Bounama Camille Sylla: un (ex) sans-papiers qui fait bouger les cités

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Grioo.com est allé à la rencontre de Camille Bounama. Arrivé en France sans-papiers, ce jeune sénégalais a monté plusieurs projets qui l'ont conduit à collaborer avec des préfectures, des communes, à se rendre au ministère de l'intérieur place Beauvau, à rencontré le président du Sénégal Abdoulaye Wade le tout en étant ''sans-papiers''! Des personnalités se sont mobilisées pour sa régularisation. 

Vous avez grandi dans la ville de Tambacounda, pouvez-vous nous parler de cette ville et des années passées là-bas ?

Tambacounda est une ville qui est frontalière avec cinq pays, le Mali, la Mauritanie, les deux Guinée, et la Gambie, c’est une ville qui a un métissage extraordinaire. C’est une ville où il y avait très peu d’activités. Mon rêve a toujours été de monter un festival dans cette ville.
Il y a une chose qui m’a marqué, c’est que lorsque mon grand-père allait à Dakar, il disait toujours "je vais au Sénégal".

C’est comme si Tambacounda ne faisait pas partie du Sénégal. C’est une ville de 60 000 habitants, avec 59 % de la population qui a moins de 21 ans. Quand je vois qu’il y a 50 festivals à Dakar, et aucun à Tambacounda, ça me motive à faire quelque chose pour ma ville...

Vous y commencez vos études avant de venir en France...

J’ai suis allé à l’école jusqu’à 14/15 ans, âge auquel j’ai organisé mon premier événement. J’avais une sono qu’un de mes frères m’avait offert. Je suis allé à Dakar pour voir un oncle et j’avais une sœur qui m’avait envoyé 30 000 FCFA. Je me suis dit que j’allais organiser un concert à Dakar. Je suis allé voir les radios, et j’ai organisé un concert au foyer des jeunes de Wakam. J’avais 15 ans et ça a marché. C’était le premier événement que j’ai organisé, et depuis lors j’ai continué [à organiser des événements]...

Comment par la suite vous venez en France, comment et pourquoi ?

J’avais les mêmes rêves que la plupart des jeunes africains, et ce rêve était d’aller à l’étranger même si aujourd’hui, les jeunes comprennent que rester en Afrique peut aussi être une bonne option. Je suis venu en France pour les vacances à l’été 99, puis je suis retourné au Sénégal. J’ai repris un visa quelques mois après et je suis revenu.

N’avez-vous pas été freiné par le fait de ne pas avoir de papiers ?


Depuis que je suis petit, je suis débrouillard, je n’ai jamais compté sur mes parents. Ne pas avoir de papiers est très difficile psychologiquement car il y a une honte, ou une gêne qui existe. A tout moment on pense aux papiers. Psychologiquement c’est très compliqué à gérer. Quand on est avec des filles, on n’a pas envie qu’elles sachent qu’on est sans-papiers. Vous prenez le métro, vous achetez un ticket, vous vous dites si on m’arrête en compagnie de cette fille, je vais être expulsé (rires).

Mais dans le même temps, ça ne m’a pas freiné. En France je n’avais pas de papiers, je n’étais pas reconnu « officiellement », mais j’avais des papiers sénégalais. Il était important de montrer à ces gens qui ont des préjugés que même quand on est sans-papiers on peut être actif même si on est exclu du système, même si on ne peut pas avoir de compte bancaire, de logement, se soigner...

Dans le même temps, en étant sans-papiers, j’ai rencontré le président Wade lors d’un de ses passages à Paris, j’ai monté un projet avec la préfecture du 95 et j'ai été reçu par un sous-préfet, je suis allé à la place Beauvau (ministère de l’intérieur en France NDLR), à l’Unesco, à l’Essec, j’ai été au conseil général, j’ai noué des partenariats avec des chaînes comme Arte dans le cadre du projet « Artecités » et je n’avais pas de papiers...Quand j’ai créé l’association « Le Monde des Idées et des Actions », je n’avais toujours pas de papiers...

Pouvez-vous nous parler de quelques uns des projets que avez-vous montés ?

Mon rêve était de monter un festival pour la ville. Un festival comme le fespaco. Tambacounda est comme je l’ai dit une ville au métissage extraordinaire, qui me permet de parler cinq langues sénégalaises, le wolof, le peul, le bambara, le soninké, le diaranké et quelques autres que j’arrive à comprendre.

Je me suis dit : « je vais monter un festival, lutter contre quelques uns des fléaux qui touchent l’Afrique » et j’ai récupéré un vieux cinéma qui était fermé depuis 30 ans que je voulais réfectionner et transformer en centre d’accueil pour enfants. J’ai pensé qu’il fallait sortir un CD. Je suis allé voir cinq communes, et 50 artistes comme Mokobé du 113, Doudou Masta, Princess Aniès, on a lancé le CD « Allo Tamba » en février 2005 pour récolter des fonds. Mais on n’a finalement pas pu commercialiser ce CD en France.

Ensuite j’ai monté un gros festival auquel 700 personnes ont participé, il y avait cinq communes représentées, on a diffusé un film sénégalais, « Mme Brouette », et fait un débat sur la condition de la femme. Il y a eu 21 troupes qui ont joué. Je ne savais pas que mon projet entrait dans le cadre de la politique de la ville en France.

Par la suite, j’ai travaillé avec la ville de Bezons, j’ai monté un projet à Cergy pontoise, avec la ville de Bezons, avec la Courneuve et avec l’adjoint au maire. 

Paul Yange, Grioo.com