Les Soninkes et les études : mémoires d'un enfant du Gajaaga

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 " Ecolou lemu nia nxa ! Batara lemu nia nxa ! Yiga remu nia nxa " ( Les ecoliers ont terminé les cours, les "vaut rien" ont fini les cours, les gourmands sont descendus ) tel etait le refrain fièrement scandé dans les rues des villages Soninkes à la descente des écoliers. Autrefois, les Soninkés n'accordaient de l'importance qu'aux études coraniques. Les parents du monde Soninke envoyaient instinctivement leurs enfants dés leur bas âge chez le marabout du quartier ou du village. Initier son enfant aux preceptes de l'islam était une obligation dont chaque parent Soninke devait s’acquitter. Les parents confiaient ainsi leurs enfants aux familles maraboutiques du village. Tel etait le mode opératoire du monde Soninke auquel chaque parent Soninke devait se conformer.

Pendant longtemps l'école française était pérçue comme un lieu de pérdition et d'acculturation. Aucun parent ne voulait envoyer son enfant dans cette voie sinueuse et dangereuse. De même mettre son enfant à l'école revenait à faire un sacrifice énorme. Les Soninkes vivaient d'agriculture, de pêche et d'artisanat. L'émigration n'était pas importante et concernait peu de familles. Mettre son enfant à l'école coranique était un handicap énorme pour les travaux champêtres. Les enfants étaient une ressource humaine importante sur laquelle les parents se reposaient pour faire vivre leur famille.

  Les parents préféraient amener leurs enfants à l’école coranique qui proposait des horaires aménagées et non contraignantes pour les travaux champêtres. Par contre cette thèse devenait indéfendable dans certains cas parce que certains parents faisaient des kilomètres pour inscrire leur progéniture dans les écoles coraniques réputées et les laissaient à la disposition des familles maraboutiques. L'enfant alternera études coraniques et travaux champêtres et ne sera d'aucune utilité pour ses parents. Tout enfant devait s'investir dans l'étude du coran et dans les travaux champêtres.

Autrefois, les écoles théologiques du monde Soninke étaient très organisées. Elles étaient à l'image des écoles françaises même s'il y avait pas de salles de classe et de diplômes. Les jeunes devaient d'abord maîtriser le coran avant de gravir les echelons. On commencait par le Xaralemaxu pour finir par le Talibaxu. Tout parent Soninke rêvait de voir son enfant franchir ses differentes étapes. Parallèlement, l'émigration commençait à prendre une place importante dans les villages Soninkes. Dans toutes les classes sociales, émigrer etait devenu un challenge qui fait rêver chaque jeune Soninke. Avec l'avênement de l'émigration associée à la dispartition des grands marabouts, les mentalités commencèrent à changer. De même les successeurs dans certaines grandes familles maraboutiques ont preférés aller à l'aventure tandis que d'autres n'avaient pas le niveau requis pour dispenser un bon enseignement. Au même moment, l'école française a commencé à accueillir ses premiers élèves. Malgré des réticences et les lourds préjugés plusieurs familles envoyèrent leurs enfants à l'école française. On assista alors à l'avênement du :

" Ecolou lemu nia nxa ! Batara lemu nia nxa ! Yiga remu nia nxa "

Les jeunes enfants qui n'ont pas eu la chance d'aller à l'ecole chantaient ce refrain tous les midi. Ils considèrent les écoliers comme des fénéants, des "bon à rien". Selon eux, l'école française rend paresseux et calculateur. Les écoliers qui doivent suivre leurs cours du matin jusqu'au soir ne peuvent plus aider dans les travaux champêtres. Ils trouvent toujours des excuses pour ne pas aller aux champs. On a que le week end pour les faire travailler. Les habitudes des fils de cultivateurs changent.

Le matin, ardoises à la main, ils prennent d'assaut l'école du village. Les premiers jours sont toujours agréales. Les maîtres font les appels devant les salles de classe. Les enfants identifient leurs salles et se font de nouveaux camarades. Une fois l'appel terminé, les enfants choisissent leurs voisins de table par affinité ou par copinage. C'est le jour de la prise de contact. Le maître écrit au tableau les fournitures à acheter ou distribue une liste de fournitures. Dans les années soixante dix ( 70 ) et quatre vingt ( 80 ), l’Etat dirtribuait gratuitement les fournitures. La prise de contact s'opère ainsi dans tous les niveaux de l'école primaire. C'est parti pour six années d'école pour les débutants en classe de CI ( cours d'initiation ) quelques années pour les autres. Chaque année a son lot de faits divers. Entre les coups de cravache du maître, le bizutage des camarades, tout est sujet de stress à l'école primaire. Tous les jours, le maître désigne cinq élèves qui viendront réciter leur leçon. Ceux qui réciteront correctement auront la mention " Leçon sue " avec une bonne note tandis que les autres seront battus à coup de cravaches avec la mention " leçon non sue ". Au fur et mesure que les mois et années passent les plus nuls prendront l'habitude de venir avec de gros pulls pour échapper aux coups tandis que les studieux se sentiront comme du poisson dans l'eau. Les récréations constituent les moments de répis pour les jeunes. Les uns jouent dans la cour de l'école pendant que les enfants des familles nanties savourent leurs aliments. Ils trouvent facilement des amis par intérêt ou des amis protecteurs moyennant un bout de pain. Les enfants qui n'ont pas la chance de venir avec un repas font le bizutage alors que d'autres prefèrent sortir la carte de l'amitié pour avoir ce bout de pain.

A Bakel, le bizutage et le racket etaient très répandus. Les victimes sont souvent les filles ou les enfants des fonctionnaires du quartier HLM. Ce quartier de Bakel était habité par les fonctionnaires Wolofs, Peuls, Serères, Diolas... Leurs enfants étaient toujours bien habillés et choyés. Ils viennent avec toute sorte d'aliments. Ils avaient de beaux sacs et des fournitures au complet. Contrairement à eux, il y avait les jeunes des quartiers populaires. Beaucoup d'entre aux sont là par accident. Ils accordent peu d'importance à l'école. Leurs parents les ont amenés à l'école parce que tous les autres enfants du quartier y vont. Ils sont là par circonstance que par volonté de réussir. Ils sont là pour apprendre à lire et à écrire pour décortiquer les futures lettres de leurs parents.

Dés l'ouverture de l'école, ils forment leurs groupes selon leur quartier d'origine ou par affinité. Ils pratiquent le bizutage et sont toujours prêts à aller au combat avec leurs ennemis. Dans la classe, ils sont toujours assis au fond de la classe. Ils terrifient leurs camarades et leurs maîtres. Ils ont peu d'estime pour les fils de fonctionnaires. Leurs parents sont cultivateurs, émigrés, pêcheurs et chomeurs. Ils se plaisent dans leur situation de défavorisés. Il n'est pas facile de faire sa place dans ces groupes. On y rentre par amitié ou par force. Beaucoup d'entre eux ne franchiront pas le cap du CM2. Le CM2 est la classe la plus difficile. C'est une classe préparatoire à l'entrée en sixième ( 6 ème ). On y rencontre des maîtres redoutables. Pour échapper à la difficulté de cette classe, beaucoup d'élèves redoublent la classe CM1... Certains choisiront l’école buissonnière et finiront par délaisser l’école au profit des métiers comme la mécanique, la menuiserie…

Cette classe est extrêmement pénible dans les villages. Autrefois, les maisons Soninkes n'avaient pas d'éclectritié. Les élèves se contentaient de lampes tempêtes ou de bougie pour réviser. La nuit est le moment le plus propice pour faire ses exercices ou apprendre ses leçons. Généralement, les jeunes vont travailler aux champs les après midi et les week end. Du coup, reviser pendant la journée devenait impossible. De plus certaines familles inscrivaient en même temps leurs enfants à l'école coranique. L'enfant est contraint d'aller apprendre ses sourates au lieu d'ouvrir son cahier de leçon. Tout cela peut constituer un handicap énorme pour la poursuite des études. Malgré ses difficultés, les jeunes Soninkes mettent coeur et âme pour réussir leur études primaires. Vers le mois de juillet, tous les élèves des villages environnants se retrouvent à Bakel pour passer les examens de certificat de fin d'études élèmentaires ( CFEE ) et d'entrée en sixième. Ses deux examens se font simultanément. Pendant deux jours la vie bakéloise est rythmée par la va et vient des candidats.


Dés la fin de l'éxamen, les jeunes retrournent dans leurs villages et attendent leurs resultats qui tomberont vers le mois de Septembre. La reussite au CFEE permet de ne refaire que l'examen de l'entrée en sixième l'année suivante tandis qu'un succés aux deux épreuves ouvrait les portes du collège.


L'enseignement au Collège

Ah le collège ! Ce grand mirage. Autrefois les jeunes bakélois n'avaient pas le choix. La ville n'avait pas de collège et les candidats heureux de l'entrée en sixième devaient systèmatiquement faire leur collège à Tambacounda ou à Dakar. Cette rupture n'était pas si facile pour les nouveaux collégiens. Ils quittent parents et amis pour aller déposer leurs bagages dans une ville ou chez une famille qu'ils ne connaissent pas. Beaucoup survivront à cette aventure alors que certains délaisseront le collège faute de bonne famille d'accueil et de moyens financiers. Les familles d'accueil ne sont pas toujours tendres avec les nouveaux collégiens. Bon nombre d'entre eux doivent travailler dur pour mériter l'hospitalité de leur famille d'accueil. Le collège Mame Cheikh Mbaye de Tamba a marqué nos ainés. Certains n'avaient pour repas que les maigres cacahuètes ou pains envoyés par leurs parents. Leurs familles d'accueil n'avaient pas de moyens pour les prendre en charge. Ils mangeront une fois par jour et iront chercher un fagot de bois à la brousse en guise de participation. Cette sitatuion a duré jusqu'aux années 1980.

En 1982, Bakel se dota de son propre collège appelé le Lycée Waoundé N'diaye de Bakel. Ce collège se trouvait dans le quartier HLM. Il a été créé au bon moment. Bon nombre de collégiens inscrits à Tamba n'en pouvaient plus de leurs conditions de vie. Les jeunes étaient soulagés. Tous les collégiens des villages environnants venaient s'inscrire dans le collège de Bakel. Tous les matins, de jeunes gens prennent d'assaut le quartier HLM avec quelques cahiers à la main. Le changement entre l'école primaire et l'école secondaire se trouvait à ce niveau. Au primaire les elèves ramenaient tous leurs cahiers et livres et restaient de 8 heures du matin à 18 heures avec quelques heures de récréation et de "pause - dejeuner" tandis qu'au collège, ils ne ramènaient que les cahiers des matières à étudier. Les collégiens bénéficient également d'horaires aménagées et font face à une nouvelle autorité. Le bâton ou la cravache du maître qui terrifiait à l’école primaire est devenu caduque. Les nouveaux collégiens sont généralement polis. Ils craignent l’autorité et le nouveau mode de fonctionnement. Chaque retard ou absence doit être justifié et signalé aux parents par les surveillants. Un billet de retard donne droit d’assister aux cours et le billet d’entrée redonne le droit de reprendre les cours après une quelconque absence.

Au collège, les élèves héritent d’une responsabilité. Ils votent et élisent leurs délégués de classe. Le délégué de classe est le representant des élèves auprès des surveillants et des professeurs. Il défend ses camarades en cas de problèmes et jouent le rôle d’intermédiaire entre la surveillance du collège, les professeurs et les elèves. En plus de ces missions, il doit aussi ramener les cachiers de texte et d’absence ainsi que les outils de travail aux professeurs. Il doit aussi effacer le tableau au début et à la fin des cours. Les deux premières années se passent normalement. Les collégiens changent souvent d'attitude en classe de quatrième ( 4 ème ).

A la troisième année de collège qui coincide normalement avec l’âge de la puberté pour plusieurs élèves, les collégiens deviennent incontrolables.

Dés le début de l’année, on leur offre le choix entre une langue étrangère ( Espagnol, Arabe ) et la physique chimie. Dans ces cours, les deux ou trois classes de même niveau se regroupent par matière. Les èlèves qui ont choisis l’arabe et l’espagnol font cours à part et les apprentis physiciens et chimistes en font autant. Ils commencent à aménager leurs horaires de classe. Pendant que les plus serieux apprennent d’autres préfèrent aller prendre le thé chez un camarade ou fumer une cigarette. C’est au cours de cette année que certains élèves grilleront leur premier tabac. Ils se regroupent par affinité ou par niveau d’intelligence. Les doués entretiennent généralement des relations amicales et font leurs devoirs ensemble tandis que les plus nuls se créent d’autres passions : la cigarette, le thé, la drague ou le foot. La classe de quatrième est une année charnière. Elle permet de cerner les bons et les mauvais élèves. En plus de toutes ses diffilultés, les élèves doivent faire face à un changement radical de leur porgramme de sciences naturelles. Avant, ils étudiaient les plantes et les oiseaux. Désormais, ils doivent s’initier à la biologie. Le cours de biologie affectionnait tout le monde. On parle d’anatomie, de séxualité, de grossesse, de puberté, de virginité… Tout le monde prête une oreille attentive au professeur.


Je me rappele un jour, en plein cours de biologie j’avais la tête ailleurs. Soudain, dans la classe j’entendit ce mot : virginité. Ne sachant pas ce que cela voulait dire, j’interpellai mon professeur ( Abdou DIOM ) en lui demandant le sens de ce nom.

Quelle honte ! Tout le monde me regardait avec de gros yeux. Ils venaient de deviner que j’étais pisso. Les filles commencèrent à me chambrer et mes copains à se moquer. Dans ma tête, tout était clair. Je savais que je n’étais pas seul dans cette situtation. Plusieurs de mes camarades chambreurs étaient dans la même posture. Ils voulaient juste impressionner les filles de la classe.

Après les cours, les jeunes avides de liberté investissaient les plages sablonneuses du quartier HLM de Bakel. Ils allaient souvent avec les filles de leur classe. Tous les élèves à ce stade veulent avoir leur liberté. Ils soignent partculièrement leur look et profitent de chaque occasion pour impressionner les filles. Des coiffures "Zoulou" aux pantalons "jungle", les jeunes font tous pour attirer l'attention. Les jeunes filles quant à elles choisissent des tenues courtes et provocatrices. Elles mettent en valeur leurs poitrines et leurs hanches. Tout regard devient significatif. C'est le temps des premiers amours et des premiers flirts. Pire, certains connaîtront leurs premières expériences sexuelles. Les jeunes collégiens sortent tous les week - end en soirée dansante. Dés fois, ils rencontrent leurs professeurs et leur ravissent la vedette. Ce nouveau désir de sensations fortes pousseront certains élèves à se droguer et à la débauche sexuelle. À ces diffultés s'ajoutent très souvent les grossesses précoces. Plusieurs filles délaisseront les études parce que leurs premières éxpériences sexuelles leurs seront fatales. Les jeunes ne maîtrisent pas trop souvent les fameuses méthodes de contraception et commetront des erreurs irréparables qui leurs éloigneront du circuit scolaire. Beaucoup de filles tomberont enceintes et connaitront une jeunesse mouvementée. Les garçons quant à eux seront en déperdition scolaire parce que père de famille à 17 ans. Ils défient l’autorité scolaire et parentale. Ils vont et reviennent des cours à leur guise. Certains battront des records d’absenteïsme. Ils seront traduits en conseil de discipline puis exclus du collège. Beaucoup d'élèves délaissent le circuit scolaire en classe de quatrième ( 4 ème ). Les élèves qui passeont en classe de troisième auront la chance de se présenter à l'examen du BFEM ( Brevet de Fin d'Etudes Moyen ).

A Bakel, bon nombre de professeurs ont marqué de leur empreinte l'histoire du Lycée Waoundé N'diaye. Malgré la l'hostilité du climat et la lointeneté de Bakel, ils ont laissé leurs familles pour venir exercer ce noble métier qui est l'enseignement. Certains ont gravé leurs noms dans la mémoire collective des bakélois. Ils étaient infatigables et mettaient coeur et âme pour sortir la jeunesse bakéloise de l'ornière. Ils disposaient de moyens limités et se trouvaient à des centaines de kilomètres de leurs familles. Ils etaient généralement Sérères, Diolas, Mankagnes, Manjaques, Pepels, Peuls et Wolofs. Grâce à eux, Bakel obtenait toujours de bons résultats. Bakel a toujours eu de bon resultats dans les differents examens. Ils prendront sous leurs ailes les braves élèves de troisième durant toute une année. Ils les aideront à bien se préparer à leurs examens. Elèves et professeurs ont un seul objectif : battre le record national à l'examen du BFEM. Dés le début du mois d'octobre, les professeurs commencent le programme. Ils motiveront leurs élèves et les mettront dans les conditions optimales de réussite.

La classe de troisième est particulièrement difficile. Les élèves devront maîtriser plusieurs matières afin de pouvoir réussir leurs examens de fin d'années. Ils auront une centaine de léçons à mémoriser en histoire et géopgraphie et de multiples formules mathématiques à retenir. Ils forment des groupes de travail pour réviser et pour s'entraider dans les differents matières. Les professeurs quant à eux feront des séances de rattrapages pour finir le programme mais aussi pour mieux faire comprendre leurs cours aux élèves. Normalement l'année scolaire se termine au mois de Juin au Sénégal mais les élèves de troisième n'auront le répis qu'au mois de Juillet. Les éxamens de BFEM tombent souvent à la dernière semaine du mois de Juillet. Les élèves composeront pendant trois jours. Les épreuves de l'examen de BFEM sont souvent difficiles. Le centre d'examen de Bakel etait tenu par des professeurs de Tambacounda. Ils surveilleront et corrigeront les épreuves des élèves. Les résultats tombent toujours au quatrième jour de l'examen. La délibération des examens était fatidique et insupportable. Les élèves, soucieux de leur avenir auront une pression énorme sur leurs épaules. Le président du jury convoquait les élèves l'après midi. Ces derniers venaient toujours en avance. Ils attendront des heures dans les locaux du CEM ( Centre d'Enseignement Moyen ) en attendant d'avoir leurs résultats. Vers dix huit heures, le président du jury se mettait dans le hall du CEM et demandait aux élèves de s'approcher. Visages avides, peur au ventre, les jeunes garçons accourraient vers lui et un long silence envahit la foule. Tout à coup, il se mettait à lire la fameuse phrase : " Les élèves dont les noms suivent sont déclarés admis à l'issue des épreuves de l'examen du brevet de fin d'études moyen". Après cette phrase assassine, il se met à donner les noms des heureux admis. Ces derniers seront soulagés et crieront victoires tandis que les ajournés se mettront à pleurer et à crier malheur. Quant aux élèves qui seront admis au deuxième tour, ils se présenteront le lendemain au collège pour subir les examens oraux qui leur permettront de décrocher leurs diplômes de BFEM. C'est la fin du cursus moyen pour les brevetés. Ils passeront de bonnes vacances et se prépareront à affronter une autre étape de leur vie : Le Lycée.


L'enseignement au Lycée

Avant les années 2000, les élèves admis au BFEM allaient poursuivre leurs études dans les lycées de Tamba ou de Dakar. Ils etaient confrontés aux mêmes problèmes que leurs ainés collégiens des années 80. Avec l'érection du Collège Waoundé N'diaye en Lycée, les jeunes diplomés n'ont plus besoin de bouger de Bakel pour faire leur Seconde. Ils ne sont plus collégiens mais lycéens. Ils seront confrontés à une autre forme d'autorité. Les fameux surveillants sont désormais remplacés par un censeur. Le principal qui detenait le pouvoir au collège laisse la place à un proviseur. Les jeunes deviennent plus responables et autonomes. Ils n'ont que deux classes à valider avant la fameuse classe de Terminale. Cette classe est le cauchemar de tout lycéen. C'est une étape primordiale et délicate pour tout élève. Elle ouvre la porte de l'Université. Les élèves de Terminale sont comparables à des soldats. Ils ne dorment point et ont toujours leurs cahiers comme armes. Ils réviseront jour et nuit pour maîtriser leur programme. La matière la plus difficile était la philosophie. A Bakel, cette matière était enseignée par un professeur natif de Tivaoune. Il etait petit de taille mais grand d'esprit. Enseigner la philosophie etait un jeu d'enfant pour cet éniment professeur. Il alliait humour et anecdote pour faire comprendre la philo à de jeunes Bakélois. On l'appelait Mbaye Philo. Cigarette à la main, têtes de nègre aux pieds, il parlait et reparlait de Socrates, de Platon et de Hegel. Il avait le verbe facile et ne faisait de cadeau à aucun élève. Pendant neuf mois, il familiarise jeunes filles et jeunes hommes Bakélois à cette matière hautement aléatoire au Baccalauréat. En plus de cette difficile matière, les élèves devraient maîtriser l'histoire et la géographie, les mathématiques, l'anglais et l'espagnol dispensés par d'éminents professeurs. Durant ma Terminale, j'ai été particulièrement marqué par ces hommes venus de lointains villages du Saloum et de Casamance. Ils avaient comme noms : Alvès, Thiam, Fall, Faye, Thiaw, Cissé, Dieng, N'dour, Datt, Diallo, Diouf, Sall... Des noms typiquement sénégalais. Notez qu'autrefois, l'enseignement dans les Lycées Sénégalais était dispensé par des professeurs blancs. Ces noms marquaient la rupture d'avec l'enseignement colonial. A Bakel, les élèves étaient particulièrement marqués par cette classe. Non seulement, la Terminale leur offrait la clef des universités sénégalaises mais aussi celles occidentales. Mieux, réussir sa classe de Terminale donnait le droit de quitter Bakel. Bakel, la cité mystérieuse et aimée ! Quitter cette fameuse ville était la principale motivation.

Comme l'examen du BFEM, le Baccalauréat se passait au mois de Juillet. Cet examen était particulièrement difficile. Garçons et filles avaient la pression pendant toute la durée des épreuves. Le Baccalauréat se déroulait en deux étapes : le premier tour et le deuxième tour. Pendant deux jours, les élèves se frotteront aux difficiles épreuves. Dés la fin des épreuves, les copies sont envoyées à Tambacounda. Bakel ne disposait pas de Jury. Le sort de nos frères et soeurs se décidait dans la capitale du Sénégal oriental. Pendant deux jours, ils attendront les résultats. De bouche à oreille, ils seront informés du jour de la délibération. Il avait toujours lieu en soirée. Contrairement à l'examen du BFEM, les résulats du Baccalauréat étaient communiqués par téléphone depuis Tamba. Les élèves attendaient dans la cour de l'école. Les visages étaient graves. Personne n'avait le sourire. Chacun pensait à son sort. Les plus courageux jouent au Football dans la cour de l'école ou au damier pendant que les stressés avaient des larmes aux yeux.

Vers vingt heures, le coup de fil allertait tous les élèves. Chacun se mettait à prier. Le proviseur et le censeur concoctent la fameuse liste des admis. Quelques heures après, ils ouvraient la fenêtre de leur bureau et se mettaient à donner les résultats. Devant les candidats et les curieux, le censeur se met à appeler les noms de nos bacheliers. Pendant que les uns criaient de joie les autres se lamentaient. Les élèves qui n'ont pas encore enttendu leurs noms gardent espoir jusqu'à la clôture de la liste. A la prononciation du mot "Fin de liste", la cour de l'école se transformait aux murs de lamentations. Les ajournés seront soutenus par leurs amis et parents pendant que les admis dansent et sautent de joie. L'admission au Baccalauréat n'est toujours pas une fin en soi.

Je me rappelle encore du film de mon examen de Baccaleuréat. Après la fin des épreuves, je partageais mon quotidien avec deux de mes amis. On était confiant mais on avait peur. Pendant deux jours, je ne pris aucune douche. Je mangeais à peine. Le jour de la délibération, accompagnés de mes deux chers amis, on prit le chemin du Lycée de Bakel. Arrivés sur place, on se mit à prier. Dés que nos trois noms furent appelés par le censeur, on a pris nos jambes à nos coups. On a courru pendant des kilomètres sans se rendre compte de la lointaineté qui séparait nos dimiciles du Lycée. Dés que l'on arriva au niveau de la maison d'un de mes amis, celui-ci sauta un mur de cinq mètres et scandait : " Maman ! J'ai mon bac ". Ses frères et soeurs criaient et le félicitaient. Il était l'ainé et la fierté de sa famille.Je poursuivis mon chemin avec mon autre ami. Nos deux chemins se séparèrent un kilomètre après, j'arriva enfin chez moi .

Je vivais avec mes grands – parents. Dés que je franchis la porte de la maison. J'ai crié : " J' ai mon Bac "... Je chantais et dansais. Quelques minutes après, on me dit : " Eh calme toi ! Ne nous fatigue pas ! Le bac c'est quoi ". Leur réaction ne me perturba point. Ces vieilles personnes ne savaient pas la valeur d'un tel examen. Je sortis comme un chat de chez moi et prit le chemin du domicile de mes amis. Ces derniers prenaient le thé. Dés qu'ils m'aperçoivent, ils me demandèrent si j'avais mes résultats. Je repondis affirmatif. Tout le monde se mit à danser et à scander mon nom. Pendant plusieurs jours, mes amis et moi fûmes les vedettes de la ville. Avant nous, il y avait bien des bacheliers mais notre promotion avait battu des records au niveau départemental. Bakel était fier de nous. Les fils de cultivateurs et d'artisants que nous sommes venaient de titiller les fils de fonctionnaires. On venait de montrer à la jeune génération que la réussite est au bout de l'effort. Cette réussite au Baccalauréat marquait une nouvelle ère. La nouvelle génération avait désormais un repère.

Les Soninkes ont toujours eu des enfants studieux et intelligents. Malgré qu'ils accordaient peu d'importance à l'école française, certains de leurs fils ont redoré le blason des Soninkes depuis belle lurette. Depuis des décénnies, les Soninkes ont eu des avocats, des ingénieurs, des professeurs d'universités. Ces enfants Soninkes ont fait leur classe hors de leur terroir. Ils ont battu des records loin de leurs parents. Aujourd'hui, les jeunes Soninkes ont les écoles devant leurs maisons. Les sacrifices de la vieille génération ne sont plus de vieux souvenirs. Les ventres vides, les fagots de bois, les kilomètres parcourus garnissent désormais les musées virtuelles du monde Soninke. La nouvelle génération devait pérpétuer cet héritage. Mais aujourd'hui, bon nombre d'entre eux voient l'école comme une perte de temps. Beaucoup bénéficient de nationalité française et rêvent de la belle vie française au détriment des diplômes. Malheureusement la France n'est qu'un mirage. Ils délaissent l'école dés qu'ils obtiennent leurs passeports. Malheureusement la France n'est qu'un mirage. Sans diplôme, les jeunes Soninkes finissent éboueurs, agents de sécurité voire chômeurs malgré l'avantage de la double nationalité.

A quand le changement radical des mentalités ?

Samba Fodé Koita dit Makalou