DOSSIER : SONINKES DU MONDE, ET SI ON REFONDAIT LE WAGADOU (PREMIERE PARTIE ) ?

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Depuis des siècles, les Soninkés voyagent dans le monde entier à la recherche de devises. Il suffit de s’intéresser à l’œuvre du légendaire griot Aladji Ganda Fadiga pour découvrir que voyager est une évidence pour l’homme Soninke. Dans une de ses productions, ce grand griot citait une dizaine de pays, rien qu’en Afrique, où Soninkés du Mali, du Sénégal, de la Mauritanie et de la Gambie avaient élu domicile et fait fortune. On les trouvait dans plusieurs pays d’Afrique centrale et Australe. Des pays comme le Zaïre, l’Ouganda, la Zambie, l’Angola, le Gabon, le Mozambique… furent des terres d’immigration Soninke. Grands commerçants, ils avaient investi aussi dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest comme la Côte d’ivoire, le Ghana, la Guinée Conakry, la Sierre Léone. D’ailleurs, plusieurs footballeurs internationaux de ces pays portent des patronymes Soninké, preuve du passage de nos grands-parents dans ces différents pays. On peut citer l’exemple de Merlin Tandjigora, footballeur gabonais né à Port gentil/Gabon. Le patronyme « TANDJIGORA » étant exclusivement Soninke, on peut affirmer sans risque de se tromper que Merlin est Soninké. A titre personnel, j'ai plusieurs cousins et amis d'enfance qui sont nés au Ghana, en Côte d'Ivoire, au Zaïre.

Les Soninkes peuvent se targuer d’être les symboles du panafricanisme car ils sont à cheval sur plusieurs pays et s’intègrent facilement dans les autres pays africains. On les trouve en grand nombre dans presque tous les pays d'Afrique noire. Par volonté de circonscrire le débat, nous n'allons pas évoquer ici l'histoire de l'empire du Ghana qui nous renseigne sur le territoire Soninke d'antan allant de l’Atlantique à la boucle du Niger. Plus tard, le peuple Soninke, toujours à la recherche de bien-être et dans l’optique de mettre à l'abri les familles, s'est tourné vers les continents européen, américain et asiatique. Aujourd’hui, Paris et New York font office de capitales mondiales de la diaspora Soninke. On y trouve les ressortissants de 99% des villages Soninke du Mali, de la Mauritanie, de la Gambie et du Sénégal. Une vraie opportunité pour les Soninke car les frontières s’effacent. Le « Soninkaxu » devient la seule véritable identité.

Voilà maintenant plusieurs décennies que les soninkés ont amassé des fortunes partout dans le monde. Mais, le constat reste le même. Il est même amer vu sous certains angles. En effet, malgré les fortunes récoltées depuis des décennies et un patrimoine immobilier conséquent à Bamako, Dakar, Nouakchott et Banjul, nous sommes toujours dépendants de l’immigration. Nous continuons à payer un lourd tribut sur les chemins de l’occident. Hier, seuls les jeunes sans qualification émigraient mais aujourd’hui, ils sont nombreux des étudiants et des diplômés qui regagnent l’Europe ou l’Amérique à tout prix, souvent de manière clandestine. Quand ils viennent faire les études supérieures en Europe, nombreux d’entre eux abandonnent leur cursus universitaire pour diverses raisons. Beaucoup viennent grossir le rang des immigrés. Par malchance, une part considérable finit « sans papiers » sans réel projet de retour au bercail. De plus, nous sommes fortement exposés à la géopolitique mondiale. A titre d’exemple, les guerres civiles dans l’ancien Zaïre, en Angola, en Côte d’ivoire ont touché plusieurs familles Soninkés. Elles ont perdu des vies et des fortunes. La récente rrécession économique en Espagne a affecté le grenier de plusieurs familles du Guidimakha car beaucoup de leurs soutiens se sont retrouvés sans travail. Les nouvelles politiques d’immigration en Europe et en Amérique se ressentent fortement dans les familles Soninkes car ces dernières sont pleines de candidats au départ.

Aussi, nos nationalités malienne, mauritanienne, sénégalaise, gambienne ne priment-elles pas très souvent sur notre « Soninkaxu ». Il est courant de voir des Soninkes du Sénégal snober des Soninké du Mali, de la Mauritanie surtout en cas de demande en mariage, et vice versa ou sur le degré de savoir-vivre des uns et des autres. Sénégalais, Maliens, Mauritaniens, Gambiens oublient leur « Soninkaxu » dès que leur fils ou leur fille manifeste une volonté de convoler en noces avec un (e) Soninke d’une autre contrée. Une campagne de diabolisation d’une rare violence prend souvent forme. Si le prétendant de la fille sénégalaise est malien ou mauritanien voire gambien, des critiques fusent. Il en est de même pour une fille malienne qui souhaite s’unir avec un Soninke de la Mauritanie ou de la Gambie. Les parents oublient qu’avant d’être malien, Ssénégalais, mauritanien, le prétendant est d’abord Soninke et a baigné dans la même sphère culturelle qu’eux.

En immigration, nous perdons très souvent nos valeurs séculaires, socle de notre « Soninkaxu ». Le droit d’ainesse, le respect de la parole donnée, l’abnégation au travail, la dignité en toute circonstance se raréfient de plus en plus dans notre société. Nous sommes aujourd’hui confrontés comme tant d’autres, il faut le préciser, à la délinquance de nos enfants et au décrochage scolaire. Aujourd’hui, plusieurs jeunes Soninkés, happés par l’argent facile et l’oisiveté, meublent nos maisons s’ils ne croupissent pas en prison. Un crève-cœur pour les parents Soninkes. D’ailleurs, beaucoup de parents, de peur de voir leurs enfants mal finir, diffèrent leur retour au bercail après une retraite bien méritée. Une façon de garder un œil sur leur progéniture.

D’autre part, malgré l’opulence de nos caisses villageoises, nos investissements collectifs sont très limités. Les infrastructures de base captent une grande part de nos épargnes. Ecoles, dispensaires, forages, mosquées furent construits grâce à ces caisses. Si nous ne pouvons pas négliger l’apport considérable de ces caisses dans nos villages d’origine, force est de constater qu’elles profitent rarement à nous-mêmes et à notre progéniture. Nous sommes d’accord que le rapatriement des corps est la première mission de ces caisses villageoises. Mais, une fois ce problème résolu, cette manne financière, doit-elle continuer à profiter aux banques classiques ?

Dans plusieurs caisses villageoises, l’argent « dort » dans les banques. De plus, la gestion de ces caisses répond à des logiques très contestables dans certains villages. A titre d’exemple, dans certains villages, c’est « cotise et tais-toi ». Dès fois, ne peuvent être gérants que les fils de chefs de villages…

Il faut une rupture et des innovations. Les gérants de ces caisses villageoises doivent être accessibles et transparents. Elles ne doivent plus être tenues selon un rang social. La compétence doit primer sur le nom de famille. Les tenanciers de ces avoirs collectifs doivent être à l’écoute de tous pour pouvoir bénéficier des diverses expertises. Chaque année, ces caisses doivent tenir, chacune, une assemblée générale où les comptes seront exposés afin que chacun sache le bilan financier du village. Ainsi, des idées pourront germer quant à l’utilisation des fonds et à leur affectation dans tel ou tel projet.

De la même manière que le révérend américain, Martin Luther King, j’ai des rêves. Je rêve du jour où les Soninkés prendront leur destin en main où qu’ils soient pour vivre en parfaite harmonie avec comme seule identité : le “Soninkaxu”. Comme j’aime à le dire, nous sommes soninkés avant d’être maliens, mauritaniens, gambiens ou sénégalais. Dans cet élan, nous travaillerons main dans la main où que nous soyons : en Afrique, en Europe, en Asie, en Amérique. Nos caisses villageoises, symbole de notre esprit solidaire, pourront alors être des fonds d’investissements. Je rêve du jour où les Soninkes du Gajaaga, du Hayré,du Fouta, du Guidimakha, de Diafounou, de Kaarta, de Khaniaga additionneront leurs économies thésaurisées depuis des décennies à travers les « Funru caisses » pour créer une banque de détail, de financement et d’investissement. La constitution du capital d’une telle banque ne sera point la croix et la bannière. Prenons un exemple simple pour illustrer notre propos.

Pour créer une banque, il faut un besoin. Les bonnes questions à se poser sont les suivantes : Y a-t-il une demande ?

Des produits et services nous manquent-ils de nos jours ?

A la première question, nous répondrons par la positive. Aujourd’hui, tout soninké domicilie son salaire dans une banque de la place ( la poste, société générale, BNP, LCL, Crédit Agricole pour le cas de la France). Nos caisses villageoises, organisées en association, déposent nos diverses cotisations annuelles dans ces banques. Donc, le besoin existe bel et bien. La demande est plus ou moins satisfaite par les banques classiques et quelques banques africaines ayant des succursales dans les capitales européennes. Les produits et les services des banques classiques ne satisfont pas tous nos besoins. Par exemple, il est difficile d’avoir un financement d’une banque française pour l’achat de matériels agricole et avicole dans le cadre d’un projet d’exploitation agricole au Sénégal ou au Mali. Les crédits immobiliers sont ouverts à tous mais pour des projets d’achat et de construction exclusivement en France. Très peu de banques européennes octroient des prêts pour des projets en Afrique malgré nos garanties salariales. Et pourtant, nos avoirs déposés dans ces banques et notre système de cotisation constituent des garanties solides. Chaque année, ce sont des centaines de milliers d’euros que nous déposons dans ces banques. Si cet argent constitue souvent un apport pour des projets financés par le co-développement, il ne se fructifie point. Seules nos cotisations annuelles alimentent ces comptes villageois.

Les « maisons du village » dans les capitales africainnes appelées « Kompe Khoré » ont été construites par les seules cotisations des membres d’un village. C’est le moment de remercier la première génération d’avoir eu cette idée ingénieuse d’aider les jeunes à vivre dignement dans nos capitales en les logeant gratuitement dans ces « maisons du village ». Mieux, dans certains villages, le déjeuner était assuré. Des initiatives hautement salutaires qui malheureusement n’ont pas bénéficié du suivi nécessaire, peut-être, à cause de l’indiscipline des nouvelles générations.

 

Samba KOITA dit MAKALOU/EYO, www.soninkara.com