L'IMPACT DES PROJETS DES MIGRANTS

 Imprimer 

L’IMPACT DES PROJETS DES MIGRANTS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST SUR LE DEVELOPPEMENT DE LEURS PAYS D’ORIGINE
Auteur : Yaya Sy ( Anthropologue Professeur de lettres/Histoire-Géo )

Avant Propos :

Avant Propos :
Le terme impact nous intéresse ici d’un double point de vue sémantique, d’abord comme effet instantané, observable, et quantifiable, d’un corps qui vient en heurter un autre ; ensuite comme processus plus ou moins long des effets dialectiques de ce heurt sur les deux corps. Je compte appliquer cette notion d’impact de façon imagée à la société, selon les lois de la rétroactivité systémique.

Par ailleurs, je limiterai l’espace d’impact des projets aux trois pays sahéliens (Mali, Mauritanie, Sénégal) dont les ressortissants, venus du monde rural, ont réalisé de nombreux projets collectifs et individuels visibles et statistiquement estimables dans les villages d’origine, surtout pendant la période 1974-1999. Quant aux ressortissants des autres pays d’Afrique de l’Ouest, ils sont issus des villes plus que des campagnes, et leurs projets sont plus individuels que collectifs, ce qui rend les études d’impact de ces projets particulièrement délicates à mener.
Pour les trois pays concernés, il serait plus aisé de partir de l’échelle locale (village, arrondissement), puis départementale et régionale pour aboutir enfin au niveau des sociétés globales, afin de bien mettre en relief la complexité des effets des projets des immigrés sahéliens de France sur le développement de leurs pays d’origine. On notera que ces projets ont entraîné en retour une restructuration et une réadaptation permanentes des organisations de migrants ouest africains en France et ont joué un rôle déterminant dans le processus de leur intégration urbaine.
Ces observations, si concrètes soient-elles, ne doivent pas faire oublier que le concept de développement lui-même est un "fourre-tout" défini du seul point de vue des spécialistes occidentaux, soutenus par les instances monétaires internationales de Bretton Woods et bien d’autres développeurs-financeurs professionnels ; concept dont le contenu fluctue selon la période, mais dont la finalité serait, selon eux, le cheminement "des tiers mondes" vers le modèle occidental de développement économique, social, culturel et politique ; quoi que, depuis peu, ces mêmes spécialistes travaillent sur les dangers que peuvent représenter pour l’environnement planétaire l’accession à la société de consommation de type occidental, de 6 milliards d’hommes... d’où de nouvelles idées comme le développement durable ou le codéveloppement (France). Dans ce contexte d’indétermination du concept de développement, les immigrés soninkés et pulars qui disent construire leurs villages d’origine font-ils oeuvre de développement ?
En un mot, j’organiserai mon intervention en deux parties, dans la première, j’exposerai le processus de mise en place des projets des migrants sahéliens, et dans la seconde, je mettrai en relief les effets économiques et socioculturels de ces projets aux différentes échelles énumérées ci-dessus, tout en évitant soigneusement de laisser supposer que la définition du terme développement est définitivement acquise pour l’ensemble des acteurs sociaux.


P L A N


INTRODUCTION
I - LE CADRE GENERAL DES PROJETS DE DEVELOPPEMENT : MIGRATION ET DEVELOPPEMENT DES PAYS SAHEL
1) Les cadres institutionnels des projets de développement
2) Le bilan : Le prix des départs et les retombées de l'émigration
3) L'évolution statistique et l'origine géographique des immigrés africains en France et en Europe
4) L'Histoire des associations villageoises : de la caisse ethnique à la caisse villageoise
II -PROCESSUS DE FORMATION DES PROJETS DES MIGRANTS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (1959-1999)
III- L’IMPACT DES PROJETS DES IMMIGRES SUR LEURS PAYS D’ORIGINE (1957-1999)
1) Les difficultés méthodologiques
2) Les changement économiques induits par l'émigration
a) L'impact des projets dans les régions à fort taux d'émigration
1) L'impact économique
2) L'impact socioculturel
b) Les effets économiques des projets de développement sur les pays d'origine
1) Les effets économiques
2) Les effets socioculturels et institutionnels
CONCLUSION


  •   INTRODUCTION

 

Doit-on considérer cette analyse d’impact des projets de migrants sur le développement des pays d’origine comme un bilan ponctuel, c’est-à-dire conjoncturel et inutile ?
Faut-il tracer une perspective de longue durée et y placer les effets des dits projets comme une lame de fond ?
Dans quelle mesure peut-on isoler les effets de ces micro-projets localisés, des résultats globaux de la macroéconomie dans les domaines du développement économique, socioculturel et politique de l’Afrique de l’Ouest ?
Tout en donnant quelques repères chiffrés, j’essayerai plutôt de limiter mon espace d’intervention aux trois pays du Sahel (Mali, Mauritanie et Sénégal) et de cerner les contours de quelques résultats tangibles des mini-projets de développement entrepris par les immigrés sahéliens après le déclenchement en série, des effets de la crise pétrolière, à partir de l’année 1975 et des mesures tendant à limiter l’émigration des ressortissants de la région considérée telles la promulgation de lois relatives à la gestion des flux migratoires (à l’initiative unilatérale des pays développés, dont la France) et/ou les dispositifs de retour "assisté".
 
I - LE CADRE GENERAL : MIGRATION ET DEVELOPPEMENT DES PAYS DU SAHEL
 
1°) Les cadres institutionnels des projets de développement


Après la chute du mur de Berlin en novembre 1989, on entre dans une perspective de domination de l’économie mondiale par le libéralisme, avec comme corollaire, une "approche intégrée" du développement dans le cadre du marché capitaliste planétaire supposé ouvert. En fait, le marché est contrôlé par le FMI et la BM au profit des pays riches qui continuent à fixer les prix des matières premières et dont les classes supérieures engrangent les énormes bénéfices des multinationales, en même temps qu’ils spéculent sur les richesses planétaires grâce aux capitaux flottants.
Pour les pays en développement, ces instances financières et monétaires internationales prescrivent des remèdes de cheval appelés ajustements structurels dont le but avoué est d’agir sur les fondamentaux de leurs économies nationales à partir de deux pôles, à savoir la stabilisation et l’ajustement à proprement parler ; le premier volet comprend des mesures fiscales et monétaires et une action de dévaluation ; et la seconde touche aux ressources, au marché et aux institutions (mobilisation et allocation des ressources, libéralisation du marché, et réforme institutionnelle).
En dernière analyse, le résultat visé est la mise sur les rails du libéralisme triomphant, d’une économie nationale souvent délabrée par l’échange inégal. Les organisations internationales ont pour objectif de maintenir les pays pauvres dans le giron du libéralisme et de la pensée économique unique. Dès lors, il faut lire la problématique du développement à un triple niveau d’intervention :
 
a) Les interventions publiques des instances internationales (FMI, BM) avec pour objectif la transformation des structures et la recherche des grands équilibres budgétaires des économies nationales. Mais en réalité c’est d’opération de mise sous tutelle du libéralisme, que nous avons mentionnée plus haut, qu’il s'agit.


b) Les actions publiques de développement au niveau des accords régionaux, multilatéraux ou bilatéraux entre Etats ACP-UE, OMVS, Club Sahel, ou entre Etats et organismes financiers et bancaires ( BCEAO, BEAC, BOAD, BDEAC, etc...) Ici encore le but "recherché" est la régulation des marchés et des institutions, l’harmonisation des système de production et d’échange, le soutien à la monnaie, la libre circulation des hommes, etc... Mais ces politiques d’intégration régionale animées par les Etats ont échoué et l’on revient à la case de départ, c’est-à-dire au problème de l’étroitesse des marchés nationaux malgré une démographie galopante qui grève lourdement le développement économique. Les accords bilatéraux entre Etats africains restent souvent sans effet ; comme exemple de manque d’intérêt pour l’Afrique au profit d’autres pays, on peut citer en exemple les accords de coopération entre la France et les pays du pré carré et signaler que la part de l’aide au développement dans le budget de la France a, selon le Monde Diplomatique, diminué de 30% depuis 1992, malgré la propagande officielle. Même si aujourd'hui, il est question d’éponger 70 milliards de dollars de la dette des 36 pays les plus pauvres qui s’élève à 230 Milliards de dollars (a voir...), on ne parle guère des milliards de dollars de bénéfices des grandes multinationales transférés dans les pays riches, et des intérêts composés d’une dette qui ne cesse de faire des "petits" depuis quarante ans... petits et arrières-petits qui enfoncent les pays pauvres.



c) En 1998 les investissements étrangers directs (IED) se chiffraient pour l’ensemble du continent africain à une dizaine de milliards de dollars selon la Cnuced (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement), ce qui correspond aux I E D de Singapour (Monde du 13 juillet 1999). Concernant les émigrés, Horst Breier estime que certaines années, les transferts de fonds des émigrés vers leurs pays d’origine sont supérieurs à la valeur totale de l’aide au développement, comme en 1989 où les envois officiels de fonds ont été estimés à 65,6 milliards de dollars, alors que l’aide au développement s’est chiffrée à 45,7 milliard de dollars. Quant aux investissements privés intérieurs des pays africains, ils sont garantis à 95% par l’épargne intérieure, ce qui laisse supposer que les grandes entreprises étrangères y compris les banques, continuent d’expatrier leurs bénéfices de l’Afrique sans souci de réinvestissement. Ce qui fait qu’au Sénégal par exemple le taux d’investissement qui était de 21% du PIB en 1976 n’était plus que de 12% en 1991. En Afrique noire, on peut, en un mot, signaler l’échec de la volonté d’intégration économique de l’après indépendance dans le domaine des unions douanières, des projets régionaux étatiques comme dans celui des institutions qui les accompagnaient (cf J P Barbier).


C’est dans ce contexte international, qu’il faut situer l’émigration africaine vers la France et l’Europe, afin de mieux mettre en exergue son caractère marginal. Néanmoins, il faut faire une place de choix aux mini-projets des migrants et les insérer dans les actions de développement au niveau des investissements intérieurs.
A noter que les pays d’accueil des migrants ont tendance à lier de façon systématique l’arrêt des flux migratoires à l’aide au développement et au retour des immigrés. Des études sérieuses ont montré qu’il n’y a pas de lien mécanique entre le succès des ces projets et le retour massif des migrants, bien au contraire, on observe un renforcement des flux migratoires avec le décollage économique ; le développement ne tarit pas l’émigration, au contraire, il le stimule dans une première phase.


Cela dit, les micro-projets provoquent des changements qui, bien que marginaux, ne peuvent être négligeables dans des régions enclavées à potentiel et à taux d’émigration élevés, longtemps restées hors d’atteinte des projets de développement nationaux. C’est le cas de la région du fleuve Sénégal, où l’on peut soutenir avec Quiminal que "l’émigration est devenue une donnée structurelle" depuis la fin des années soixante. Les projets qui y sont entrepris, bien que peu compétitifs et peu sensibles aux exigences du marché, comme les coopératives d’achats, les banques de céréales, les GIE et autres coopératives agricoles, assurent néanmoins la fourniture des villages en produits de base, tout en s’inscrivant dans une perspective d’économie artificielle qui renforce l’émigration parce que s’en nourrissant. Ces structures économiques interviennent dans la régulation des marchés intérieurs, et contribuent à la hausse de la consommation et à la baisse du coût de la vie, sans constituer une menace sérieuse pour les commerçants locaux dont les pratiques usuraires les plus criantes ont été pourtant abandonnées grâce à cette concurrence.


Le soutien aux micro-projets est laissé au bon soin des ONG et des organisations caritatives. Dans ces conditions, entre les grands projets des années soixante et soixante-dix appelés éléphants blancs, et les mini-projets qui ressemblent plutôt à des oeuvres humanitaires, peut-on envisager de forger un véritable partenariat entre Africains et Européens sans paternalisme ni projet de domination impérialiste future ? Récolter les fonds pour quels cadres de développement économiques et sociaux ? Pour quelles orientations politiques ? Pour quel type de société et quel citoyen ?


Les ONG dits du Nord, doivent répondre à ses questions vitales avant de se lancer dans la réalisation de projets sociaux de survie sensés, fixer la population sur place en Afrique, ce qui risque fort de faire d’eux les hordes méprisées et miséreuses des pouvoirs en place. Par ailleurs, en Europe le chômage est tellement endémique que trop d’ONG font de l’ombre aux associations africaines en les empêchant d’accéder directement à l’aide publique européenne, et de surcroît, elles apportent des modifications parfois injustifiées aux projets des migrants afin de les adapter aux appels d’offres des Etats ou de l’U.E. qui demeurent conjoncturels.




2°) Le Bilan de la migration
 
Le "prix" des départs et les retombées de l’émigration dans la région du fleuve Sénégal.
A ma connaissance aucune étude globale n’a été réalisée ayant pour objectif la mesure de l’impact des départs massifs de jeunes émigrés de la région du fleuve sur le développement de leurs pays respectifs ; même si de sérieux travaux statistiques ont tenté d’en saisir des pans essentiels (cf bibliographie de ma thèse) ce travail reste à faire. J’essaierai, de me placer du point de vue des pays fournisseurs de main-d’oeuvre , point de vue différent, on le conçoit aisément, de celui des pays d’accueil, pour proposer quelques lignes de force.


En effet, le prix du départ du pays d’origine ne se limite pas seulement à la perte de l’investissement matériel nécessité par l’éducation et la formation des jeunes qui émigrent. Le manque à gagner peut être estimé aussi en termes de prix symbolique, car on observe une transformation radicale du lien social entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés ; ces départs brusques et massifs provoquent également une rupture de la chaîne de transmission des savoirs, des savoir-être et des savoir-faire entre les anciens et les plus jeunes qui ne peuvent pas encore partir. En toute logique, ce sont ceux qui sont en âge de travailler qui auraient dû être chargés de l’éducation des plus jeunes et ils s’en vont. Le rapport actifs/inactifs, homme/femme, est déséquilibré du fait du départ massif des hommes. Sur la longue durée, l’émigration crée la dépendance extérieure qui peut, si l’on n’y prend garde, annihiler l’esprit d’initiative des populations restées et accentuer chez elles le goût, voire l’obsession du départ. Elle contribue à réduire le volume de la production agricole et artisanale et à réduire le prestige jadis lié au statut de bon paysan.


La fuite des cerveaux et des spécialistes (peu nombreux parmi les premières vagues, mais en nombre significatif à partir des années quatre-vingt) est préjudiciable à des pays qui en sont démunis. Bref, on a pu dans la sous-région, observer un net recul du dynamisme démographique, productif, socioculturel et politique (surtout dans les années soixante-dix). Parmi les inconvénient, notons que l'arrivée massive d'autres nationaux dans ces régions sape les fondements de la culture locale même si elle apporte un main d'oeuvre à bas prix. Elle apporte aussi pour le cas du Sénégal des commerçants Baol-Baol très organisés.


En revanche, parmi les avantages de l’émigration, pour les pays de départ, on peut signaler le soutien pécuniaire aux familles restées, l’acquisition de devises, la baisse du chômage, du sous-emploi, de la pression démographique, et de la contestation politique. La mise en relief du rôle de la femme qui devient une pièce maîtresse du système productif et de l’éducation des enfants, et qui participe activement au développement. On constate partout dans le monde, que la main d’oeuvre est devenue pour les pays pauvres un bon produit d’exportation, indispensable à leur équilibre budgétaire (balance de paiements) et qui leur permet d’augmenter de manière appréciable les investissements, l’épargne voire le revenu national par tête d’habitant et l’activité.


Par ailleurs, on observe chez les émigrés une acquisition de compétences diverses utilisables au retour et une autonomisation des femmes à l’étranger grâce au système juridique du pays d’accueil, au travail salarié et aux échanges interculturels entre femmes dans les quartiers des banlieues. Dans les pays d’origine, ils achètent des biens de consommation durables et des maisons, ils investissent, bien qu’inégalement, dans tous les secteurs de l’économie. Ils accroissent à coup sûr les échanges entre leur pays d’origine et le monde extérieur par les contacts multiples qu’ils tissent à l’étranger en particulier avec les ONG, les communes du Nord, voire avec les Etats.



L‘impact des projets des migrants sur le développement des régions et des pays d’origine, est par conséquent une composante essentielle des retombées positives de l’émigration. Mais c’est l’ensemble des effets bénéfiques de l’émigration qui doivent être comparés qualitativement et quantitativement au passif économique et socioculturel que constituent les départs massifs de jeunes travailleurs pour l’étranger. D’ores et déjà, il est utile de préciser, que ces projets de migrants sont limités en capital et sont dirigés vers des activités de services et d’acquisition de biens durables, d’où leur spécificité de micro-projets localisés ; et que, hormis l’agriculture et l’élevage, le secteur productif, surtout industriel, semble très peu touché par les réalisations. Malgré ces réserves, les effets globaux des projets des migrants touchent la société entière et affectent l’ensemble des mécanismes du développement économique, social, et culturel des pays de départ.
 
3) L'évolution statistique et l'origine géographique des immigrés Africains en France et en Europe
 
Hormis quelques navigateurs, c’est à la fin des années cinquante que les Soninkés et les Peuls, pour des raisons liées aux évolutions politiques, économiques, socioculturelles, démographiques et écologiques de leurs pays d’origine conjuguées au manque de main d’oeuvre en France, ont commencé à émigrer vers l’ancienne puissance coloniale (cf Yaya Sy 1997).
Le recensement de l’INSEE de 1990 donne pour les trois pays du Sahel le chiffre de 88 110 immigrés sur un total de 235 772 ressortissants d’Afrique Noire. Les Maliens s’élevaient à 37 693, les Sénégalais à 43 692, les Mauritaniens à 6 632.


Actuellement, compte tenue du rythme d’accroissement annuel dû essentiellement au regroupement familial et à l’arrivée d’étudiants et de quelques réfugiés politiques, j’estime respectivement les Maliens entre 65 000 et 70 000, les Mauritaniens entre 8 000 et 10 000 et les Sénégalais entre 45 000 et 55000. On peut noter que le nombre de Maliens résidant en France a été estimé par les services consulaires de ce pays entre 50 000 et 60 000 pour l’année 1990, contredisant ainsi les chiffres de l’INSEE, d’où une estimation prévisionnelle que j'évalue pour ce pays supérieure à celui qu’affichera l’INSEE pour la même année. C’est pourquoi j’estime, qu’on aurait sur le territoire français de 120 000 à 140 000 Sahéliens dans cette première moitié de l’année 1999. Les Soninkés constituent l’écrasante majorité de ces Sahéliens avec entre 65% et 70% du total, ensuite on a de 15% à 20% de Peuls, et les autres ethnies de 10% à 15% (Ouolofs, Malinkés, Khassonkés, Bambaras, etc...). Le retard accusé par l’INSEE pour publier les chiffres par nationalité du recensement de 1999 nous oblige à travailler sur des estimations.


A titre indicatif pour l’ensemble des populations ouest africaines en Europe, selon les "Sources Eurostat", en 1993 la population étrangère originaire des 16 pays de l’Afrique de l’Ouest s’élevait à 415 000 résidents dans les 15 pays de l’Union Européenne. Ils représentent 14,3% des Africains, 3,7% du total de la population étrangère non européenne, et 0,1% de la population totale de l’Europe. En France (où l’on a 31% de la population totale ouest africaine de l’Europe) les Africains de l’Ouest représentent 7,8% de la population africaine, 5,6% de la population étrangère et 0,2% de la population française. La population étrangère est différente de la population immigrée, l’immigré est né à l’étranger et est venu travailler dans un pays d’accueil dont il peut prendre la nationalité ; alors que l’étranger se distingue par sa nationalité étrangère, même s’il est né sur le sol du pays d’accueil.


Quant à l’origine spatiale des immigrés sahéliens, ils proviennent pour le Mali, du nord du fleuve Sénégal, avec les cercles de Nioro, Diéma, Yélimané, et de la partie sud sur l’axe Bafoulabé-Sadiola-Ambidédi, avec la ville de Kayes (sur le fleuve) comme chef-lieu de région, on compte également quelques Soninkés venus de la Capitale.



En Mauritanie les migrants soninké et pular proviennent du sud-est, c’est-à-dire de Kankossa à Sélibaby ; sur le fleuve ils viennent des petites villes de Gouray, Wompou, Magama, et Kaédi et des villages longeant la rive droite ; enfin, on compte quelques Négro-Mauritaniens de Nouakchott parmi ces migrants.
Au Sénégal, sur le fleuve Sénégal du sud-est au nord-ouest, sont concernés par l’émigration, les départements de Bakel, Matam, Podor. La ville de Tambacounda située au sud-est, est moins touchée par le mouvement ; de même, on dénombre quelques Soninkés et Peuls venant de Dakar. On compte aussi quelques commerçants Baol-Baol de Dakar ou de la région de Diourbel..
 
4) L'Histoire des associations villageoises : de la caisse ethnique à la caisse villageoise


La caisse ethnique (1959-1965)


Au début de la migration soninkée, les migrants constituaient des caisses selon les affinités. L’unité du groupe était basée sur le" parler soninké." Le pays, voire même le village d’origine n’intervenait que de manière secondaire. Dès lors qu’on parle soninké ou pular on peut se mettre avec un groupe de gens qui vivent dans les meublés ou les caves souvent gérées par des Algériens.


L’émergence de la caisse villageoise (ou AVSF)


A partir de 1965-1966, les ressortissants appartenant au même village sont devenus suffisamment nombreux pour fonder leur propre caisse. La caisse villageoise, que j’appelle l’association villageoise soninkée en France (AVSF) est née. Chaque village se sépare à l’amiable des autres villages appartenant à la même caisse ethnique.
Pour cimenter les nouveaux liens entre villageois, on se lance immédiatement dans la construction de la mosquée du village qui devient le symbole d’un rite initiatique majeur d’unification des croyants soninkés issus d’un même village en France.
La période 1966-1975 a vu s’amplifier les effets de la crise pétrolière, et la France prendra une panoplie de mesures unilatérales pour limiter la pression migratoire. C’est ainsi que la carte de séjour sera instaurée dès l’année 1975 pour les ressortissants de l’Afrique francophone, et en 1976 la loi sur le regroupement familiale adoptée pour les migrants africains.
 
II -PROCESSUS DE FORMATION DES PROJETS DES MIGRANTS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (1959-1999)


Les immigrés africains sentant la fin de l’immigration pendulaire (Yaya Sy, 1997), et liant arrêt de l’immigration, et réalisation de projets-retour... se lancent de manière un peu anarchique dans diverses voies. Après l’expérience du groupe de coopérative agricole de Somankidi, impulsé par l’ACTAF, plusieurs groupes du même type verront le jour dont Sobokou, Lany-Mody, Fégui et bien d’autres dans toute la vallée. Les groupes de coopérateurs suivent une formation technique de quelques mois en province, puis retournent en Afrique avec ou sans pécule d’aide au retour.
Les immigrés du Sahel se lanceront dans d’autres projets comme l’achat de pirogues pour le village, la participation au Projet SAED de champs collectifs et individuels en collaboration avec les villages d’origine, ils érigeront pharmacies, dispensaires, maternités, écoles, mosquées de quartiers, postes, barrages, banques de céréales, puits, etc...



Ainsi, l’association villageoise de Diawara (Sénégal) de 1966 à 1995 a investi entre 1,7 et 1,8 million e FF, soit 170 à 180 millions de francs CFA actuels avec les seules cotisations mensuels de 15 FF ou les cotisations ponctuelles exceptionnelles pouvant aller jusqu’à 2 000 FF /personne. Je n’ai pas compté les 11 000FF/annuels envoyés pour soutenir les ressortissants du village vivant dans la chambre de Diawara à Dakar (50FF/an/par membre). Je n’ai pas non plus comptabilisé les autres réalisations des autres regroupements du village comme les quartiers, les familles, les écoles arabes, les boucheries, ni même un grand projet privé d’investissement de 100 millions de francs CFA dans un super marché réalisé par quelques villageois avec leur cotisations et un prêt bancaire. Je n’ai pas pris en compte non plus les investissements de départ de 8 millions de francs CFA de la coopérative d’achat ni les quelques millions de francs CFA engloutis dans la coopération avec la SAED pour compenser les "frais" des champs des périmètres irrigués villageois. La pharmacie aussi fonctionne avec un capital que je n’ai pas pris en compte. J’ai limité mon champ aux seuls projets réalisés par la seule AVSF de Diawara ; n’ont pas été également pris en compte l’aide octroyée au village par ses partenaires tels l’ordre de Malte, les Lycées de Renêve et de Dijon, ni même celle de l’UNESCO, ou des ONG.


Toujours s’agissant des réalisation des AVSF que Christophe Daum appelle associations villageoises de développement (AVD) ; lors du colloque qui s’est tenu à Evry les 13 et 14 juillet 1992, il a essayé de faire la synthèse des réalisations de 105 associations villageoises de 100 villages comprenant 16 000 cotisants pour 24000 immigrés et 420 000 habitants dans les villages d’origine. Sur un total de 43 millions de francs investis, seulement 5 millions de francs ont été octroyés par les ONG et les institutionnels. La répartition par secteur d’investissement est la suivante :


- 41 projets et un investissement de 7,8 millions dans le domaine culturel.
-24 - - 0,9 million Agriculture.
-70 - - 9,01 millions Santé et éducation.
-62 - - 6,68 millions Consommation.
-57 - - 3,33 millions Eau
-21 - - 0,78 million Associatif
-16 - - 2,81 millions Services
-55 - - 7,17 millions Ecoles


Total 346 réalisations, 38,56 millions FF de cotisations et 5 millions FF (octroyés par les partenaires).


On peut citer d’autres exemples à partir de l’année 1984 où les Sénégalais créeront des GIE commerciaux (groupement d’intérêt économique) en se référant à la loi instaurant la NPA (Nouvelle politique agricole). Par ailleurs lors des grandes fêtes musulmanes on sacrifie boeufs et moutons en se rassemblant autour de groupes ponctuels de commande de viande de boucherie depuis la France.
La coopérative d’achat par exemple, qui est devenue très active dans tous les villages, importe des produits alimentaires des villes en vue d’assurer le ravitaillement continu du village surtout en période de soudure (août et septembre) à des prix modérés. Les commandes sont faites depuis la France et les bons sont envoyés au village pour le retrait des marchandises commandées. D’aucuns envoient un simple fax à la boutique du village qui livre les marchandises ou le mandat à la famille du migrant qui a passé la commande en France.



A Bakel quatre grandes sociétés de type GIE ont été créés depuis 1986, dont deux ont fait faillite suite à des malversations ; les deux autres fonctionnent, mais l’une d’elle est en difficulté actuellement à cause d’un procès en cours pour malversations.... L’un de ces GIE a par exemple créé huit emplois fixes et une dizaine d’emplois indirects liés à son activité, comme par exemple les livreurs de commandes ou les manoeuvres occasionnels, etc... Mais actuellement, les malversations et les tiraillement mesquins affaiblissent ces GIE de Bakel.


Autre exemple, les champs collectifs des villages : de 1975 à la moitié des années quatre-vingt, les émigrés sénégalais ont participé à la culture irriguée sur la vallée en cotisant soit pour avoir droit à un champ individuel qui sera fructifié par sa famille au village, soit en participant au champ collectif du village dont la récolte servait à payer les frais de fonctionnement dus à la SAED (essence, amortissements, assistance technique, etc...) et ensuite à ravitailler le magasin collectif en marchandises de première nécessité. Les formules sont nombreuses mais la récolte du champ collectif et l’argent des migrants doivent se conjuguer pour soutenir le magasin coopératif à prix modulés.


De la fin des années soixante-dix à la fin des années quatre-vingt, l’association villageoise soninkée ou pular verra ses fonctions se multiplier du fait même de la complexité et de la diversité de ses actions "dites de construction du village." C’est ainsi que verront le jour en France des associations villageoises de développement (AVD) structurés autour de l’AVSF et agissant au nom de tout le village. Ce sont les responsables de ces AVD qui assureront les liens avec l’extérieur (ONG, institutions, etc...) car après avoir dirigé les grèves des foyers au début des années soixante-dix, ces jeunes dirigeants instruits ou syndiqués, ont acquis, grâce à la loi de 1981 qui reconnaît aux étrangers le droit de s’associer sur les principes de la loi de juillet 1901, une solide expérience de contact avec la société d’accueil. Ce sont ces AVD qui vont impulser les projets dans les villages en construisant des structures-images au pays (cf Yaya Sy, 1997).
En revanche, ni la loi de 1975, ni celle de 1981 sur l’aide au retour avec respectivement un pécule de 10 000FF et 100 000FF pour le projet-retour et la formation, n’ont pas suscité un grand engouement chez les migrants africains.


Les années quatre-vingt-dix verront le renforcement de ces structures associatives, en particulier les coopératives d’achat, qui deviendront économiquement autonomes.
 
 
III - L’IMPACT DES PROJETS DE DEVELOPPEMENT SUR LE DEVELOPPEMENT DU PAYS D’ORIGINE
 
1) Les difficultés méthodologiques


En abordant ce travail je me suis tout d’abord heurté au problème de la quantification des migrants eux-mêmes, car malgré le recensement de 1990 et les quantifications annuelles des entrées et sortie du territoire français, les chiffres restent très problématiques. Ensuite, la documentation relative aux investissements des projets des migrants est quasi inexistante, tant dans le pays d’origine que dans le pays d’accueil. On comprend pourquoi l’estimation de l’incidence des micro-projets sur la dynamique globale de développement d’un ou plusieurs pays africains relève d’une gageure, ce d’autant plus que la région touchée par l’émigration est marginale et enclavée dans les trois Etats ; par ailleurs, les documents relatifs aux transferts de fonds des banques sont d’accès difficile, et que somme toute, ces transferts ne constituent qu’une faible partie des transferts globaux. On peut ajouter à ce tableau déjà sombre le dysfonctionnement chronique des services postaux en Afrique, ce qui explique la confiance limitée que les citoyens placent en la poste et les poussent aux transferts individuels de fonds ; ce comportement économique dit irrationnel s’avère en tout cas dangereux dans le contexte actuel d’insécurité qui prévaut dans les pays du Sahel.



Par ailleurs, mise à part les trois pays du Sahel, peu de travaux sur les projets de immigrés africains dans leurs pays d’origine sont réalisés, ce qui nous a handicapé et empêché d’élargir le champ de ce travail. Ce qu’on peut ajouter, c’est que les responsables de l’Etat français et des organismes de recherches n’encouragent nullement les étudiants et chercheurs africains désireux de se frayer des voies originales et autonomes de recherche sur leurs communautés. Les recherches sur l’Afrique et l’immigration africaine en particulier sont commandés par les orientations de la France qui sont souvent liées à la conjoncture politique et non aux intérêts des communautés africaines.
 
 
2°) Les changements économiques induits par l’émigration
 
a) L’impact des projets dans les régions à fort taux d’émigration
 
1) L’impact économique
 
Les changements économiques induits sont de deux ordres, tout d’abord ceux provoqués par les actions individuelles comme l’aide alimentaire aux familles, la construction des maisons familiales, l’épargne hors circuit bancaire, etc... c’est tout ce qui ne touche pas directement à un projet économique ; ensuite nous avons les effets directs des projets économiques. Cependant les deux types de réalisations activent l’activité économique car l’aide alimentaire aux familles soutient les coopératives d’achat, augmente le niveau de vie et diversifie la consommation et les besoins villageois ; la construction d’une maison, d’une mosquée, ou d’une école crée des emplois de maçons, de manoeuvres journaliers, et augmente la demande de matériaux de construction dans la région ; ce qui augmente le trafic routier et pousse les autorités à aménager les infrastructures. Par exemple une étude réalisée par Leader Price en collaboration avec un GIE de Bakel montre que dans cette ville on consomme plus de produits de luxe par habitant qu’à Dakar.


Les coopératives de migrants dans la région du fleuve ont apporté une véritable révolution copernicienne tant dans les habitudes alimentaires que dans les techniques culturales, ou dans celui des variétés cultivées dans la zone. Au niveau de l’organisation du travail ils ont apporté des nouveautés que nous analyserons plus loin dans le volet social, ainsi que dans le domaine de la lutte contre l’émigration.


2) L’impact socioculturel


Dans la région du fleuve le visiteur qui y arrive pour la première fois est frappé par les constructions en ciment et les toits de zinc des maisons, ainsi que par les flamboyantes mosquées visibles à plusieurs lieues du village. La différence avec les autres régions est frappante ; même si tous ces changement ne sont pas heureux, l’aspect physique du village a changé.


La configuration des quartiers n’obéit plus aux relations sociales traditionnelles entre les différentes castes du village ; au Sénégal, c’est la communauté rurale qui en principe décide dorénavant des zones constructibles et accorde les terrains. Le téléphone, l’électricité, la fosse sceptique, la télévision, la radio et tous les moyens de communication modernes surgissent dans les villages Par le biais de ces moyens de communication, les traditions subissent l’assaut des cultures dominantes des villes comme celles des Wolof du Sénégal ou des Bambara du Mali. A la télévision on regarde Dallas et Dynastie, tout comme le Grand Maghal de Touba.
Dans les villages le mode vestimentaire s’est diversifié, et l’alimentation locale à base de mil et de déré a cédé le pas au riz au poisson, poisson venu de la mer au lieu du fleuve. L’Agriculture s’est trouvée dépréciée et une mentalité de dépendance de l’émigration s’est installée. Les organisations villageoises servant de relais à l’action des migrants renforcent cette dépendance collective de la migration, car elles n’entreprennent rien au village, qui ne soit financé par les émigrés.



Les rapports familiaux se sont transformés, celui qui vit et travaille en France est valorisé et on lui accorde volontiers la main d’une jeune fille plutôt qu’au pauvre paysan resté au village. Désormais, la coopérative est devenue le grenier de chaque maison ; et ce sont les migrants qui remplissent les greniers et non plus les récoltes des "grand champ" de la famille, cultivé jadis sous l’autorité du kagumé, c’est-à-dire le plus âgé et le plus haut placé dans la généalogie familiale. Ce pouvoir du cadet de passer commande à la coopérative à partir de Paris accélère les mutations dans les rapports cadets aînés. Ces rapports sont de plus en plus dominés par le pouvoir économique des migrants. On peut affirmer, sans risque de se tromper, que dans la région du fleuve, l’émigration joue dorénavant un rôle moteur dans la reproduction sociale, tout en contribuant paradoxalement à transformer radicalement les bases culturelles de la société soninkée.


Les migrants pour échanger efficacement avec les villages, ont, dès l’époque de la construction des mosquées, créé des structures-images dans les villages et dans les capitales. Dans les capitales, ils ont renforcé le rôle de "la chambre du village," s’il en existe, et les structures-images qui y fonctionnent facilitent la fonction relais avec le village. Les villageois installés dans la capitale s’occupent de tout ce qui est administratif concernant par exemple les envois de containers remplis de médicaments ou de livres au village.
Quant aux structures-images implantées au village, elles réalisent selon leur domaine de compétence, les différents projets dans une dialectique d’échanges complexes d’informations avec les groupes de référence des émigrés, par exemple le groupe qui s’occupe de la pharmacie peut être différent de celui qui s’occupe de l’école, ou de la coopérative d’achat, en tout cas, tous les groupes travaillent en collaboration étroite avec le chef de village et son représentant en France. L’idée d’un projet, selon le cas, peut provenir du village ou des émigrés ; elle est soumise ensuite aux deux assemblées villageoises ( celle de France et celle du village) avant d’être adoptée et mise en pratique.


La synergie d’échanges en tous genres avec les villages a impulsé le regroupement de plusieurs villages dans la migration et au pays en vue de coordonner leurs efforts à travers des projets plus lourds ; des fédérations d’associations villageoises et des réseaux sont nés de cette collaboration comme Jama-jigui, Guidimaxa-Jikké, Jombouxou, Gajaga, ou le "Réseau des associations pour le développement du fleuve Sénégal" initié par l’institut PANOS, dont l’objectif, semble t-il, est d’améliorer les conditions du partenariat, de la vie associative, de la formation, et une meilleure information entre partenaires. L’institut PANOS jouerait la fonction d’appui institutionnel, elle collabore déjà avec le centre de formation de Bakel, et la Radio rurale de Kayes. Ce réseau de fait, englobe le GRDR, l’UNESCO, les différents bailleurs de fond comme les ministères et les ONG qui ont pignon sur rue en Afrique.


Ces échanges avec les villages ont créé des lieux de pouvoir et de négociation collective où quelques individus tentent de remettre en cause les anciens rapports de domination entre les nobles, leurs descendants d’esclaves et leurs artisans ; mais l’imaginaire populaire, malgré ces changements économiques n’a pas encore changé dans bien des domaines concernant les relations sociales. Même si l’on fait de plus en plus appel aux capacités et aux compétences individuelles des cadets et des groupes dominés, (surtout en France) l’endogamie de caste, tout comme l’allégeance des cadets envers leurs aînés et des descendants d'esclaves et niaxamala envers les nobles, demeurent des pratiques implicites encore vivaces.
 
b) Les effets économiques des projets sur le développement des pays d'origine
 
1) Les effets économiques


Les mandats, les virements bancaires, l’argent sous le manteau, etc... tous ces mouvements de capitaux vers le pays d’origine, constituent une source providentielle de devises pour les pays en développement. Ces devises contribuent efficacement à la recherche d’équilibre des budgets nationaux.
L’émigration stimule l’activité bancaire, le commerce, le bâtiment et le transport au niveau national, malgré la faiblesse des taux nationaux d’émigration vers l’Europe et la France, surtout depuis 1975. Mais le dynamisme des régions d’émigration crée des emplois, attire d’autres nationaux, stimule les usines de production de ciment et de des matériaux de construction du bâtiment et des travaux publics. Les migrants achètent des maisons dans la capitale, investissent dans le commerce, le transport comme les taxis et les minibus. On ne dispose pas dans les statistiques nationales de données spécifiques à ces investissements, qui, me semble t-il, sont considérés comme des investissements intérieurs qui contribuent en tous les cas à l’augmentation du revenu national.



2) Les effets socioculturels et institutionnels


Au niveau national, les projets des migrants contribuent au développement de l’esprit d’initiative des nationaux. Les institutions nationales intègrent de plus en plus la donnée migratoire en créant des ministères, des secrétariats d’Etat, ou des hauts conseils chargés des émigrés. Le rôle politique, syndical, et socioculturel des émigrés n’est plus à démontrer surtout quand ils retournent avec des projets novateurs dans des domaines comme la mode, l’animation culturelle, la création d’ONG dits du sud, ou des coopérative de production sur la vallée du fleuve.
Les émigrés ont élargi les liens entre pays d’origine et d’accueil grâce aux réseaux de solidarité créés avec les institutions françaises, les collectivités locales, les institutions européennes et les ONG de tous les pays du monde.

  •   CONCLUSION

 

Le 18 juin 1999 la presse internationale a révélé que selon les auditeurs de la Commission de Bruxelles, la Cote d’Ivoire, vient de détourner la somme de 180 millions de FF, soit 18 milliards de francs CFA représentant plus du tiers des dépenses de santé subventionnées par l’U. E., en combinant un système de fausses factures, des méthodes de surfacturation et les malversations "courantes". Ainsi, les prix des produits achetés ont été multipliés par dix, vingt, trente, etc... avec le record pour un pèse-bébé dont le prix à été multiplié par soixante-trois (il faut "initialiser" tôt les nouveau-nés au poids de la dette...). Ce pays a contourné les règles qui l’obligeaient à procéder à des appels d’offres pour toute somme supérieure à 15 millions de F CFA, en fractionnant les achats et en s’adressant à des entreprises complices. La Cote d’Ivoire en pleine effervescence sociale sera privée de l’aide budgétaire européenne de 1999 qui s’élève à 340 millions de FF.


Quand on observe les sacrifices consentis par les émigrés du Sahel pour envoyer des mandats tirés de leurs bas salaires ; quand on imagine les efforts qu'ils déploient pour envoyer du matériel sanitaire à leurs frais, pour construire des écoles, des dispensaires, des postes, des maternités, des puits, des mosquées, etc... avec seulement, si je puis dire, quelques milliards de francs CFA, ça peut faire réfléchir quant aux échelles... entre aides publics gaspillées et détournées, et les transferts des migrants qui font des sacrifices pour soutenir les famille et lutter contre la pénurie. Il faut surtout préciser que ce n'est pas tant les investissements sociaux qui agissent sur l'économie que les envois de numéraires aux familles au titre de l'aide alimentaire ; même si cette masse monétaire ne dynamise pas la production, elle alimente les importations venues d'ailleurs et transforme les habitudes alimentaires et plus généralement les fondements de la culture soninkée. Il est difficile de mesurer les effets nationaux de ces transformations locales.


Ce que porte en eux d'essentiel les investissements "non productif" des migrants, c'est l'espoir et l'enthousiasme qui les sous tendent malgré les difficultés et les malversations "à petite échelle."Hors des logiques productivistes, ces investissements font face aux urgences de régions en détresse. Bien que peu importants et mal orientées dans l'économie globale, ils pourraient montrer leur propre insuffisance et déboucher sur des investissements productifs.
On sait aujourd'hui, que la masse des aides publiques, ne servent qu’à renforcer le surendettement d'Etats corrompus, et partant à renforcer la dépendance des pays africains en grevant lourdement l'aide au secteur productif. Les investissement privés extérieurs se déconnectent de plus en plus de la production (capitaux flottants, narco-dollars, etc.) et les entreprises étrangères continuent d'exporter massivement leurs bénéfices vers les paradis fiscaux ; alors que les investissements des bourgeoisies locales n'ont jamais rien produit, ne servant qu'à importer des produits fabriqués ailleurs.


En prenant la dette comme exemple, on peut aller encore plus loin, et se demander si "éponger" une partie la dette des 41 pays les plus pauvres est une solution aux problèmes que les mécanismes de l’endettement posent aujourd’hui aux peuples des tiers mondes. Pourquoi remplacer les anciennes dettes par de nouvelles quand on sait l’usage qui est fait... des investissements dans le secteur public ? On peut crier au scandale, au complot, et imaginer de nouveaux scénarios d’endettement absolu pour le futur, de nouvelles perspectives de domination "douce" mais dont les conséquences à long terme pour l'Afrique sont encore plus désastreuses.
A partir de ce constat politique, économique, sociale et culturel on peut soutenir que malgré les insuffisances signalées plus haut, l'action de développement des immigrés est globalement positive, et finira par produire des effets d'entraînement dans la longue durée sur l'économie nationale, effets qui s'enchaîneront en synergie avec ceux d'autres acteurs économiques, sociaux et culturels. La condition siné qua non de l'efficacité des actions de développement des immigrés est l'implication de tous les acteurs d'ici et là-bas dans une perspective de politiques de développement et de décentralisation des Etats africains qui ne reposent pas sur les forces du passé mais sur la responsabilisation de tous les citoyens selon leurs compétences.