Rélations de l'ancien Gabou avec Etats voisins

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Le nom de Cabou, appliqué à un fleuve et non à un royaume, apparaît, pour la première fois, au commencement du XVIe siècle, avec Duarte Pacheco Pereira « .. .et ce fleuve de Guambea s’appelle aussi Guabuu dans la langue des Mandingues ; si l’on remonte le Guabuu, on a au Nord Jalofo et au Sud ou Midi le Mandingua... » [3]. Le fait que Duarte Pacheco Pereira mentionne le toponyme Cabou suggère qu’il aurait entendu dans la région le nom Cabou et qu’il l’aurait confondu avec le nom de Gambia donnée au fleuve. Pendant le XIXe siècle, le nom Kabou était appliqué au Rio Grande ou R. Koli, comme l’indiquent Mollien et Hecquard [4].C’est curieux de noter que le chroniqueur et géographe Joao de Barros, un demi-siècle après Duarte Pacheco Pereira, continuait à désigner le fleuve du nom de Garnbia alors que les habitants l’appelaient Gambu [5]. D’ailleurs, les Portugais, assez tôt, ont commencé à nommer le Rio Garnbia de Rio Cantor, du nom de la région (Cantora) de la rive sud à laquelle arriva Diogo Gomes, en 1460 [6] et où ils achetaient l’or [7] ; la région appartenait au royaume du Cabou, comme on le verra.

Bien que certaines traditions orales affirment que le Cabou n’était pas habité avant l’arrivée des Mandingues, commandés par Tirama Sané ou Tirama Camba, la plupart d’entre elles font mention de peuples qui y vivaient déjà, tels, les Balantes, les Biafades et les Baïnouks. Ce chef mandingue serait venu au Cabou sur ordre de Soundiata, pour punir certains rois baïnouks [8].
Ces envahisseurs seraient encore, selon la tradition orale, des « Soninkés », c’est-à-dire des « animistes », buveurs de boissons alcoolisées. Au commencement du XVIIe siècle, un auteur portugais, le Père Manuel Alvarès, en traitant du Rio Gambia, insiste sur la différence entre les « Soniqueis » et les « Mande » ou « Mandingues », marchands et islamisés, arrivés plus tard [9]. Une telle distinction est fréquente, aussi bien en République de Gambia qu’en République de Guinée-Bissau, chez beaucoup d’auteurs, depuis le XVIIe siècle et jusqu’à notre siècle. Le même Père Manuel Alvarès dit expressément que la terre du « Farim Cabo est la frontière des Soniqueis » [10]. En Guinée-Bissau, le terme collectif « soninkés », comme ethnonyme, a été abandonné seulement en 1920 et 1940 avec le grand progrès de l’islamisation [11].
Les guerres du XIXe siècle ont permis aux Peuls de capturer un grand nombre de Soninkés, Biafades et Badjarankés animistes, lesquels ont été assimilés et islamisés et sont désignés par le terme générique de « Fulas Cativos » ou « Fulas Pretos [12], et constituent, numériquement, en Guinée-Bissau, le noyau des population de l’ancien Cabou.
Mais déjà, auparavant, il y avait eu une forte « mandinguisation » des peuples prémandingues, parallèlement à l’islamisation. Le fait a été observé avec pertinence, au milieu du XIXe siècle, par un auteur français, Bertrand Bocandé : « Tous les peuples en contact avec les Mandingues adoptent peu à peu les usages et la langue de ces derniers et finissent par se confondre avec eux. Ainsi, cette nation s’accroît insensiblement aux dépens des Floups, des Bagnous, des Balantes, des Biafades, qui deviennent Mandingues soninkés ; les Mandingues-marabouts chercheront à dominer partout où ils se sentiront assez fort... » [13].
Après avoir essayé de définir la zone comprise dans l’ancien royaume du Gabou, on dégagera les traits de son hégémonie sur quelques peuples et Etats voisins, surtout à l’intérieur du territoire de l’actuelle Guinée-Bissau. 
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[1] Selon le témoignage du professeur Djibril Tamsir Niane, « Teixeira da Mota est l’un des plus grands spécialistes de l’histoire du Gabou. Il a séjourné longtemps en Guinée-Bissau où il a fait des recherches sur le terrain. Nous lui devons aussi la traduction de plusieurs ouvrages des navigateurs portugais des XVe et XVIe siècles ». Ce texte a été traduit du portugais ; la traduction n’est pas satisfaisante ; de peur de dénaturer la pensée de l’auteur, nous n’y avons apporté que quelques retouches. (N.D.L.R.).

[2] « Kabou FI. ou Rio Grande ou Comba », sur la Carte du voyage de G. Mollien aux sources du Sénégal et de la Gambie, dressée et gravée par Ambroise Tardieu, 1819, publiée à la fin du T.I de Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, aux sources du Sénégal et de la Gambie, fait en 1818, par ordre du gouvernement français, par G. Mollien, Paris, 1820. « Rio Grande ou Coli - Cette rivière est appelée Koli par les Mandingues, Maio Kabou ou Comba par les Peulhs », dans le Croquis d’une partie de l’Afrique Occidentale pour servir à l’intelligence du voyage à Timbo, par Hecquard, officier de spahis, 1851, publiée à la fin du livre Voyage sur la Côte et dans l’intérieur de l’Afrique Occidentale, par Hyacinthe Hecquard, Paris, 1853.

[3] « ... e este (rio) de Guambea que tamben na lingua des Mandinguas hà nome Guabuu ; e indo por Guabuu acima da parte do norte fica Jalofo e da parte do sul ou mec dia he Mandingua... », Duarte Pacheco Pereira, Esmeralda de Situ Orbis, (1505-1508), Liv. l, ch. 29. Il y a des éditions de 1892 (par Raphael Eduardo de Azevedo Baste, Lisboa), 1905 (par Augusto Epiphanie Da Sisva Dias, Sociedade de Geographia de Lisboa, avec réédition de 1975), 1954 (par Damiano Peres, Academia Portuguesa da Historia). Il y a une édition anglaise, par George H. T. Kimble (London, Hakluyt Society, 2nd series, LXXIX, 1937), et une version française partielle (du Sud Marocain au Gabou), par Raymond Mauny (Bissau, Centro de Estudos da Guiné Portuguesa, 1956). Joaquim Barradas de Carvalho prépare depuis longtemps une nouvelle édition critique.

[4] « Kabou FI. ou Rio Grande ou Comba », sur la Carte du voyage de G. Mollien aux sources du Sénégal et de la Gambie, dressée et gravée par Ambroise Tardieu, 1819, publiée à la fin du T.I de Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, aux sources du Sénégal et de la Gambie, fait en 1818, par ordre du gouvernement français, par G. Mollien, Paris, 1820. « Rio Grande ou Coli - Cette rivière est appelée Koli par les Mandingues, Maio Kabou ou Comba par les Peulhs », dans le Croquis d’une partie de l’Afrique Occidentale pour servir à l’intelligence du voyage à Timbo, par Hecquard, officier de spahis, 1851, publiée à la fin du livre Voyage sur la Côte et dans l’intérieur de l’Afrique Occidentale, par Hyacinthe Hecquard, Paris, 1853.

[5] « Charoam-lhe os negros da terra Gabou e noe Gambia » (Joao de Barros, Asia, Déc. I, Liv. III, ch. VIII, Lisboa, 1552).

[6] Sur ce voyage et la région de Cantor, V. A. Teixeira Da Mota, « A descoberta da Guiné », in Boletim Cultural da Guiné Portuguesa, Bissau, no3, juillet 1946, pp. 483-488 (réédition in Mar, Alem Mar Estudos e Ensaios de Historia e Geografia, Lisboa, junta de Investigaçoes do Ultraroar, Agrupamento de Estudos de Cartografia Antiga, I(1944.1947), 1872, pp. 195198).

[7] Le nom Riod e Cantor existe dans plusieurs documents épars du XVIe siècle et aussi dans le texte bien connu de Valentin Fernandes (Th. Monod, A. Teixeira Da Mota et R. Mauny, Description de la Côte occidentale d’Afrique - Sénégal au Cap de Monte, Archipels, par Valentin Fernandès (1506-1510), Bissau, centro de Estudos da Guiné Portuguesa, n° 11, 1951, pp. 6 et 36). André Alvarès de Almada emploie aussi cette désignation à côté de Rio Garobia, au chapitre I de son Tradado Breve dos Rios de Gui. né do Cabo Verde (dont il y a trois éditions : par Diogo Kopke, Porto, 1841 ; par Luis Silveira, Lisboa, 1946 ; par Antonio Brasio, in Monumenta Missionaria Africana - Africa Occidental, 2e série, Lisboa, III, 1570-1600, 1964, pp. 222-378, avec tirage à part).

[8] José Queiroz Andrada Pinto, Bajarincas de Piche, réponse à l’enquête ethnographique de 1946, résumé in A. Teixeira Da Mota, Inquérito ethnografico organizado pelo Governo da Colonia no ano de 1946, Bissau, 1947, pp. 155-156 (rééd. in Mar, Alem Mar, l, p. 308) ; une autre référence aussi, avec la même origine, ln. Fernando Rogado Quintino, « Sobrevivências da cultura etiopica no ocidente africano », in Boletin Cultural da Guiné Portuguesa, Bissau, XXI, n° 81, janvier 1966, p. 22.

[9] Manuel Alvarès, Etiopia Menâr, manuscrit de 1616 dont l’édition (avec versions en français et en anglais) est en cours de préparation pour nous, avec la collaboration de Paul Hair et Léon Bourbon ; 1e partie, chapitre 3.

[10] Ouvrage cit., 2e partie, chapitre 10.

[11] Antonio Carreira, « Aspectos historicos da evoluçao do Islamismo na Guiné Portuguesa », in Boletin Cultural da Guiné Portuguesa, Bissau, XXI, 1966, no 84, p. 413.

[12] Antonio Carreira, « A etnoninia dos pavos de entre o Gâmbia e o. estuario de Geba », in Boletin Cultural da Guiné Portuguesa, Bissau, XIX, 1964, n° 75, p. 254.

[13] « Extrait d’une lettre de M, Bertrand Bocandé, résident français, à Carabane (Casamance), à M. Ferdinand-Denis, 8 février 1851 », in Bulletin de la Société de Géographie, Paris, 4e série, T. 12, juillet-décembre, p. 416.