Bakel : Le Lycée Waoundé Ndiaye de Bakel, un temple du savoir en perte de vitesse

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« Lycée, ah ! Cimetière du temps de ma jeunesse », disait Gheorghe Bacovia. Par définition, le Lycée est un établissement public d’enseignement secondaire placé sous le contrôle du ministère de l’éducation nationale. Bakel, ville située à l'Est du Sénégal est l'un des départements du pays à avoir bénéficié tardivement de cette structure étatique. L'année scolaire 1982-1983 avait vu s’ouvrir à Bakel un collège au nom de Waoundé N'diaye. Ce nom n'est pas anodin. Waoundé Mody Samba Siré NDIAYE était une figure historique et emblématique du département de Bakel. Il naquit en 1912, dans le Hayire, plus précisément dans le village de Waoundé (actuellement Commune dans la région de Matam). Il a occupé plusieurs fonctions dans l'administration sénégalaise avant de finir Maire de la commune de Bakel. Donner ce nom au seul établissement devant accueillir les admis à l'entrée en sixième de l'école élémentaire Ibrahima Malal Diaman Bathily et celle de Amadou Waranka N'diaye ainsi que les écoles des villages du département revient à immortaliser ce grand homme qui fut Waoundé Ndiaye. Le collège de Bakel disposait d’onze classes. À l'Ouest, on avait les deux salles de classe de sixième (6eme A et B), au Sud les salles des cinquième et quatrième (5eme A et B - 4eme A et B) en plus des deux salles qui servaient de sport et de lecture. À l'Est, il y avait le laboratoire, la salle techno et la seule classe des élèves de troisième. Cette unique salle de cours de l'Est au nom des 3emes imposait un système de tournage. Si les premiers niveaux avaient l'assurance d'avoir une salle de classe fixe, les classes de troisième, quant à elles, n'avaient pas de salles fixes. Leur emploi du temps était fait en fonction de la disponibilité des autres salles de classes. Parfois, le laboratoire destiné aux cours de biologie et de physique-chimie et la salle de technologie étaient confisqués pour des cours classiques. Au milieu du collège, il y avait le secrétariat plus connu sous le nom de "surveillance" et le bureau du proviseur jouxtant les deux toilettes du collège. Le collège Waoundé N'diaye bénéficiait également d'un jardin potager qui se situait au Sud-Ouest. Il servait aux cours de Sciences de la vie et de la terre ou à l'exploitation agricole du gardien. Un grillage servait de clôture au collège. Le collège de Bakel était ainsi structuré. Pendant plusieurs années, ce temple du savoir a formé bon nombre d'intellectuels du Sénégal. Les enfants du terroir suivaient leur scolarité jusqu'en classe de troisième avant d'aller continuer dans les grands lycées à l'intérieur du Sénégal. Dans les années 1980-90, aucun enfant de Bakel ne pouvait rester auprès des siens pour suivre sa scolarité post collège. Classe de troisième rimait avec départ de Bakel. Les générations se succédaient laissant leurs empreintes dans les annales du collège.

Années 80-90 : le calvaire de nos aînés hors de notre terroir natal  

Bakel a toujours obtenu des résultats convaincants aux examens de fin d'année. Filles et garçons rivalisaient d’ardeur. Les brillants élèves étaient souvent envoyés dans les écoles de renommée nationale comme le Prytanée militaire de Saint Louis ou au lycée Mariama Bâ de Gorée. Au point de vue de résultats scolaires, le collège Waoundé N'diaye n'avait rien à envier au reste du Sénégal. Par contre, au niveau des infrastructures scolaires, Bakel était très déficitaire, en la comparant à d’autres villes du pays. Ce manque de moyens n'était pas trop exacerbé jusque dans les années 90. Les maux de Waoundé N'diaye ont été réellement révélés au monde qu’à la suite de sa transformation en Lycée, durant l’année scolaire 1997-1998. Cette transformation était motivée par la volonté des gens de Bakel à mettre fin aux difficultés auxquelles étaient confrontés leurs enfants, obligés à aller poursuivre leurs études ailleurs, à l’intérieur du pays. Si beaucoup de nos aînés ont pu passer sans grande difficulté l'écueil du lycée pour intégrer les universités de Saint louis et de Dakar, bon nombre d'entre eux furent obligés de mettre un terme à leurs études à cause des difficultés rencontrées dans les grandes villes du Sénégal. Les brevetés de Waoundé N'diaye souffraient terriblement dans les lycées régionaux surtout dans ceux de Dakar et celui de Mame Cheikh M'baye de Tambacounda. Non seulement, ils étaient arrachés à l'affection familiale, mais ils devaient également composer avec les difficiles conditions de vie des familles d'accueil. Certains vivaient « l'enfer sur terre ». Je me rappelle encore de ces histoires que nos aînés nous racontaient. À Tamba, rares sont ceux qui avaient de la famille sur place. Ils étaient souvent envoyés dans des familles qui les acceptaient moyennant travaux champêtres ou autres services. D’après leurs dires, ils étaient obligés d’aller chercher des fagots de bois sec après les cours pour avoir droit à quelques poignées de nourriture. Souvent, ils allaient au cours le ventre vide, soit parce que le repas n'était pas prêt, soit parce qu'il n y avait pas assez. Pour pallier ces difficultés, les parents leurs envoyaient souvent des arachides, du pain sec et autres amuse-gueules. Certains gardent encore les restes des arachides et de "tanja muku " (pain sec mélangé à du sucre) dans les poches de leurs jeans de lycéens. Des souvenirs indélébiles. À Dakar, les conditions de vie n'étaient également guère reluisantes. Ils survivaient. Ils parcouraient des longues distances à pied pour aller au lycée et devaient se contenter d'un seul repas par jour. Par chance, certains tombaient sur de bons amis ou sur des familles nanties qui leur permettraient de bien suivre une scolarité normale. Je ne caricature point. Nos anciens ont été formés à la dure. Les élèves de Bakel avaient payé un lourd tribut dans ces expéditions dans l'intérieur du pays.

Devant ces difficiles conditions de vie hors du terroir, la construction d'un lycée était devenue plus que nécessaire dans la capitale du Gajaaga.  En 1997, l'État du Sénégal érige le collège Waoundé N'diaye en lycée. Waoundé N'diaye devient un lycée à part entière. Un soulagement pour les populations locales et surtout pour les élèves. Plus besoin d'aller par nécessité à Tamba ou à Dakar. Les enfants du département de Bakel peuvent rester chez eux et suivre tranquillement leurs études. "Aux grands maux, les grands remèdes " dit-on. Mais, comme il arrive souvent, les grandes décisions sont souvent accompagnées d'effets pervers. L’érection du collège de Bakel en lycée a été faite de manière hâtive et sans étude approfondie de faisabilité. Les mesures d'accompagnements n'ont été visibles qu'au point de vue administrative. Monsieur Sarr, anciennement principal du collège, laissa la place au proviseur Babou Dramé. L'année scolaire 1997-1998, Monsieur Dramé débarqua à Bakel en compagnie d'un censeur et d'un surveillant général. Une classe de seconde ouvre les portes dans l'enceinte mythique de Waoundé N'diaye. Un bonheur de courte durée. Grande fût notre surprise à la rentrée des classes ! En guise de classe supplémentaire, les autorités administratives du département n'ont rien trouvé de mieux que de scinder les salles de classes des sixièmes à l'aide de cloisons. Ils ont également supprimé la salle de sport et la bibliothèque pour en faire des salles de classes. Pire, la bibliothèque fût partagée en salle de classe et en provisorat. Sans explication aucune, la technologie qui était une matière en option en quatrième et en troisième fut également supprimée. Le laboratoire y passe également. Il n'est plus le temple des biologistes, physiciens et chimistes mais le théâtre des littéraires et des linguistes. Waoundé N'diaye se métamorphosa. Il devient un volcan en sommeil. Les élèves n'avaient d’autres solutions que de s’adapter aux nouvelles réalités. Les élèves de seconde, première et terminale s'entassaient dans les minuscules classes mal aérées et peu lumineuses. Les élèves du cycle moyen ne pouvaient plus faire de sport en salle. Ils devaient sortir du lycée avec leurs tapis de gymnastique et autres accessoires de sport pour aller pratiquer cet art au terrain de basket situé à 500 mètres du lycée. Plus de bibliothèque également au moment où le reste du Sénégal se dotait de salles informatiques. Pour tromper le monde, les autorités scolaires ont ainsi supprimé les toilettes des filles pour aménager une salle de lecture qui finalement servira de salle de professeurs. Pour faire leurs besoins, les élèves n'avaient d’autres choix que de squatter dans les toilettes des maisons voisines du lycée. Waoundé N'diaye agonisait. Chaque année était une nouvelle épreuve. Malgré les conditions invivables, les résultats étaient très souvent brillants. La première promotion de terminale du Lycée avait obtenu des résultats plus que satisfaisants pendant que les élèves de troisième rivalisaient d’émulation pour décrocher d'un coup leur Brevet de fin d'études du cycle moyen.

Pendant des années, l’État est resté sourd aux revendications des élèves de Bakel. La première des revendications légitimes était le manque criard de professeurs. Chaque année, il manquait cinq à sept professeurs au lycée Waoundé toutes disciplines confondues. Ce manque criard d’enseignants a également eu comme corollaire la suppression de certaines séries scientifiques comme la S. Bakel a accueilli Wolofs, peuls, Sérères, Diolas, mandingues, Socé...Ces valeureux professeurs ont réussi à maintenir le flambeau de l'excellence dans ce temple du savoir bakélois, malgré les moyens extrêmement limités. Nonobstant la chaleur étouffante et le climat rude (vent sec et chaud), Bakel a toujours disposé de professeurs dignes de ce nom. Comme la fonction l'impose souvent, ils ont laissé des familles et désormais pour venir servir les populations bakéloises. Dans toutes les disciplines, ils se sont distingués souvent avec comme seule richesse leur savoir et leur craie. Waoundé N'diaye disposait de peu d'accessoires pédagogiques et informatiques. Photocopieurs, imprimantes étaient un luxe pour les professeurs. Ils devaient souvent compter sur leurs propres moyens pour dispenser des cours de qualité. Tout devait être donné en classe parce que les élèves n'avaient pas de livres pour continuer les recherches. Pendant plusieurs années, et d'ailleurs jusqu'à nos jours, Waoundé N'diaye survit de cette manière. Ces dernières années, les problèmes sont devenus plus exacerbés. Waoundé N'diaye a perdu de sa renommée. Notre établissement est devenu un lycée test pour les autorités sénégalaises. L'État nous envoie très souvent les professeurs à l'aube de leur carrière. Le manque d'outils pédagogiques joint à l'inexpérience des enseignants ont fortement fragilisé l'éducation scolaire Bakéloise. Chaque génération hérite de son lot de problèmes. Comme le dit Buck " Les jeunes ne sont pas assez avisés pour être prudents, c'est pourquoi, génération après génération, ils continuent de tenter l'impossible...pour l'atteindre." Chaque année scolaire soulève les mêmes revendications que les anciennes générations ont tenté vaille que vaille de satisfaire. Durant mes années de Lycée, nous avions été plus loin dans la lutte. Durant les années scolaires 2000-2002, les grèves étaient souvent violentes. Il y avait eu des incidents majeurs qui ont marqué terriblement la vie scolaire : la blessure du préfet du département et le passage à tabac de nos délégués. Le président du foyer des élèves fut tabassé à coups de matraques. Il avait observé des semaines de RTT. L'année scolaire 2001-2002, le lycée a été en grève pendant presque deux mois. Malgré tous ces incidents, le lycée peine à se mettre aux normes. Récemment, il y a eu la construction d'un nouveau lycée juste derrière le district sanitaire de Bakel. Il n'est pas encore fonctionnel, mais osons tout de même espérer que ce dernier permettra de juguler les maux de l'éducation bakéloise. Aujourd’hui, il est du ressort de chaque fils du département d’apporter sa touche pour redorer le blason du lycée Waoundé N’diaye de Bakel. Malheureusement, les autorités étatiques sont sourdes et aveugles devant ce genre de défis. Comme disait Mère Thérèsa : « La vie est un défi à relever, un bonheur à mériter, une aventure à tenter ». Et ce défi, nous le devons aux générations futures.

Samba KOITA dit EYO pour www.bakelinfo.com