de mes compatriotes".

Attendons, donc que le nouveau gouvernement dévoile sa véritable politique de l’immigration lorsqu’il convoquera la nouvelle Assemblée nationale vers la mi-juillet.

Oussouf Diagola (Paris)

Les Echos du 21 mai 2007

Source : Le mali