Contribution : Quand l'éducation était l'affaire de tous, la rue formait plus qu'elle ne déforme

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« Après le pain, l'éducation est le premier besoin d'un peuple. » soulignait Danton. Il est indéniable que le meilleur service que l'on peut rendre à la société est de bien éduquer ses enfants. Éduquer c'est inculquer à l'enfant des valeurs intrinsèques à la vie en société. Chaque société a ses règles et ses principes. Sans entrer dans des considérations philosophiques, on est en mesure de paraphraser Louis de Bonald qui disait que " L'homme n'existe que par la société et la société ne le forme que pour elle." L'homme n'est que le résultat de sa société. Il devient bon quand la société arrive à le parfaire selon ses règles et principes sinon mauvais quand il déroge aux fondamentaux de cette même société. Voilà d'ailleurs toute la différence entre l'homme et l'animal. De Bonald disait même que « L'homme naît perfectible. » C'est dire que de l'éducation de l'homme dépend ses futures épithètes sociales. Sans une bonne éducation, l'homme est assimilable à l'animal. D'ailleurs, chez certaines communautés africaines, un enfant normal qui peine à assimiler les rudiments de la bible sociétale est  assimilable à un " animal "  parce que très éloignée des logiques sociales. 

Dans nos sociétés africaines particulièrement celles ouest africaines qui nous intéressent dans cette analyse  ( Mali, Mauritanie, Sénégal voire Gambie ), l'éducation est devenue notre talon d'Achille.

Autrefois, l'éducation des enfants était orchestrée par toute la famille, le voisinage ou simplement par tout le village ou le quartier. Depuis la naissance, des codes sociaux rythmaient la vie de l'enfant. De gestes simples mais bourrés de sens permettaient d'indiquer à l'enfant la conduite à tenir  en public. Un travail en amont très utile . Ainsi, on s'accordait à dire que les enfants ne s'éduquent pas le jour de l'arrivée des étrangers. Une façon de rappeler à l'ordre les parents qui veulent battre le fer froid. Mieux vaut prévenir que guérir, dit-on !

Quelle que soit la taille de la famille, "polygamique ou monogamique", les enfants étaient surveillés de très près par toute la famille. Leurs fréquentations et leurs délires étaient tous épiés afin de déceler les moindres écarts de conduite. L'éducation de l'enfant n'était pas le sacerdoce que de la seule mère. Toute la famille contribuait à son " édification ". Mieux, tout acte répréhensible était fortement condamné sinon rapporté à qui de droit. L'enfance n'était pas une étape de " non droit ". En plus de la rigueur parentale, la rue contribuait fortement à l'éducation de l'enfant. Cette fonction accordée à la rue était d'une importance capitale à telle enseigne que chaque mère, chaque père et chaque individu de la société se voyait investi par une mission particulière : éduquer les enfants.


Chez les Soninkés, cette dévolution est très visible. Paraphrasons ces arguments irréfutables du "forumiste" Cheikhna M. Wagué du site de Soninkara.com qui montrent à tel point la rue forme. Je cite " Il est indéniable que dans les villages, la rue est considérée comme une vraie école. Cette confiance accordée à la rue en Afrique s’explique, à mon humble sens, par le fait que les enfants soient généralement au vu et au su de tous les adultes. Et tout adulte qui voit un enfant sur un mauvais chemin peut se permettre de le réprimander, car l’enfant est le rejeton de tout le monde." Le chercheur sénégalais Mahamet Timéra avait embouché la même trompette en disant que " (...) la rue, le dehors constituent l’espace privilégié des enfants et des jeunes, et l’enfant qui reste trop souvent à l’intérieur dans l’isolement vis-à-vis de ses pairs suscite une certaine inquiétude des parents et peut être perçu comme un asocial ou comme une « poule mouillée ».

Tout cela nous montre que nos sociétés accordaient une importance cruciale à l'éducation de ses futurs adultes. Il était fréquent de voir les jeunes, de nature bouillante, se transformaient en doux agneaux dès qu'ils apercevaient un adulte quelle que soit la nature du forfait  qu'ils étaient en train de commettre. Chaque adulte de la société est en droit de corriger l'enfant si nécessaire. Je me rappelle à titre personnel de la correction qui me fût flanquée le jour où j'ai grillé à ma première clope locale ( branche de citrouille aux vertus thérapeutiques présumées appelée "Sidi Khantanye " en Soninké ) par curiosité. Je fus appréhendé par un adulte du quartier qui passait par là. Il me fit passer un sale quart d'heure. Après de bonnes raclées, ce cher Monsieur m'amena chez moi tel un voleur. Il expliqua les faits à ma famille. Tous contents de cette bonne action, mes parents l'ont remercié très dignement. Quelques minutes après son départ, j'eus droit à des sérieuses torgnoles à telle enseigne que j'eus juré de ne point toucher à un semblant de cigarette à fortiori à la  vraie clope. D'ailleurs, depuis ce jour, je refusais même d'aller acheter une cigarette ou d'aller allumer une clope aux aînés. Toute cette ratatouille pour expliquer que l'éducation d'un enfant n'incombait pas seulement à sa mère voire à sa famille.  En Afrique, la rue éduque. Toute la société travaillait d'arrache pied pour former des futurs adultes responsables et corrects.  

Par ailleurs, cette forme d'éducation n'a rien à voir avec celui des jeunes talibés, abandonnés à eux-mêmes par des marabouts obnubilés seulement par l'appât du gain. Par la rue, il faut comprendre tous les adultes qui ont un regard très vigilant sur le comportement des enfants du voisinage et du village tout court voire du quartier. L'enfant de Samba est celui de Mademba et de Yoro. Les mères, fortement attachées à leurs rejetons cautionnaient cette mainmise utile à l'éducation des enfants. C'était un mal nécessaire. Cette forme d'éducation à remparts imposait aux marmots de se réguler et les invitait au plus grand discernement. L'enfant avait honte de commettre certains forfaits.

Force est de constater que " cette éducation à la villageoise " ne se faisait pas qu'à coups de bâtons. Le plus souvent, la société formatait les jeunes filles et garçons de sorte qu'ils aient des comportements exemplaires afin d'éviter des situations honteuses. Bon nombre de nos anciens érigeaient la parole comme instrument de dissuasion et de réprimande. A chaque forfait, l'enfant avait droit à une salve d'objurgations au point de vouloir être enterrer vivant. Les paroles tailladaient le cœur alors que le bâton lacerait juste le corps. Comme dit l'adage « La remontrance un reproche effectué gentiment, comme avec un hachoir à viande. » Jadis, nos sociétés éduquaient de cette façon.

De nos jours, avec la nucléarisation des familles et l'explosion de nos carcans sociaux, l'éducation est devenue sans doute le talon d'Achille de nos sociétés. Nos sociétés se perdent. Moins de repères !  Dans les villes et même dans les villages, il n y a plus de garde-fous. Les jeunes s'éduquent eux-mêmes. La rue déforme qu'il ne forme. Nul n'ose plus faire ne serait ce qu'une petite remontrance à l'enfant d'autrui de peur d'entendre des paroles aigres ou de finir au poste de police. Nos villages sont même devenus des nids de l'indiscipline et des forfaits les plus détestables. Les générations changent et les mentalités sont en profonde mutation.

La mondialisation a eu comme corollaire la perte de nos valeurs sociétales. Les choses ont beaucoup changé. Les jeunes n'écoutent plus. Le respect légendaire à l'endroit des parents et des ainés devient caduc. Tout bat de l'aile. Place à la dégradation des mœurs. Personne n'a honte de personne. On se " Chek le Down ", on " Jumbax out " et on vit sa vie comme bon nous semble. Tout le monde veut adopter le " m'as tu vu " alors qu'hier on évitait d'être sous les feux des projecteurs de peur de se faire remontrer les bretelles par les parents. Patarasse  ! C'est le contraire de nos jours. Ce sont les parents mêmes qui poussent leurs enfants à adopter certains modes de vie très discutables. Dans les grandes capitales, cette perte de vitesse des classiques de notre éducation sont plus visibles. Les jeunes sont négativement influencés par la rue. Les modes de vie sont calqués sur le modèle occidental avec ses nombreuses tares. On cherche les modèles outre atlantique. Les adultes, autrefois régulateurs sociaux ont d'autres chats à fouetter que de s'attarder sur des détails. Personne n'ose même plus conseiller l'enfant d'autrui de peur de se faire rappeler le fameux adage " Balaie devant ta porte avant d'aller balayer les devantures des autres ". Ceci est la résultante du " laisser-aller " dans nos familles. C'est clair que l'adulte qui a des choses à se reprocher ne peut se permettre de faire des remontrances à fortiori de donner des fessées à un môme. C 'est l'ère du grand "bordel".


Les causes de cette perte de vitesse de notre éducation sont multiples et variées. On peut passer des jours à les sérier. Ce n'est pas l'objet de cette alerte. Force est de constater que les programmes de télévision, la mondialisation galopante avec comme corollaire la perte de nos valeurs, la pauvreté dans certains quartiers populaires et certaines villages relèguent au second plan le contrôle parental. Il serait intéressant que les parents fassent une petite rétrospective afin de donner un nouveau coup de fouet à l'éducation de leurs enfants. Dans l'immigration, le même problème se pose. L'éducation des enfants hante les parents. Mais, les causes sont différentes et plus discutables. Toutefois, le résultat est le même : Éduquer est devenu la croix et la bannière pour ne pas dire un parcours de légionnaire.

 

Samba Fodé KOITA dit Makalou, www.soninkara.com