Touré Kunda, retour sur la scène française avec un nouvel album: Santhiaba

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Avec Santhiaba, album croisant musique classique, chanson française et richesses musicales de Casamance, les Touré Kunda signent aujourd’hui l’album de la maturité. Entretien avec Ismaïla et Sixu.

RFI Musique : Depuis la reprise de votre titre Africa Bamba en 1999 par Carlos Santana, on vous avait un peu perdu de vue…

Ismaïla : Carlos Santana nous a remis en selle et nous avons aussi contribué à son retour. Il se retrouvait dans l’ombre depuis une vingtaine d’années. Mais il avait sélectionné treize titres qu’il gardait précieusement dont un des nôtres, Africa Bamba. Il nous a dit : "c’est en écoutant ces titres que j’ai eu envie de revenir". En 2000,  son album Supernatural a décroché huit Grammy Awards. Nous avons été nominés dans la catégorie Meilleurs auteurs compositeurs. Et nous avons tourné avec lui au niveau international. Juste après, nous avons sorti Terra Saabi puis en 2003, suite à la tragédie du Joola, nous avons enregistré une cassette au Sénégal, Un bateau pour la Casamance, dont les bénéfices ont été reversés aux victimes.
Santhiaba ("le nouveau lieu" en wolof) est le titre de votre nouvel album. Pourquoi ce titre ?  
Ismaïla : Santhiaba est un quartier populaire de Ziguinchor où vivaient ensemble Soninkés, Mandingues, Diolas, Créoles Portugais, Peulhs, Wolofs…C’est le quartier de notre enfance, notre source d’inspiration. A l’époque, on écoutait Radio Congo qui passait de la rumba congolaise (les Bantous de la Capitale, Franklin Boukaka), Radio Sit, une radio de Gambie montée par une Anglaise sur un bateau au large de Bathurst (Banjul) qui diffusait des artistes guinéens, ghanéens, du maringa du Liberia. Et bien sûr Radio Sénégal. On reprenait les titres à notre façon et on se les réappropriait.

L’album est une œuvre très peaufinée au niveau des arrangements et propose des fusions surprenantes comme Ah Diatta qui débute par la Marche turque de Mozart et enchaîne avec des percussions de samba, des belles lignes de violon, du piano, des cuivres…
Ismaïla : Ce travail, on le doit à Samba Laobé NDiaye qui a coréalisé l’album. Il a su révéler l’essence de notre musique. Tous nos jeunes musiciens nous ont beaucoup apporté grâce à leur polyvalence et à leur  ouverture musicale. A la kora, il y a Noumou Cissokho et Cheikh Lô (le fils de Ouza Diallo) également pianiste et chanteur, Toninho, un jeune guitariste brésilien, Eric Gauthier, qui a donné des inflexions peuhles à sa flûte traversière, les guitaristes Laye Kane et Hervé Samb sans oublier Jeff Ludovic, le batteur, qui se greffe sur le travail du percussionniste alors que d’habitude, c’est l’inverse.

On ne soupçonnait pas en écoutant vos précédents albums que votre voix puisse avoir cette tessiture proprement mandingue.
Ismaïla: C’est le fait d’avoir mon propre studio à domicile et de ne plus subir la pression des maisons de disques. J’ai pu vraiment travailler pour la première fois ma voix comme je le sentais.

Dans cet album, il y a plusieurs reprises : Amonafi, originellement Mandaly, du Super Eagles (repris également par Youssou N'Dour),  Nianthio de Lalo Kéba Dramé. Et la Tantina de Burgos d’Henri Genès !
Ismaïla : Nous voulions saluer tous ces artistes qui sont pour nous des références. Nous avons également rendu hommage à Senghor, qui a fabriqué ses ennemis et leur a mis une couronne sur la tête, une preuve de grande majesté. Nous le comparons à Wandialan, une race de lion. La Tantina de Burgos était pour nous un morceau africain : on l’avait entendu en 1966 au Festival des Arts Nègres, interprété par Jean Serge Essous des Bantous de la Capitale !!
Sixu : L’année dernière, on était sur le quai de la gare d’Avignon et on attendait le TGV. J’ai pris ma guitare et j’ai improvisé sur ce morceau.  A la fin, tout le monde a applaudi. Ismaïla m’a dit  "Pourquoi ne pas le mettre sur l’album ?" Je trouvais que cette famille ressemblait à la famille africaine (rires).

On retrouve une multitude de styles : reggae,  mandingue, morna et même de l’afro-cubain (dans Te quiero). Un clin d’œil à vos débuts dans l’Esperanza Jazz ?
Ismaïla : Oui, c’est vrai, nous avons débuté par la musique afro-cubaine qui a toujours été présente au Sénégal même si le mbalax a tenté de nous coloniser, d’étouffer toutes les autres formes d’expressions musicales. Nous voulons montrer la diversité culturelle du pays et chantons en plusieurs langues (soninké, socé, wolof, dioula, créole portugais…).

Et cette couleur halpulaar ?
Ismaïla : Nous voulions souligner que les Peuls sont une composante de la Casamance. Ils ont été persécutés par les "indépendantistes" qui ne comprennent pas que nous sommes tous des enfants du Sénégal.

Le titre Urgent Appeal porte sur l’environnement…
Ismaïla : Ce titre techno/dance chanté en plusieurs langues et téléchargeable sur le site de Wagram veut alerter l’opinion sur les dangers du réchauffement climatique et montrer qu’on peut agir concrètement : nos pochettes et nos affiches sont en carton et papier recyclés.

Comment vous situez-vous sur la scène africaine aujourd’hui ?

Ismaïla : On a permis à des jeunes de croire que la musique pouvait devenir une profession. En 1985, au stade Demba Diop, on a invité Youssou N'Dour, on lui a tendu un micro HF : il cherchait le fil du micro partout (rires).

Vous avez participé à l’hommage à Lamine Konté en janvier 2008. Que représentait-il pour vous ?
Ismaïla : Il a fait connaître la kora dans le monde entier. Il m’a dit quelque chose que j’ai beaucoup médité : "Balisez de votre côté et poussez vers le centre. Quand on sera réuni, on aura réussi". Il avait une longueur d’avance.
 
Source: RFI