Compte rendu de la conférence de l'ADEERB de Ziguinchor : Les intellectuels soninké et leur terroir

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Pour leurs premières journées d’intégration, les membres de l’ADEERB (Association des Etudiants et Elèves Ressortissants de Bakel) ont convié le public samedi 04 juillet 2009 à 16h00 à une conférence dans l’amphithéâtre de l’Université de Ziguinchor et dont le thème portait sur « les intellectuels soninké et leur terroir ». La conférence qui a été animée par le Secrétaire Général de l’Université de Ziguinchor, Monsieur Mady BATHILY, administrateur civil et également fils du terroir, a vu la participation des populations soninké résidant à Ziguinchor et à Bignona et d’étudiants d’autres amicales ressortissants des différentes localités du Sénégal présentes à l’Université. D’emblée, le conférencier s’est dit doublement satisfait de l’ADEERB. D’abord les étudiants membres de l’ADEERB sont bien intégrés au sein de l’établissement où ils évoluent en parfaite harmonie avec les autres étudiants dans une université cosmopolite où se côtoient toutes les ethnies, toutes les religions et toutes les contrées du Sénégal et même de la sous-région (Guinée Conakry, Guinée Bissau, etc.). Cette belle intégration est une source d’enrichissement mutuel, traduction de la belle formule de feu le poète et président Léopold Senghor pour qui il s’agit d’un « rendez-vous du donner et du recevoir », de l’enracinement et de l’ouverture. Ensuite, Monsieur Mady BATHILY s’est dit satisfait des résultats globalement positifs des étudiants de l’ADEERB au niveau des examens et il les exhorte à persévérer dans cette voie.

Introduisant le théme, le conférencier a raconté une anecdote qu’il a vécue lors de la Tabaski 2008 à Bakel. Sacrifiant à une tradition bien sénégalaise d’aller saluer les voisins après une absence, il a été interpellé par une personne âgée qui après lui avoir souhaité la bienvenue s’est adressée à lui en ces termes : « vous qui êtes au niveau de l’Etat, dites – leur de prendre en charge notre sécurité sur les routes menant à Bakel ; il y a 2 jours, des coupeurs de route se sont attaqués à des passagers et ont tué l’un d’eux. »
Ainsi, le conférencier a senti toute la responsabilité qui pèse sur tous les cadres du terroir dans la prise en charge des préoccupations des populations et notamment des intellectuels. L’intellectuel, dira t-il, doit être distingué de quelqu’un qui est diplômé et qui est instruit. Le savoir est une condition nécessaire mais non suffisante. Tous les diplômés et les instruits sont des intellectuels potentiels qui ne le seront effectivement que s’ils deviennent des créateurs d’idées, des gens engagées. Bref, être intellectuel, c’est prendre position, comme du reste nous invite Emile Zola. Jean Paul Sartre ira même plus loin en disant qu’ « un intellectuel est quelqu’un qui se méle de ce qui ne le regarde pas ».

Poursuivant, le conférencier dira qu’il ne faut voir aucune connotation à caractère ethnique dans le choix de ce thème. La préoccupation de l’ADEERB doit s’analyser dans une logique de rassemblement puisqu’au sein de leur association, on y trouve des soninké originaires du Mali, de la Mauritanie et d’ailleurs. Le département de Bakel qui est un département multiethnique a besoin de l’apport de tous ses intellectuels soninké, toucouleur, wolof bambara etc. C’est donc un souci inclusif qui a animé l’ADDERB afin d’embraser large pour tous ceux qui partagent l’espace « SONINKARA ». Monsieur BATHILY dira que le choix du thème n’est pas fortuit. Il doit découler d’un constat fait par les étudiants d’une implication faible, quasi inexistante des intellectuels soninké dans le développement de leurs localités, contrairement à d’autres zones géographiques du Sénégal où leurs cadres s’organisent pour l’émergence de leur terroir. Analysant les facteurs explicatifs de cette faible implication, le conférencier en retiendra trois : d’abord l’immigration ; longtemps la réussite sociale dans le SONINKARA est synonyme d’immigration et il n’est pas rare de voir des élèves brillants arrêter leurs études pour partir vers l’Europe. Souvent, une fois sur place, ils se mettent à la recherche d’un emploi.

Ensuite, il ya une forte tendance des soninké vers le commerce et l’agriculture, délaissant ainsi l’école. Enfin, il faut noter l’absence d’une société civile forte c’est-à-dire les associations (qui sont souvent mort-nées), les ASC (on a connu des années où il n’ya pas eu de navétanes à Bakel), les Groupements de Promotion féminine etc. Aujourd’hui, l’Europe se barricade et ferme ses frontières et les territoires d’émigration subissent les contrecoups de la crise financière mondiale. QUE FAIRE ? Pour reprendre Lénine. Les intellectuels du SONINKARA sont ainsi interpellés pour jouer leur partition. Qu’il s’agisse des intellectuels de la diaspora (ils sont nombreux en France) ou des intellectuels qui sont un peu partout au Sénégal. Aujourd’hui avec la politique de décentralisation, il y a 9 (neuf) domaines de compétences que l’Etat a transférés vers les collectivités locales que sont la région, la commune et la communauté rurale avec la loi 96-07 du 22 mars 1996. Ces compétences sont : 1.la gestion et l’utilisation des domaines, 2. l’aménagement du territoire, 3. La planification. 4. L’environnement et la gestion des ressources naturelles ; 5. La santé et l’action sociale, 6. L’éducation, l’alphabétisation, la promotion des langues nationales et la formation professionnelle, 7. La culture, 8. L’urbanisme et l’habitat, 9. La jeunesse et le sport.


Ces compétences relèvent ainsi des organes locaux des collectivités locales : maire, président du conseil régional et président du conseil rural. Ils sont aidés dans leurs tâches par les assemblées délibérantes : conseil municipal, conseil régional et conseil rural. Par conséquent, pour le conférencier, ce sont autant de champs d’intervention des élites soninké pour apporter leur pierre à l’édifice d’un développement local, efficace, démocratique et responsable. Cette implication pourra se manifester également par une sensibilisation des populations dans l’exercice d’un contrôle citoyen sur les collectivités locales. Ainsi, selon l’article 3 du Code des Collectivités locales, toute personne physique ou morale peut faire au président du conseil régional, au maire et au président du conseil rural, toutes propositions relatives à l’impulsion du développement économique et social de la localité concernée et à l’amélioration du fonctionnement des institutions. Tout habitant ou contribuable a le droit de demander à ses frais, communication, de prendre copie totale ou partielle des procès-verbaux du conseil régional, du conseil municipal ou du conseil rural des budgets et des comptes, des arrêtés (Article 161 du code).
Les séances du conseil étant publiques, tout habitant de la collectivité a le droit de consulter le registre des procès-verbaux des délibérations.


Les budgets et les comptes restent déposés au siège de la collectivité locale où ils sont à la disposition du public. Tout contribuable inscrit au rôle de la collectivité locale a le droit d’exercer, tant en demandant qu’en défendant, à ses frais et risques avec l’autorisation du représentant de l’Etat, les actions qu’il croit appartenir à la collectivité locale et que celle-ci préalablement appelée à en délibérer, a refusé ou négligé d’exercer. Le contribuable adresse au représentant de l’Etat un mémoire détaillé. Le représentant de l’Etat transmet immédiatement ce mémoire à l’organe exécutif concerné en l’invitant à le soumettre à son conseil spécialement convoqué à cet effet dans un délai de 02 mois.
Dans le cas où le conseil refuse d’agir en justice, le représentant de l’Etat peut autoriser le demandeur à s’y substituer. La décision du représentant de l’Etat doit être motivée. Elle est susceptible de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif (article 294 du code).


Le conférencier insiste sur le rôle que doit jouer la societé civile du SONINKARA en se constituant en associations ; c’est le cas de la Convention des Cadres du Département de Bakel , des amicales d’étudiants et des ASC. Ces groupes constitués seront autant de forces de persuasion, de proposition, de débats d’idées pour défendre des valeurs pouvant relever le défi de l’émergence de notre terroir. En utilisant tous les canaux démocratiques reconnus par la Constitution (liberté d’expression, liberté de réunion, liberté d’association, liberté de presse, liberté de manifestation, etc.), mais dans le respect de la loi, les intellectuels soninké, par un lobbying efficace, pourront alerter l’Etat sur les phénomènes des coupeurs de route, sur la construction d’hôpitaux et d’écoles etc.
L’immigration étant source de richesse grâce aux nombreuses actions de développement de la diaspora, il convient, pour le conférencier, que les intellectuels jouent un rôle d’encadrement, d’accompagnement dans ce processus d’investissement. Grâce aux partenariats dans le cadre de la coopération décentralisée, les populations locales trouveront autant de solutions aux problèmes rencontrés en matière de santé, d’eau, d’éducation etc. En conclusion, dira le conférencier, le moment est venu pour les intellectuels du SONINKARA de refuser d’être des spectateurs passifs mais plutôt engagés dans les débats de l’heure concernant leurs localités.

ADEERB