Du comportement alimentaire en ville: Quand l'évolution conduit à l'involution

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Depuis un certain temps, au nom de l'évolution, de la santé, du plaisir que recèle l'aliment choisi, du manque de temps consécutif au travail, les mœurs alimentaires éternuent, toussent et fondent. Ce nouveau virage est plus accentué dans les centres urbains où les productions culturelles, tant matérielles qu'immatérielles, tendent à faiblir face à l'invasion, l'inondation des marchés urbains de produits alimentaires importés ou, à tout le moins, empruntés ou d'inspiration étrangère.

Pizzas, tartes, tartelettes, barquettes, galettes, clafoutis, pâtisseries, flans, crèmes, petits snacks, gâteaux, pâtés, hamburgers, cheeseburgers, casse-croûtes, sandwichs, brochettes, yaourts, spaghettis, poulets rôtis, poissons frits, etc. voilà des plats qui font dresser le rang devant gargotes, restaurants, guinguettes, bars, coins de mets de toutes sortes, hôtels, cantines, pâtisseries, buvettes, ''dègèdromes''…au nom du manque de temps, du plaisir que recèlent ces composés chimiques (odeur alléchante, goût agréable…), de leur valeur nutritive (''bon pour la santé'').
Tout ce qui a du goût, tout ce qui est doux...n’est pas forcement bon


Et pourtant, à y regarder de près, la consommation régulière de ces produits n'épargne pas nos cobayes des ennuis de santé. En effet, sur un plan sanitaire, l'exposition de ces aliments aux gaz et à la poussière n'est pas sans conséquence sur la vie de leurs consommateurs. Ainsi, la qualité de ces mets laisse-t-elle souvent à désirer. Le processus de préparation de ces mets n'est pas exempt d'irruption ou de recours volontaires de pratiques malsaines.
Que dire de l'hygiène, du conditionnement et de la conservation de ces plats ? Parfois, c'est la sueur de la vendeuse ou de la serveuse qui arrose le repas ou la sauce si l'urine de l'enfant porté au dos ne l'a pas déjà assaisonné ou enrichi en acide en y atterrissant. Su ou non su, en tout cas ça passe ! Pas question de reprendre le travail d'une demi-journée. Une purée de piment fort vous fait oublier tout soupçon tandis qu'un cube ''Magie'' vous joue un tour spécial sans formules abracadabrantes. Du coup, les produits faisandés, périmés et/ou avariés se recrutent souvent dans ces usines spéciales de plats. Car le mélange de l'ancien au nouveau pour faire du neuf n'a aucun secret pour certains de nos amis promoteurs ou gérants de cuisines de dépannage. L'unique objectif étant d'amasser le maximum de sous en un minimum de temps, le risque d'envoûtement, par les promoteurs, en vue de fidéliser la clientèle n'est pas à occulter.

Et puis c'est de bonne guerre non ? Etant entendu que ces usines à plats fourmillent et décorent bien la ville, nombre de travailleurs de la capitale en ont fait la solution au manque de temps qui les pousserait à quitter très tôt la famille ou les empêcherait soit d'attendre le déjeuner, soit de retourner le chercher. Comme c'est pratique ! Si la contiguïté spatiale et le contact sont le terreau pour la contamination, la bouche, quant à elle, demeure l'une des voies les plus directes et dangereuses de contamination de l'homme. Alors, quel contrôle peut-on exercer sur la qualité des plats ainsi que sur la propreté des ustensiles utilisés pendant les services ? Ces aliments sont-ils conformes à notre climat, notre métabolisme, notre culture… ?

 Avec des préparations parfois très riches en graisses animales, en sodium et en sucres (protéines, glucides, lipides, sels minéraux, acides)...c'est bonjour à l'obésité, à la colique, aux maladies diarrhéiques, à la constipation, au rachitisme, au béribéri, au scorbut… En dépit des progrès scientifiques accomplis dans le domaine de la médecine, comment comprendre le nombre effrayant de maladies souvent mortelles d'origine alimentaire ?
Il est avéré aujourd'hui que les cubes ''magiques'' et dérivés ont les mêmes vertus et pouvoirs d'émasculation et de castration que les pinces du vétérinaire ou zootechnicien. Où chercher les causes d'infertilité et de stérilité si les Peulh, spécialistes empiriques des animaux, font recours aux produits suscités pour faire des étalons des hongres et partant castrer leurs animaux ? Imaginez l'alitement d'un chef de famille vivant au jour le jour. Que devient le reste de la famille qu'il se doit de nourrir, surtout quand on sait que si le pauvre n'a point de garantie son lit reste tout de même fécond ? Tandis que la tradition nous enseignait de manger en groupe dans le plat commun et  d'éviter de manger débout ou mobile, la modernité et la civilisation nous invitent à s'attabler, à manger en solitaire avec des mains empruntées.


Quand cuillers, fourchettes, bâtonnets, louches, crochets…remplacent la main
Est-il vraiment, plus que la main, un gadget mieux contrôlable et moins risqué en matière de techniques et de manières d'alimentation ? Assurément pas ! En effet, la main aide la bile dans son travail de facilitation de la digestion. Pour s'en convaincre, lavez-vous les mains dix fois au savon avant de plonger les doigts dans la sauce. Le résultat c'est que la sauce se fermente. La fermentation favorise la transformation et la digestion en agissant en amont sur les aliments.

 La bile et l'estomac auront ainsi moins d'efforts à déployer pour conditionner la ''liquéfaction'' des plats dont les substances importantes pénétreront dans le sang alors que celles nuisibles sont orientées vers le rectum pour sortir sous forme de déchets. Mieux, avec la main intervient un premier tri, un pré - contrôle sur les mets. En tant que point focal du toucher, la main offre de surveiller et de juger la qualité de certains produits, bons ou pas bons. Une chose est quand même sûre, c'est que ''le ventre ne se lave pas''.
De la macdonalisation de la société à la déculturation, la désocialisation, la dépersonnalisation, la désidentification des hommes


Au-delà des problèmes sanitaires, il sied de rappeler que cette nouvelle attitude révolutionnant les mœurs alimentaires, n'est pas sans conséquence sociale. Si le fait de manger seul est un comportement  qui intéresse de plus en plus les professionnels de la santé, force est de constater qu'il engendre les prémices de l'isolement et de la solitude. Il paraîtra simple de passer du solitaire au gourmet, de l'introverti au sociophobe. Traditionnellement, la séance de repas commun est tout aussi un lieu et un moment de socialisation. L'enfant est le dernier à se laver les mains, à se lever. Il se doit de prendre le bord de la tasse tout le long du repas. Il remercie tout le monde après le repas et fait dégager les tasses. Ici se forgent et se cultivent les notions de respects, d'entraide et de solidarité au sein du groupe. En tant qu'animal grégaire, chaque élément participant au plat collectif développe une certaine affectivité envers les autres et vice versa.  D'où un test de sociabilité à la Moreno. L'entente et la cohésion sociale se transmettent à ce niveau. La façon particulière de se tenir pendant le repas constitue un trait, un repère identitaire pour les puînés tandis qu'ils développeront davantage l'instinct grégaire. Les habitudes alimentaires des citadins connaissant des mutations sans précédent, qu'apprendront les rejetons de toubibs ? Pis, ce sont le savoir et le savoir-faire sur le plan alimentaire qui sont menacés en milieux urbains.

 En effet, avec le travail des femmes, notamment celles oeuvrant au sein de l'administration, tant qu'étatique que privée, c'est le risque de voir nos cordons bleus se métamorphoser en spécialistes dégustateurs. Perdant, du coup, à petit feu l'art culinaire qui les caractérisait. Ainsi, manger se fait, de plus en plus, débout et mobile. Bientôt, le couscous n'aura plus de rapport avec les Soninké, le lait avec les Peulh, les cacahouètes avec les Malinké… Il est désormais patent que les mœurs alimentaires ont pris un sacré coup avec la macdonalisation de la société. Les habitus, schèmes, habitudes, patterns culturels se dénaturent avant de s'étioler au profit des mets que 90% de la population ne peuvent préparer faute de moyens financiers.  Dans ces conditions,  point question de réaliser l'économie d'échelle, de développer l'entraide et la solidarité. ''Bien manger'', c'est le sauve -qui peut. Chacun pour soi, Dieu pour personne. Avec la macdonalisation de la société, c'est la poubellisation des ventres qui commence. C'est la fête des maladies. Les candidats à cette autre forme de suicide, si nous considérons ce phénomène comme un acte délibéré posé par la victime qui en savait d'avance le résultat, sont de plus en plus nombreux dans nos villes.  Avec le succès de la macdonalisation de la société, la promotion de l'individualisme prend son envol.

La malbouffe : quelle rançon du progrès !
Bon appétit !

Boubacar BENGALY
Source : maliweb.net